EXPERTISE. « Nous pouvons éviter que cette révision constitutionnelle ne soit une opportunité manquée pour les Outre-mer », assure l’Institut Gaston Monnerville

EXPERTISE. « Nous pouvons éviter que cette révision constitutionnelle ne soit une opportunité manquée pour les Outre-mer », assure l’Institut Gaston Monnerville

©Assemblée nationale

Dans le cadre de son déplacement dans l’Océan indien, le Président de la République est arrivé hier matin à Mayotte, et sera cet après-midi à La Réunion. Ce déplacement se veut crucial eu égard aux nombreuses problématiques rencontrées par ce territoire. Ce déplacement, ainsi que l’audition la semaine dernière de la ministre des outre-mer par la délégation sénatoriale aux outre-mer, sont l’occasion aujourd’hui de remettre au cœur du débat le projet de révision constitutionnelle. 

Le 23 juin 2019 dans l’émission Dimanche en politique, Annick Girardin, la ministre des outre-mer, prononçait ces paroles : « Je crois aujourd’hui à plus de responsabilités pour les territoires, je crois aujourd’hui à plus d’autonomie sur certains sujets, je crois aujourd’hui à une relation de confiance encore plus importante ». Ce fut pour elle l’occasion de se prononcer formellement en faveur d’une réflexion conjointe avec les parlementaires sur une différenciation accrue et une plus grande autonomie pour nos territoires.

Cette réflexion devrait être menée dans le cadre de la révision constitutionnelle, avortée à l’été 2018, qui – si un compromis avec le Sénat est trouvé – reviendra bientôt devant les parlementaires. Le projet de loi constitutionnelle, retravaillé suite à ladite « crise des Gilets jaunes », a été présenté en conseil des ministres le 28 août 2019 et, s’agissant des Outre-mer, ne diffère pas de ce que prévoyait le texte initial. En l’état, c’est un projet peu ambitieux pour les Outre-mer.

Actuellement, le statut des territoires ultramarins repose sur la dichotomie entre les articles 73 et 74 de la Constitution, exception faite de la Nouvelle-Calédonie, collectivité sui generis relevant du titre XIII de la Constitution.

Chacun de ces articles se rattachent à un principe quant à l’application du droit national.

–     Les territoires relevant de l’article 73 se voient appliquer le principe d’identité législative. Ainsi le droit national s’applique de plein droit mais il peut faire l’objet « d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. »

–     Les territoires relevant de l’article 74 relèvent du principe de spécialité législative, le droit national n’est applicable que sur mention expresse.

Cependant, cette distinction n’est que théorique et la réalité institutionnelle des territoires ultramarins est loin d’être aussi simple. Actuellement, l’article 73 dont relèvent 5 territoires, incarne quatre réalités différentes : deux territoires dotés d’une collectivité unique – la Guyane et la Martinique – le département de Mayotte, la Guadeloupe – qui est un DROM – et La Réunion qui, comme la Guadeloupe, est un DROM mais relève d’un régime particulier avec l’alinéa 5 ne lui permettant pas de bénéficier des procédures d’adaptation.

En outre, les choses ne sont pas bien différentes au sein de l’article 74 avec un spectre d’autonomie assez large entre Saint-Pierre-et-Miquelon, jouissant d’un régime proche de celui prévu à l’article 73 et la Polynésie, territoire très autonome.

Cette complexification institutionnelle des Outre-mer a été beaucoup commentée par la doctrine juridique. Nous pouvons notamment citer à l’appui, l’intervention de Véronique Bertile lors d’un colloque le 5 avril 2018, à l’Assemblée nationale portant sur la réforme constitutionnelle et dont la transcription est disponible ici.

Partant de ce constat, plusieurs perspectives s’offrent à nous et ces choix reposent essentiellement sur la volonté des élus locaux comme nationaux de porter certaines revendications dans le cadre de cette révision. Le Gouvernement semble y être favorable, comme l’a rappelé la ministre des outre-mer lors de son audition par la délégation outre-mer du Sénat, le jeudi 17 octobre 2019.  Il en ressort que cela pourrait prendre la forme de véritables statuts « à la carte » avec définition des compétences dans une loi organique. Cette proposition fait écho au « cousu main » défendu par le Premier ministre dans le cadre de la création d’une collectivité européenne d’Alsace, actant notamment la fusion des deux départements rhénans et l’octroi de compétences supplémentaires en matière linguistique et de coopération transfrontalière par exemple.

Ainsi, selon la volonté des élus et sur le fondement des demandes venues des territoires, nous pouvons éviter que cette révision constitutionnelle ne soit une opportunité manquée pour les outre-mer. Plus de 70 ans après les lois de départementalisation des quatre vieilles colonies, il est temps de repenser la relation entre l’État et les territoires d’Outre-mer. Cet enjeu s’avère particulièrement prégnant dans les départements et régions d’Outre-mer que sont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion.

En effet, des revendications émergent déjà çà et là, à commencer par la Guadeloupe, dont les élus, lors du XVeCongrès des élus départementaux et régionaux, se sont déclarés favorables à une évolution institutionnelle dans le sens d’une plus grande différenciation. C’est aussi le cas de la Guyane dont les élus sont déterminés à s’engager dans cette réflexion.

Par ailleurs, d’autres propositions comme celle de l’adoption d’un article unique, exposée dans ces colonnes par Véronique Bertile et reprise par Annick Girardin lors de son audition au Sénat, permettraient d’acter la diversité des statuts des collectivités ultramarines et la frontière brouillée entre les articles 73 et 74 de la Constitution.

De même pour un territoire comme La Réunion, cette révision pourrait être l’opportunité de sortir d’un régime contraignant issu de l’alinéa 5 de l’article 73 dit « amendement Virapoullé ». Cet alinéa que l’éminent constitutionnaliste Guy Carcassonne jugeait lui-même, comme étant « loufoque », un « obstacle constitutionnel imprudent et indécent ». Cette suppression permettrait dès lors à La Réunion de jouir a minima des mêmes possibilités que les autres DROM, régis par l’article 73.

Plus concrètement, les effets seraient pour ces territoires de bénéficier de normes en phase avec leur réalité. Nous pensons par exemple au secteur du bâtiment qui souffre de normes de construction pensées depuis l’Hexagone et inadaptées tant aux besoins de la population qu’à son environnement. Les professionnels sont ainsi les premiers à appeler de leurs vœux une adaptation de ces normes au contexte notamment environnemental pour favoriser le développement économique du secteur.

Partant, contrairement à ce que certains voudraient à dessein faire croire, ce débat ne se construit pas autour du « pour ou contre l’indépendance », « pour ou contre l’appartenance à la République ». La question de l’appartenance à la République n’est, d’une part, pas l’objet du débat et, d’autre part, n’est pas à remettre en cause. La question est : quelle relation souhaitons-nous entretenir avec l’État ? Il s’agit d’une question de décentralisation, d’autonomie des collectivités territoriales, d’un débat autour de la possibilité et de la capacité des territoires ultramarins à adapter les normes juridiques à leur réalité, aux problématiques spécifiques rencontrées par chacun d’entre eux.

Finalement, cette révision, au-delà de la question institutionnelle, pose celle du modèle de développement pour nos territoires, de la capacité de ces derniers à se saisir pleinement des outils à leur disposition pour l’atteindre, mais aussi de la volonté des élus d’exercer des compétences élargies pour répondre au mieux aux besoins de nos Outre-mer.

Institut Gaston Monnerville

IGM