©Tahiti Heritage
Le Président de la République est arrivé à Tahiti, à 5h du matin (heure locale). Dans la foulée, il se rend à Wallis et Futuna pour sa première journée de visite officielle. Sur place, il y goûtera, dans quelques heures à peine, le « kava ». Ce breuvage aux vertus « extrêmement bienfaisantes », utilisé « lors d’une cérémonie politique ou religieuse ou tout simplement comme activité de loisir », est répandu dans de nombreuses îles du Pacifique. Alexandre Juster, chroniqueur Culture & Histoire d’Océanie à Outremers360, nous raconte les origines de cette boisson, sa composition, son Histoire à travers les migrations et les colonisations, et surtout ses effets sur l’esprit, appelés « chant du kava ».
« Le kava, piper methysticum, est un petit arbuste appartenant au genre du poivrier. Présent uniquement en Océanie, on tire de ses racines une boisson cérémonielle, dont le nom varie selon les langues : sakau en ponapéen, kawakawa en marquisien, ‘ava en samoan ou en tahitien, ‘awa en hawaien, kava en futunien, en tongien ou en wallisien, yaqona en fidjien.
Un certain nombre de récits de la littérature orale rapportent l’origine de cette plante. Ainsi à Fidji, aux Samoa ou à Tonga, le premier plant de kava a poussé sur la tombe d’un chef. Un rat, après en avoir rongé la racine, devint ivre et les hommes l’imitèrent. On apprend même, toujours grâce aux récits, sa provenance : à Hawaii il vient de Tahiti, à Pohnpei, il a été rapporté depuis Kosrae tandis qu’à Tanna, au sud du Vanuatu, ce sont les Tongiens qui l’ont amené en même temps que les cochons.
La dispersion du kava en Océanie a donc suivi les courants des migrations humaines, mais on ne le trouve pas partout pour autant. A l’époque pré-européenne, sa consommation était inconnue en Nouvelle-Zélande, en Nouvelle-Calédonie, à l’Ile de Pâques ou encore à Rapa, en Polynésie française.
La couleur de cette boisson est grise, son odeur rappelle la réglisse, la gentiane, avec un arôme poivré, alors que son goût est plutôt amer et astringent. Les hommes se réunissent pour préparer et boire le kava lors d’une cérémonie politique ou religieuse ou tout simplement comme activité de loisir.
Dix minutes après l’absorption, les premiers effets se font sentir : le rythme cardiaque et la respiration ralentissent. Les idées semblent claires et un bien-être s’installe. La parole coule facilement et l’ouïe s’affine. Pendant quelques heures, les buveurs sont contemplatifs et sereins. Mais, il ne s’agit ni d’un hallucinogène, puisque la perception de la réalité n’est pas altérée, ni d’un stupéfiant puisque le kava ne provoque pas d’inhibition du système nerveux central.
Pour préparer le kava, le jus des racines – pilées, écrasées ou mâchées – est mélangé à de l’eau. La boisson réunit ainsi l’élément terrestre où vivent les hommes à l’élément céleste, l’eau, où résident les puissances créatrices. Le kava est le symbole de l’équilibre du monde et donne la sensation à celui qui en boit de pouvoir entrer en communion avec les esprits.
Au XIXè siècle, les missionnaires qualifièrent cette coutume de rituel païen appartenant aux anciennes religions et l’interdirent dans de nombreuses îles. Cette interdiction fut soutenue par les administrations coloniales qui considérèrent cette boisson comme alcoolique. A Tahiti, la dernière cérémonie organisée en 2005 par le président de l’Assemblée territoriale Antony Géros a permis de mettre en lumière cette pratique disparue depuis 1880.
A Wallis, c’est le discernement entre le rituel et le social opéré par l’évêque Bataillon qui a permis à cette boisson de ne pas être bannie de la société. Arrivé depuis à peine un an, il constate qu’elle est « extrêmement bienfaisante […] qui remet de bien des fatigues ». Bataillon a également perçu d’une manière très fine la convivialité qui règne autour de cette pratique et a décidé, de son propre chef, de ne pas l’interdire. De nos jours, on ne peut pas recevoir correctement un invité à Wallis sans lui offrir une coupe de kava. Cela permet également d’exprimer à son hôte un profond respect, doublé d’une forte solidarité.
Le kava royal que le président Hollande va boire ce lundi est inscrit dans un cérémonial qui sert à soutenir la hiérarchie politique. Une étiquette complexe règle l’ordre dans lequel s’effectue sa consommation. Cependant, cet ordre, qui témoigne des relations politiques entre les titres, tient toujours compte des raisons pour lesquelles les gens se réunissent.
A partir des années 1970, dans le cadre de revendications identitaires, le kava a été a nouveau consommé dans de nombreux pays de la région. Des bars à kava, (nakamals) ont ouvert leurs portes à Nouméa et à Port-Vila. Le producteur ne cultive plus alors à des fins coutumières, à de rares exceptions près. Le marchand a remplacé le chef.
A Wallis et à Futuna le kava n’est pas devenu simple routine, il est toujours ce médiateur social, à l’écart de l’individualisation du monde, gardien des traditions. Ainsi, le chant du kava (c’est ainsi qu’on nomme l’effet produit) résonnera deux fois au cœur de la République, une fois à Wallis et une fois à Futuna, réactivant la réconciliation permanente entre les hommes et les esprits. Source de vie et de paix, il scellera plus fortement encore les liens entre Wallis et Futuna et la République. »
Alexandre Juster, Ethnolinguiste, Responsable des Cours de Civilisation polynésienne à la Délégation de la Polynésie française à Paris.
Pour aller plus loin :
Patricia Simeoni et Vincent Lebot, Buveurs de kava, édition géo-consulte, 2014
Annabel Chanteraud, La saga du kava, Cret/Dymset, 2001