©Stephane de Sakutin / AFP
Il y avait comme un air de grande Monarchie, ce lundi 22 février à Wallis et Futuna. François Hollande, Président de la République, a rendu visite aux derniers royaumes qui existe dans la Nation, au coeur du Pacifique Sud. Arrivé sous la pluie, il a passé sa journée à rencontrer les différentes chefferies, à assister et à prendre part aux importantes cérémonies traditionnelles et à rassurer les Wallisiens et Futuniens sur les sujets qui les préoccupent.
Comme prévu, François Hollande est arrivé sous la pluie, sur l’île de Wallis, lundi matin (dimanche soir à Paris). Une visite tant attendue, les Wallisiens et Futuniens n’ont pas pu directement s’adresser à un chef d’Etat depuis Giscard d’Estaing, « il y a trop longtemps qu’un Président de la République n’était venu à Wallis. 37 ans que vous attendiez. Je suis là aujourd’hui », a-t-il déclaré à son arrivée. Sur place, le Président de la République a tenu à honorer les traditions ancestrales qui régissent encore la vie politique de Wallis et Futuna. Couronnes de fleurs, offrandes, cérémonie du kava, François Hollande a parfaitement respecté chaque étapes des coutumes de l’archipel ; un enjeu diplomatique pour ne pas froisser ses hôtes et surtout, pour renforcer les liens entre la République et Wallis et Futuna. Plus tard dans la journée, il s’est rendu sur l’île de Futuna, abritant deux royaumes. Là encore, la rencontre avec les chefferies ont donné lieu à un cérémoniel scrupuleusement respecté par le chef de l’Etat. Historique, c’est la première fois qu’un Président de la République se rend sur Futuna, de quoi susciter de l’espoir au sein de cette population qui se sent oubliée de la France.
Le temps d’une journée, François Hollande a enfilé le costume de grand monarque, rendant visite aux derniers royaumes de la République qui composent Wallis et Futuna. Mais la visite ne fut pas simplement de courtoisie. Il était question de rappeler l’attachement de la France à Wallis et Futuna, et vice-versa, « vous êtes le territoire le plus éloigné de la métropole mais vous avez le coeur tout proche de l’hexagone. Chaque fois que notre capitale ressent une épreuve, vous êtes là. Car vous êtes la France ». Il était aussi question d’enjeux politiques, économiques, statutaires et sanitaires. Ainsi, François Hollande a, devant l’Assemblée Territoriale, assuré la péréquation des tarifs de l’électricité avant le 1er janvier 2020, « d’ici 5 ans, l’électricité à Wallis et Futuna sera au même prix que partout en France ». Côté santé, le Président de la République a annoncé la création d’un centre de dialyse à Wallis et Futuna, « la population de Wallis et Futuna a le droit à l’égalité avec les autres Français. Notamment en matière de santé », il poursuit, « vous êtes la France et la France doit être capable de vous soigner, malgré les grandes distances ».
François Hollande souhaite aussi désenclaver numériquement et physiquement le territoire, « l’Etat s’engage pour que Wallis et Futuna soient reliées au reste du monde par un câble sous marin ». Pour ce qui est des dessertes aériennes, le Président de la République a, lors de son discours, souligné le manque de rotation vers Wallis et Futuna. Reste à savoir s’il concrétisera par des actions cet alarmant constat. Enfin, le Président de la République à souligner l’impartialité de l’Etat quant à une éventuelle évolution statutaire, « c’est vous qui pouvez en décider. Vos institutions n’ont pas évolué depuis 1961 (…). L’Etat est prêt à accepter une nouvelle étape de la décentralisation ». A l’occasion de la visite de François Hollande à Wallis et Futuna, Outremers360 a contacté deux Wallisiens vivant à Paris. Malia Ulutuipalelei et Raphael Kaikilekofe nous racontent leurs impressions au lendemain de la visite présidentielle. Plus loin, Alexandre Juster, chroniqueur Histoire & Culture d’Océanie pour Outremers360, nous explique l’importance de la cérémonie du kava et la signification de l’ordre de dégustation de la boisson.
Le Président de la République était à Wallis-et-Futuna hier. Avez-vous suivi son déplacement ? Si oui, comment ?
Malia Ulutuipalelei : Oui j’ai suivi attentivement son déplacement à la radio. Je suis très heureuse et fière que le Président nous ait fait l’honneur de venir sur nos iles. Ça a été une occasion d’enfin faire connaitre ces petits bouts de terre que les métropolitains croient perdus et inhabités. Espérons que nous, Wallisiens et Futuniens, soyons désormais mieux entendus et écoutés ici en métropole.
Raphael Kaikilekofe : Je n’ai suivi le déplacement du Président que par bribes sur les réseaux sociaux, je ne suis pas beaucoup les infos TV et radio. Le fait que le Président se déplace jusque là bas touche directement le coeur des Wallisiens et Futuniens, c’est une immense considération de la part du chef de l’État. Wallis et Futuna, elles, dit-on les éternelles oubliées de la République… Ne serait-ce que ce geste de se déplacer est très apprécié… Avec tout ce que ce déplacement peut nous cacher ou autre… C’est un fait historique depuis Giscard… 37 ans après.
Il a fait des annonces sur l’électricité, les liaisons aériennes, l’agence de santé,… Est-ce qu’il a répondu à toutes les attentes des Wallisiens et des Futuniens ?
Malia Ulutuipalelei : La plupart des annonces sont des confirmations. L’électricité au même prix qu’en métropole, le câble sous-marin permettant de relier nos îles au reste du monde en haut débit, le remboursement de la dette de notre agence de santé qui mettait en difficulté nos relations avec les hôpitaux de Nouvelle Calédonie : tout ça était déjà en cours depuis plusieurs mois. Ce sont des confirmations et je l’espère le gage que ces dossiers seront menés à bien rapidement et efficacement.
Seule annonce, il me semble, inédite, c’est l’installation d’un centre de dialyse à Futuna. Voilà une très bonne nouvelle pour nos malades futuniens qui devaient jusqu’à présent prendre l’avion jusqu’à Wallis pour se faire soigner. La qualité de leur prise en charge s’améliore considérablement grâce à cela.
Cependant, je regrette l’absence de mesures concrètes pour nos jeunes qui ne trouvent pas de travail sur l’île. Le président a évoqué le SMA, service militaire adapté, mais il ne s’agit pas d’emplois locaux. Pas non plus d’annonces sur la cherté de la vie, due en partie aux monopoles (desserte maritime, grossistes etc…).
Raphael Kaikilekofe : On ne sait pas ce que suivra des réponses et promesses du Président ; l’électricité, les liaisons aériennes ou l’agence de santé,… Et d’autres perspectives comme le développement. Ce déplacement était indispensable pour re-dynamiser l’ensemble de l’archipel, calmer les instabilités, les éventuelles rivalités et autres… En tout cas l’heure est propice pour se repositionner par rapport à cet événement majeur pour tout l’archipel : dès lors que faisons-nous ? Il est temps de nous dire qu’il faut faire quelque chose nous-mêmes pour nous ? Notre île ? Notre identité ? Notre économie pour nos enfants etc…. C’est le moment de se poser les bonnes questions pour apporter les meilleures solutions comme à la chute vertigineuse de la population sur l’ensemble des deux îles.
Ce déplacement comme pour raviver l’appartenance de Wallis et Futuna à la République, Il est sans doute vu comme « Wallis et Futuna, on ne vous oublie pas et on veut surtout faire quelque chose ».
Pour le reste, il n’est autre qu’à l’insulaire lui-même de savoir tracer le meilleur avenir qui est pour ses enfants, via les propositions qui lui sont faites.
C’est la première qu’un Président de la République se rend aussi longtemps à Futuna, qu’est-ce que cela représente pour les Futuniens ?
Malia Ulutuipalelei : C’est en effet la première fois qu’un Président de la République se rend à Futuna. La population est toujours contente d’accueillir des visiteurs qui souhaitent se rendre sur leurs îles. C’est ce que nous appelons l’hospitalité polynésienne, une valeur qui est inscrite dans nos gênes culturelles et que nous cultivons notamment à travers ce genre d’événement. A fortiori, si c’est le Président de la République en personne, une République à laquelle les Wallisiens et Futuniens sont certainement les citoyens les plus fiers d’appartenir. Pour les Futuniens en particulier, c’est la reconnaissance par la Nation de leur existence au sein de la République.
Raphael Kaikilekofe : Pour Futuna, ce déplacement est aussi très apprécié mais surtout utile d’autant que Futuna abrite deux royaumes et qu’il s’agit de la toute première visite présidentielle. C’est un moment historique qui peut permettre des négociations et le point de départ de grands projets. Le Président peut être vu comme celui qui peut négocier et réunifier car c’est le chef de la Grande Nation, à ce titre, les gens des deux royaumes ont une très haute estime de celui qui peut faire le lien.
Il a aussi accepté les couronnes et les offrandes des Wallisiens et Futuniens, des coutumes locales qui font parfois l’objet de railleries au plan national. Est-ce juste du folklore ou une réelle tradition politique et religieuse nécessaire lors de ce genre d’évènements ?
Malia Ulutuipalelei : La remise de colliers de fleurs et de cadeaux fait partie intégrante de nos cérémonies traditionnelles qui, il faut le rappeler, rassemblent toutes les autorités, administrative, politique et religieuse autour de l’autorité coutumière. Quand un chef d’état est reçu à l’Elysée, le Président de la République l’accueille, selon les traditions républicaines, avec tous les honneurs dues à son rang. Les railleries n’ont, de ce point de vue, aucune raison d’être et doivent cesser : elles constituent une atteinte aux valeurs qui fondent notre culture ainsi qu’une atteinte à la loi statutaire de 1961 qui stipule dans son article 3 : « La république garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion ainsi que le respect de leurs croyances et de leur coutume en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi… ».
Raphael Kaikilekofe : Folklore ou tradition ? Politique et religion ? En tout cas, pour toute cérémonie, il s’agit pour tous les habitants de protocoles officiels à suivre, y compris en tant que Président pour que le message de celui-ci soit pris en compte : à lui de savoir accepter ces différents principes qui régissent la société insulaire : à partir de là, le dialogue et les négociations sont ouverts.
Il s’agit bien de tradition qui est la base de départ, élément sans lequel rien ne peut se faire à Wallis et Futuna. C’est ce compromis dans l’évolution, des premiers navigateurs à nos jours, cette part laissée à la religion, à la politique et à la culture entre les mains de la grande tradition comme autour du kava qui fait la société Wallisienne et Futunienne. Elle a simplement adapté d’autres facteurs sociaux comme la politique, la religion et autre à la grande tradition pour que celle-ci se poursuive dans l’évolution du monde.
Une cérémonie du Kava a d’ailleurs été organisée et François Hollande semble l’avoir bien respecté. Quelle importance cela représente pour les Wallisiens et Futuniens ?
Malia Ulutuipalelei : La cérémonie du Kava est le symbole suprême de notre culture. Le respect accordé par François Hollande à cette cérémonie coutumière qui a été organisée spécialement à l’attention du président de la République qu’il est, confirme l’engagement pris par la République à l’article 3 de la loi statutaire de 1961 et ne peut que renforcer notre fierté d’appartenir à la nation française, une nation bienveillante qui respecte notre culture.
Raphael Kaikilekofe : Comme je le disais sur un article précédent, la cérémonie du kava, et ici du kava royal, est incontournable. Quant à une visite présidentielle, il s’agit d’un protocole rigoureux de très haute importance sans lequel, par expérience, une visite présidentielle ne peut se faire si il y a un refus. C’est dire toute l’importance de cette coutume et de sa haute valeur symbolique aux yeux de la population et de leurs dirigeants coutumiers.
Alexandre Juster, lors de la cérémonie du kava royal, le Président de la République a eu droit à la dernière goutte, « la plus précieuse » disait un des chefs wallisiens présents. Quelle est la signification de l’ordre dans lequel on goûte au kava ?
Alexandre Juster : Tout d’abord, la règle de préséance a été scrupuleusement suivie : elle suit l’ordre social : la coupe du Lavelua (roi), puis le Premier ministre le Kivalu, puis le second ministre, ensuite les autres ministres, on termine par les invités : l’évêque, les fonctionnaires. La dernière coupe est effectivement une coupe réservée aux invités prestigieux (à l’époque du Protectorat, c’était d’ailleurs la coupe réservée au Résident puis à l’Administrateur). Les coupes « impaires » sont les plus prestigieuses : la 1ère, 3ème, 5ème et … dernière. Le Lavelua (roi) est élu à Wallis parmi deux grandes familles. Il a y a donc toujours eu une famille qui ait été « lésée » ; mais le chef de cette famille assistait aux cérémonies et on lui réservait la dernière coupe. Il faut voir là une symétrie, le premier/dernier et les « autres » au milieu des deux. D’autres remarques : Le serveur s’agenouille, signe de respect, en tendant la coupe, et François Hollande a bien respecté la coutume de frapper trois fois dans ses mains à l’appel de son nom. Cela lui permet de montrer où il est assis et celui qui sert le kava peut s’orienter facilement vers lui. Le claquement de mains montre également la reconnaissance.
Pour en savoir plus sur le kava, c’est ici !