Expertise : Les Outre-mer, trait d’union entre l’Europe et le reste du monde

Expertise : Les Outre-mer, trait d’union entre l’Europe et le reste du monde

« Osons l’Europe, pour un véritable développement des outre-mer, trait d’union entre l’Europe et le reste du monde », c’est le titre de la nouvelle expertise du Think tank Les Alizées – La fabrique outremer, pour qui les territoires ultramarins sont de véritables « leviers d’appui pour une stratégie européenne fondée sur la sécurité, le développement durable ou la transition écologique et reposant à l’avenir sur des partenariats avec l’Afrique, l’Amérique du sud ou l’axe indo-pacifique ». 

Les élections européennes n’ont jamais beaucoup mobilisé les outre-mer. Avec 1,6 million d’électeurs, l’abstention aux élections de 2014 a dépassé 80% soit 2,5 fois plus que l’hexagone. Les raisons en sont multiples : méconnaissance du rôle de l’Europe outre-mer, éloignement, désamour, symbole d’un passé européen colonial pas si lointain, complexité de la gouvernance, transparence insuffisante…

Pourtant, l’Europe, ce sont d’importants financements au bénéfice des outre-mer, qui concourent à la construction d’infrastructures, au développement du tourisme, du numérique, de l’insertion professionnelle ou de la réalisation de lieux symboliques tels le Mémorial Act en Guadeloupe. Près de 5 milliards € devraient ainsi être versés entre 2014 et 2020 aux 5 départements et régions d’outre-mer français (DROM) à Saint-Martin et à Saint-Pierre et Miquelon (statut de PTOM). S’y ajoute le fonds européen de développement (FED) pour les autres territoires ultra-marins et le Pacifique sud.

Mais, l’Europe pour les outre-mer, c’est bien autre chose que des financements. C’est une histoire et un devenir. Comme d’autres Etats européens, la France est arrivée dans les outre-mer d’aujourd’hui par la mer et la colonisation, comme jadis Athènes, Corinthe ou Sidon avaient « colonisé » les rives de la mer Méditerranée. L’horizon Braudelien s’est élargi aux trois océans.

En dépit d’une histoire longtemps et encore douloureuse, les outre-mer ont peu à peu hérité, au cours du XXème siècle, des deux conflits mondiaux et des décolonisations, des valeurs de paix, de solidarité et de démocratie qui ont émergé du vieux continent européen. L’épopée du Bataillon du Pacifique, venu de Nouvelle-Calédonie et de Tahiti, en conserve le souvenir. Au fil des temps, les valeurs démocratiques, inscrites dans le traité de l’union européenne (liberté, démocratie, respect des droits de l’homme et des minorités, pluralisme, non-discrimination, tolérance, justice, solidarité et égalité hommes / femmes …) ont été partagées par la plupart des territoires ultra-marins (1), sur 3 océans. L’enjeu des élections européennes, pour les outre-mer français comme pour les autres, c’est bien de porter au plus haut les valeurs de démocratie mais aussi de solidarité et de développement.

Le projet européen peut être aussi le devenir des outre-mer et donner à ceux-ci l’occasion de sublimer ses résiliences historiques et identitaires pour permettre à la France, qui tourne la page de la colonisation, d’écrire une autre histoire de la mondialisation. Il peut donner l’opportunité à la France de valoriser ses territoires éloignés et insulaires par une différenciation assumée à partir de cultures et d’histoires spécifiques, permettant aussi aux outre-mer d’être un trait d’union avec les Etats de leur environnement régional. L’Europe, qui pilote et finance depuis plusieurs décennies un réseau trans- européen des transports ne peut-elle maintenant élargir ce réseau aux Pays, territoires et départements d’outre-mer liés historiquement aux Etats-membres de l’Union ?

Avec des valeurs démocratiques en partage, l’Europe peut mieux faire et plus vite pour les outre-mer.

Le développement économique des outre-mer n’a pas été véritablement au cœur des politiques communautaires outre-mer, ou, quand il l’a été, c’est avec une efficacité limitée (l’aide au fret par exemple). Comment ne pas rappeler que, malgré les politiques nationales et communautaires mises en œuvre depuis plusieurs décennies, les territoires d’outre-mer restent marqués par un taux de chômage double de celui de l’hexagone, un taux de pauvreté élevé et le départ des jeunes ?

Comment ne pas relever également ce fossé entre l’ambition des traités européens qui font de l’espace communautaire un territoire ouvert, où circulent librement les personnes, les biens et les capitaux et l’espace ultra-marin, encore très tourné et replié sur l’hexagone (2) ?

Parallèlement à leur appartenance à l’espace économique européen, les RUP aspirent à échanger, acheter et vendre, avec les Etats de leur environnement régional. Or, leur insertion économique dans leur espace géographique de proximité (grande Caraïbe, Océan Indien, Amérique du sud…) reste à construire. De fortes contraintes, issues de l’appartenance à l’espace communautaire, limitent en effet cette ouverture régionale : normes salariales, droit social et du travail, normes techniques, contraintes environnementales …. Ces « petites économies insulaires » que sont les outre-mer français sont d’abord des îlots au coût du travail et aux normes de production élevés : très protecteurs pour les populations et les salariés, ils constituent des barrières qui les isolent de leur environnement régional.

800.g.3.7.c3.

Dans ces conditions, ne faut-il pas faire évoluer les outils européens existants pour permettre un réel développement économique des outre-mer, ouvert sur l’espace économique régional ? A cet égard, l’article 349 du TFUE, qui permet de tenir compte de la situation économique et sociale structurelle des RUP pour « arrêter des mesures spécifiques » est resté très peu utilisé, y compris après l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 15 décembre 2015 (arrêt Mayotte) qui a pourtant considérablement élargi la portée de cet article. L’enjeu des prochaines élections européennes, c’est donc aussi de pouvoir recourir massivement aux possibilités de dérogation permises par l’article 349 du TFUE et demander à l’Union européennes de construire des politiques spécifiques différenciées permettant tout à la fois de mieux répondre aux difficultés de développement rencontrées par les outre-mer et, en même temps, de mieux valoriser leurs potentiels, par exemple :

  • Par un recours direct des autorités ultra-marines à ces possibilités de dérogation ;
  • Par un appui à la structuration des filières de production valorisant les productions locales (produits agricoles, mines, énergie, bio diversité…), en concentrant les aides à la recherche, à l’innovation, à l’emploi, à la formation, à la mise en marché… sans exclure, quand cela s’avère nécessaire, des aides à l’exportation ou des mécanismes protecteurs temporaires ;
  • Par un recours accru aux outils européens permettant de favoriser la concurrence et de lutter contre les monopoles (distribution, importation…), contre la vie chère.

Est-il possible aussi de desserrer les contraintes qui freinent l’ouverture des RUP sur leur espace économique régional ? En d’autres termes, comment marcher sur ses deux jambes, maintenir des liens puissants avec l’espace économique européen et, en même temps, être acteur du développement économique régional ? L’Union européenne pourrait privilégier de façon plus systématique des politiques communes à un espace géographique régional, réunissant département/région d’outre- mer et pays tiers, comme elle le fait déjà, dans le Pacifique par exemple, au travers du programme régional océanien pour l’environnement ou de l’engagement en faveur des océans (réduction des pollutions plastiques, développement de la pêche soutenable …). Par leur situation géo-climatique, les territoires d’outre-mer peuvent porter, au bénéfice de tout l’espace régional, des politiques qui favorisent la transition écologique et énergétique (filière énergétique décarbonée), qui anticipent sur les risques climatiques ou qui soutiennent une gestion durable des ressources de la planète (forestières ou minières en Guyane, pêche durable dans l’océan indien et le Pacifique…). L’Europe pourrait ainsi accompagner le co-développement économique régional auquel aspirent les territoires d’outre-mer.

Les mois qui vont suivre les prochaines élections européennes seront cruciaux pour l’ensemble des états membres de l’union européenne mais aussi pour les ultra marins qui devront faire entendre leurs voix dans la triple négociation qui s’annonce, concernant le prochain cadre financier pluriannuel (le budget européen) de 2021/2027, la nouvelle décision d’association entre l’union européenne et les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) qui doit entrer en vigueur en janvier 2021 et enfin, les accords de Cotonou liant l’Europe et 79 états d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique, qui expirent en 2020. Les ultramarins devront être directement partie prenante de ces négociations.

Pour transformer la relation outre-mer / union européenne, qui tient encore trop souvent du cahier de doléances, en une stratégie gagnant/gagnant, demandons plus et mieux à l’Europe :

  • Expérimentation outre-mer de la « banque européenne du climat » et, pour mieux faire face aux catastrophes naturelles et climatiques, d’une « force européenne de protection civile » ;
  • Mobilisation accrue des fonds européens pour les investissements stratégiques (FEIS) du plan Juncker, qui ont pleinement vocation à accompagner les projets ultramarins ;
  • Mobilisation accrue des fonds européens pour la R&D et le numérique, pour favoriser une adaptation plus rapide des outre-mer aux enjeux climatiques et environnementaux et y développer plus largement la French tech ;
  • Présence plus forte des étudiants et apprentis ultra-marins dans les programmes Erasmus ;
  • Forte mobilisation pour faire bouger les normes freinant le développement des économies ultramarines (construction, logement) quand elles n’ont pas vocation à protéger la population (sanitaire, sécurité…). Qu’attend-on pour faire comme la Nouvelle-Calédonie (compétente dans ce domaine) qui vient d’agréer le « pinus » calédonien pour la construction ?
  • Mise en place de task forces permettant l’accompagnement par l’Union européenne sur une question à fort enjeu, comme aux Canaries (gestion durable des déchets) ou à la Réunion (transition énergétique). Une task force sur la gestion de l’eau ne peut-elle être envisagée ?
  • Refondation d’une agriculture ultramarine, axée sur l’agro-écologie, les besoins locaux et l’exportation de produits à forte valeur ajoutée, avec un meilleur ciblage des aides communautaires sur l’autonomie alimentaire ;
  • Présence de représentants des territoires ultramarins dans la renégociation des accords commerciaux avec les pays ACP.

L’avenir de l’Europe se construit dans les 3 océans. Les grandes puissances sont de plus en plus tournées vers la mer et les côtes, avec des enjeux considérables en termes de développement. Les routes maritimes se déplacent de l’Atlantique vers le Pacifique, l’Océan indien et les nouvelles routes de la soie. Dans cette économie de plus en plus maritime, numérique et mondialisée, les outre-mer ont une carte à jouer et peuvent offrir à l’Europe, terrestre et continentale, des leviers d’appui pour une stratégie européenne fondée sur la sécurité, le développement durable ou la transition écologique et reposant à l’avenir sur des partenariats avec l’Afrique, l’Amérique du sud ou l’axe indo-pacifique. A la vision traditionnelle et appauvrissante de territoires périphériques à l’Europe, il faut oser pour l’avenir, des outre-mer, new deal (nouvelle frontière) de l’Europe. Le développement des outre-mer ne pourrait-il être une grande cause européenne pour 2022 ? Pourquoi ne pas proposer une ville d’outre-mer, capitale européenne de la culture ?

Les Alyzées – la Fabrique Outremer 

(1) Soit 9 régions ultra -périphériques (RUP) intégrées à des états membres de l’union européenne (dont, pour la France, laGuadeloupe, la Martinique, la Guyane, la Réunion, Mayotte et Saint-Martin) et 26 pays et territoires d’outre-mer (PTOM), associés selon des modalités variables à un état membre de l’union européenne (dont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, les TAAF et Saint-Barthélemy).

(2) 60 à 70% des importations (hors services) proviennent de de l’hexagone ou d’Etats membres de l’Union européenne.