EXPERTISE. Congrès des élus de Guyane : Un nouveau projet d’accord relatif à l’avenir de la Guyane par Pierre-Yves Chicot

EXPERTISE. Congrès des élus de Guyane : Un nouveau projet d’accord relatif à l’avenir de la Guyane par Pierre-Yves Chicot

Le 29 juin 2001, lors d’un congrès rassemblant les élus départementaux et régionaux a été adopté « le projet d’accord sur l’avenir de la Guyane » dans la commune de Rémire-Montjoly, ayant pour devise : « n’est beau regard sans âme claire », ainsi appelée, car reflétant l’alliage de l’identité amérindienne et créole. Retour et explications sur le Congrès des élus de Guyane qui s’est tenu le 14 janvier 2020 avec Pierre-Yves Chicot, Maître de conférences de droit public et avocat au Barreau de la Guadeloupe.

Du projet d’accord (2001) au projet Guyane (2020)

19 années plus tard, le 14 janvier 2020 « le projet Guyane » est adopté par la même institution, le congrès. Pour autant, celui-ci n’a pas la même configuration dans la mesure où la loi 2011-884 du 27 juillet 2011 a procédé à la fusion du conseil général et du conseil régional pour donner lieu à la création de la collectivité territoriale de la Guyane (CTG).

L’histoire écrite par les hommes peut être lue par la postérité. C’est ainsi que ce projet d’accord relatif à l’avenir de la Guyane est à l’origine de l’appellation de l’actuelle CTG puisque le document de 2001 désignait déjà une institution qui n’a vu le jour de manière effective qu’au 1 er janvier 2016. Par ailleurs, ayant le souci prégnant de rédiger « un préambule qui a du souffle », pour reprendre l’expression de ses penseurs, la sociologie singulière du territoire et son histoire ont été constamment au centre des débats. La loi du 27 juillet 2011 fusionnera le CESER (conseil économique et social régional) et le CCEE (conseil pour la culture l’éducation et l’environnement), mais créera une nouvelle institution qui prend en compte la haute importance de la coutume guyanaise (amérindiens et bushi-nengés) qui cohabite avec la règle de droit, républicaine. Le conseil consultatif des populations amérindiennes et bushi-nengés est directement inspiré du document de 2001 qui consacre « le Conseil des autorités coutumières ».

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En faisant ressurgir « le projet d’accord sur l’avenir de la Guyane », on a l’étrange sentiment, mais tellement avéré, que le temps s’était arrêté pendant 20 ans. Il convient aussi de rappeler la puissance du consensus qui s’était dégagée. Les partis politiques guyanais de l’époque avaient en effet pris le parti de ne pas conduire une campagne électorale dure lors des élections cantonales de 2001, afin de ne pas briser le consensus politique. La droite républicaine locale, la gauche guyanaise, les anticolonialistes avaient scellé un pacte de transcendance idéologique pour retenir comme objectif exclusif et ultime : « l’avenir de la Guyane ».

On ne saurait interpréter autrement la décision politique prise le 14 janvier 2020 que celle de l’insatisfaction née de la loi du 27 juillet 2011 qui est ni plus ni moins une transformation institutionnelle insipide, obéissant à la logique du new public management et de la rationalisation administrative. Il convenait vaille que vaille de fusionner pour réduire les coûts publics. Par ailleurs, il serait parfaitement loisible de soutenir l’idée que la Guyane et la Martinique sont, au travers de cette loi de 2011, des terrains locaux d’expérimentation de la création de grandes régions qui seraient dépouillées de l’institution départementale. C’est l’inénarrable homme de culture et juriste, Jean-Marie Pontier, qui affirme que « les outre-mer constituent un laboratoire institutionnel pour la République ».
La collectivité unique guyanaise est une réformette institutionnelle et ne satisferait donc en rien aux ambitions plus grandes, nourries par le « projet d’accord relatif à l’avenir de la Guyane » (2001) et le projet Guyane (2020). Ainsi peut-on comprendre à la fois le sens politique et la symbolique de la marche en avant décidée par le congrès du 14 janvier 2020.

«Le choix opéré n’est pas celui de la perpétuation du droit commun, mais celui du choix de la mise en place d’une collectivité sui generis caractérisant le désir d’une transformation statutaire.»

L’écriture d’une ambition guyanaise

De toutes les collectivités d’outre-mer, la Guyane occupe certainement la première position en termes de création de richesses, potentielle et réelle, qui n’a pas d’équivalent. Avec une superficie équivalente à celle du Portugal ou de l’Autriche, la Guyane est située sur le sous- continent d’Amérique du Sud et a pour voisin le géant économique et démographique, le Brésil. La commune de Kourou est le port spatial de l’Europe. Sinnamary, commune distante d’une soixantaine de kilomètres de sa voisine accueille des installations de la fusée russe Soyouz. La France est un membre du cercle très fermé des 17 pays mégadivers (possédant plus de 50% de la biodiversité mondiale) car la Guyane est située au cœur de l’Amazonie et possède un sous-sol regorgeant d’or et vraisemblablement de pétrole. On pourrait citer d’autres secteurs économiques aussi prometteurs que la pêche, l’agroforesterie, la biomédecine, la biopharmacie etc.

On connaît la formule Mitterandienne restée célèbre : « les fusées lancées sur fond de bidonville ». Et celle plus actuellement du Sénateur Antoine Karam, ancien président du conseil régional : « Nous sommes sur une poudrière, et la mèche est allumée ». C’est précisément ce qui représente l’insupportable pour la population guyanaise, l’absurdité de la mise à disposition, par la Nature, de tant de moyens naturels sans que son exploitation ne procure plus de bénéfices au territoire pris dans son ensemble.

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L’histoire récente nous rappelle que le « Document d’orientation d’un pacte de développement pour la Guyane » avait été adopté par le congrès du 27 février 1999 en ayant été précédé par des manifestations de chefs d’entreprise, notamment, vitupérant contre un contexte économique atone. Le congrès, création guyanaise en marge de la loi, sera formalisé par la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer. On observe que cette exaspération quasi permanente a pris la forme d’expressions violentes dans les rues de Cayenne en 1996 permettant d’obtenir le Rectorat. Le dialogue difficile entre le gouvernement et le Komité pou nou démaré la Gwyan a été à l’origine d’affrontements violents entre les manifestants et les forces de l’ordre dans les rues de Cayenne les 27, 28, et 29 novembre 2000. Ce sont également des manifestations bruyantes qui ont conduit à la création de l’Université de Guyane le 30 juillet 2014, par décret.
Les événements de mars 2017 qui ont donné lieu aux accords de Guyane du 21 avril 2017 ont certainement influencé l’orientation politique prise par le congrès. En effet, le choix opéré n’est pas celui de la perpétuation du droit commun, mais celui du choix de la mise en place d’une collectivité sui generis caractérisant le désir d’une transformation statutaire.

«Ce consensus politique ne doit pas non plus laisser croire qu’une voie royale est ouverte pour parvenir à la transformation statutaire»

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Et après

La résolution du congrès du 14 janvier 2020 indique que la CTG saisira le Gouvernement pour lui soumettre le projet de création d’une collectivité territoriale guyanaise sui generis. L’option prise correspond « au statut cousu mains », expression des sénateurs français, si chère au feu Sénateur Georges Othily. Le vote du 14 janvier 2020 qui constitue un consensus politique, condition minimale pour envisager la poursuite de toute réforme institutionnelle ou statutaire, aura pour effet la consultation de la population, sur la base du projet Guyane, conformément à l’exigence constitutionnelle. On n’omettra pas de souligner que la décision de convocation des électeurs de la collectivité concernée est une prérogative discrétionnaire du Président de la République. Au préalable, un groupe de travail sera chargé de donner davantage de consistance au projet Guyane, dont la rédaction substantielle a commencé, faut-il le rappeler, il y a 20 ans. Ladite commission devra vraisemblablement travailler sans relâche, car le délai fixé pour la tenue d’un prochain congrès est de 6 mois.

Ce consensus politique ne doit pas non plus laisser croire qu’une voie royale est ouverte pour parvenir à la transformation statutaire. Pourquoi ? Pour au moins trois raisons. La première concerne le dessein du pouvoir central pour la Guyane. Celui-ci est-il favorable à l’institutionnalisation de la collectivité territoriale guyanaise sui generis ? On ne saurait oublier que le projet d’accord sur l’avenir de la Guyane a été malicieusement écarté par Nicolas Sarkozy en prévoyant deux consultations les 10 et 24 janvier 2010. Le résultat désormais connu sera le triomphe, dans les urnes, du choix de Messieurs Fillon, Sarkozy et de Mme Penchard, le 24 janvier 2010. Deuxièmement, de quelle garantie dispose-t-on pour affirmer sans risque de se tromper que le consensus restera solide, rendant irrésistible l’envie d’un ou d’une, de se muer en chevalier blanc des acquis sociaux que menacerait le statut de la collectivité sui generis promise à la population guyanaise ? Enfin, quid de la vox populi ?
Partout en France, y compris en Guyane, le contexte est celui d’un sentiment de défiance mâtiné d’une forte méfiance des citoyens-électeurs vis-à-vis des dirigeants politiques. Certaines séquences du congrès du 14 juin 2020 dont ont été témoins les guyanais ne sont pas de nature à créer la confiance et fragilisent un consensus politique, à l’évidence, qui n’est pas celui de 2001.

Pierre-Yves CHICOT
Maître de conférences de droit public – Habilité à Diriger les Recherches
Avocat au Barreau de la Guadeloupe