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Le dernier congrès des élus de Guadeloupe, ce vendredi 20 décembre, a suivi un ordre du jour particulièrement bien ciselé autour d’une seule idée : l’évolution de la gouvernance territoriale. Il ne s’est donc conclu ni par la mise en place d’un processus de changement de statut de la Guadeloupe, ni par la mise en place d’une assemblée unique même si l’idée a été mise sur la table par le sénateur socialiste Victorin Lurel. Une expertise de Didier Destouches, Maître de Conférences à l’Université des Antilles et Chercheur au CREDDI.
Il ne s’agissait donc pas d’évolution institutionnelle ou statutaire même si la direction proposée au final dans la première résolution qui a été adoptée à l’unanimité ouvre une perspective relative d’octroi d’un certain pouvoir normatif local plus étendu que l’existant. En effet les élus des deux collectivités majeures de l’archipel de la Guadeloupe ont choisi de suivre le calendrier de la révision constitutionnelle attendue au plan national, en demandant de façon habile, pour ne pas brusquer l’électorat local, une loi organique future qui permettrait d’obtenir plus de responsabilités locales dans le cadre du droit à la différenciation et sans intégrer directement l’article 74 (celui qui donne accès au niveau européen au statut de PTOM).
Rappelons qu’une loi organique est une loi supérieure à une loi ordinaire et qui fixe les règles propres à l’organisation des pouvoirs publics et des organes de l’État et surtout qui modifie ou complète la Constitution. Rappelons également que le terme « normatif » désigne à la fois ce qui est règlementaire, législatif, coutumier et même jurisprudentiel. C’est très large comme choix ! Dans ce XVI e congrès les principaux leaders de partis politiques n’étaient pas invités à intervenir. Les élus et téléspectateurs n’ont donc pas pu entendre les avis de ceux qui sont pour le passage à l’article 74 ou ceux qui ne veulent rien changer et sont pour le statut quo statutaire départemental.
Toutefois c’est le député Max Mathiasin qui a repris le flambeau et s’est voulu alarmiste et a affiché un positionnement craintif et circonspect face à ce qu’il qualifie de passage dissimulé à l’article 74 au travers des résolutions adoptées. En réalité il n’en est rien car cette proposition de loi organique s’inscrit dans la même dynamique que pour les autres territoires français qui auront accès à la différenciation et donc la possibilité de faire des normes (une appellation très générale qui englobe les lois et les règlements). Tout dépendra en revanche du type de normes et de droit local qui sera demandé. Aurons-nous le pouvoir de faire des lois dans certains domaines ou resterons nous au niveau règlementaire et donc toujours soumis au contrôle de l’État ?
Les élus se sont bien gardés d’y répondre en renvoyant cette question à de prochains congrès et aux travaux de la commission ad hoc, ainsi qu’à des consultations, plus populaires et étendues cette fois, de la société guadeloupéenne. En attendant, force est de constater que la différenciation est déjà, et depuis des années, à l’oeuvre outre-mer compte tenu de la diversité des régimes juridiques applicables et en Guadeloupe, le simple droit d’adaptation prévu par l’article 73 de la constitution est en réalité une forme de différenciation, certes soumise à une procédure de contrôle strict parlementaire pour sa mise en œuvre.
XVIème Congrès de Guadeloupe : Les élus demandent plus d’autonomie au gouvernement
Les élus ont aussi adopté trois autres résolutions qui lancent, là encore tardivement, des futurs travaux pour définir une nouvelle organisation territoriale et une nouvelle distribution des compétences entre nos collectivités avec l’espoir d’une plus grande péréquation et solidarité financières (y compris de la part de l’État). Pour les élus, les problèmes de la Guadeloupe sont surtout liés aux échecs que génèrent fatalement l’actuelle organisation territoriale. La question de la suppression des intercommunalités a donc été posée clairement mais très opportunément compte tenu des conflits récents entre le président de région et le président de l’EPCI (établissement de coopération intercommunale) Cap Excellence au sujet de la gestion de l’eau.
Mais cette idée ayant constitué un obstacle et un point de divergence trop grand entre les élus, ils lui ont substitué la proposition d’une refonte des modalités de fonctionnement des intercommunalités et notamment de la carte des EPCI. Une idée plutôt vague pour un sujet très délicat mais central dans la mesure ou les EPCI ne semblent plus correspondre aux besoins de la Guadeloupe selon les élus, en tout cas des maires. Il y a il est vrai une problématique de développement communal aujourd’hui puisque les maires sont en quête de plus de proximité et pour que cela soit efficace, il faut pouvoir agir plus concrètement sur les questions de l’eau, du transport, du ramassage des déchets et surtout de l’emploi.
De toutes façons la plupart d’entre eux se voyant ponctionner dans leurs ressources communales au profit des intercos, en rejettent l’utilité et le rôle. Il sera intéressant les jours prochains, de voir si les conseillers communautaires et le personnel de ces EPCI sont du même avis. Les quatre résolutions peuvent donc être résumées en deux points principaux : d’abord la timide demande de l’extension de la capacité à faire du droit local (règlementaire et/ou législatif) par la superposition des articles 73 et 74 en un seul article constitutionnel consacrant un processus d’évolution statutaire à la carte des collectivités ultra-marines. Ensuite une refonte de la carte des EPCI et une optimisation de leur fonctionnement.
Si ces demandes doivent encore être peaufinées grâce à un travail promis avec plus d’experts et plus de construction d’un projet politique global de développement, il est à regretter le manque flagrant d’innovation politique et juridique dans le cadre de ce congrès qui devait être le dernier et qui avait bénéficié de nombreux apports contributifs des congrès et assises précédents. Nous sommes encore loin d’une volonté claire et franche de domiciliation d’un vrai pouvoir législatif local en Guadeloupe, d’une idée précise du dispositif institutionnel nécessaire au développement local. Il y a plutôt un manque de définition chez nos élus de ce qu’est le fait d’être soi-même et à trouver le sens du pays-Guadeloupe d’abord comme le préconisait Cyril Serva ; le philosophe tant cité par les élus lors de ce congrès.
Il y a en tout cas urgence pour avancer vraiment sur cette question statutaire devenue au fil des ans un véritable serpent de mer, de convoquer les forces vives de la Guadeloupe et d’élaborer le projet politique nécessaire à la définition des catégories de normes qui devront être déclinées sous une forme locale et celles qui devront rester d’origine nationale. Ce travail doit également se faire sur le substrat d’évaluations fournies des politiques publiques menées par les collectivités. Alors on saura quelle réorganisation administrative future sera parallèlement à l’évolution statutaire la plus crédible et la plus fiable. La souveraineté, quoiqu’on en dise, ne se partage jamais; mais le pouvoir lui peut se partager. Les compétences ne sont plus suffisantes aujourd’hui pour aller de l’avant sereinement.
N’oublions pas qu’il y’a un contexte socio-politique critique en Guadeloupe. L’analyse des résultats du dernier baromètre de l’institut Qualistat nous livrait un constat sans appel et alarmant de l’état de la démocratie dans l’archipel : 45% des guadeloupéens ne font plus confiance à leurs élus. Il y’a donc une urgence de lisibilité et de pédagogie pour expliquer aux guadeloupéens quelle voie est choisie et quelle destination surtout les attendent dans cette quête déjà ancienne d’un cadre de développement optimal.
Didier Destouches, Maître de conférences à l’Université des Antilles et Chercheur au CREDDI
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