« La Réunion est à la croisée des chemins. En effet, le modèle de développement sur lequel elle s’est bâtie depuis la départementalisation de 1946 a atteint ses limites ». Avant le mouvement des gilets jaunes et de la crise sociale qui paralyse l’île de La Réunion, l’ensemble des parlementaires réunionnais, sénateurs et députés de tous bords confondus, ont entamé un travail de réflexion sur un « projet de La Réunion pour les 20 prochaines années ». En exclusivité, Outremers360 s’est procuré le préambule de cette plateforme commune, dont la première étape a eu lieu mi-octobre, mise en place par David Lorion, Erika Bareigts, Huguette Bello, Jean-Hugues Ratenon, Jean-Luc Poudroux, Nadia Ramassamy, Nathalie Bassire, Nassimah Dindar, Viviane Malet, Jean-Louis Lagourgue et Michel Dennemont :
La Réunion est à la croisée des chemins. En effet, le modèle de développement sur lequel elle s’est bâtie depuis la départementalisation de 1946 a atteint ses limites.
Les constats sont connus et partagés.
De fait, La Réunion traverse depuis plusieurs années une crise à la fois économique, sociale et sociétale. Sur le plan économique, si le PIB de La Réunion a doublé entre 1996 et 2010 pour atteindre 15.2 milliards d’euros – entre 1993 et 2007, La Réunion fut même la région française connaissant la plus forte croissance – il est quasi stationnaire depuis 2012. Et malgré cette période de forte croissance, le revenu disponible par habitant, qui s’élevait à 17.300 € en 2016, reste 1,5 fois plus faible qu’en moyenne nationale.
Depuis 2012 en tous les cas, le département ne crée quasiment plus d’emplois et des pans entiers de son économie, comme le BTP qui a perdu la moitié de ses effectifs entre 2010 et 2015, sont extrêmement fragilisés. L’économie continue sa tertiarisation, avec une surreprésentation des fonctions d’administration, d’enseignement et de santé. L’appareil productif réunionnais reste à cet égard bien spécifique. Le tissu économique est essentiellement composé de petites entreprises, dont les créations ont tendance à baisser depuis 2010. En 2015, l’INSEE comptabilisait plus de 50.000 entreprises à La Réunion, mais les ¾ n’avaient aucun salarié. Il s’agit d’un indice témoignant à la fois de la petitesse et de la fragilité des entreprises réunionnaises. D’ailleurs, seulement 31% des entreprises ont dix ans et plus d’existence, contre 43% en France hexagonale.
Le chômage a, parallèlement, considérablement augmenté : il affecte désormais 170 000 Réunionnais, soit 30 000 de plus qu’il y a six ans. Et en à peine 3 ans, nous sommes passés de 93 880 bénéficiaires du RSA à 110 000.
La crise économique que connaît La Réunion, qui touche quasiment toutes les familles, est aussi sociale. Nous parlions d’ « urgence sociale » en 2012 ; les travailleurs sociaux malheureusement, qu’ils travaillent au Département, dans les CCAS ou dans les associations, confirment tous que cette urgence s’est désormais doublée d’une sorte de désespérance, notamment chez les jeunes. Le système social réunionnais, aujourd’hui, n’offre plus de perspectives à une population toujours marquée par des indicateurs sociaux préoccupants tels que l’illettrisme (3 fois supérieur à la moyenne nationale chez les jeunes), les grossesses précoces (3,7% des naissances, 5 fois plus que dans la moyenne nationale), l’alcoolisme (responsable de 15% des décès prématurés).
On retrouve cette extrême précarité dans la situation du logement. La Fondation Abbé Pierre estime qu’un Réunionnais sur 10 vit dans une situation de mal logement. 12.000 personnes seraient en hébergement contraint, environ 2700 seraient SDF dont 300 vivants réellement dans la rue. 60% des familles sont éligibles aux logements très sociaux. 28 000 demandes ont été formulées en 2017, mais seules 8 000 familles ont eu une réponse positive. Et la crise que connaît le BTP ne permettra pas d’améliorer cette situation puisque la construction ne cesse de diminuer, et seuls 2 300 nouveaux logements ont été livrés l’an passé.
À ce volume trop faible s’ajoute une autre difficulté : les logements proposés ont des niveaux de loyer trop élevé. La moitié des Réunionnais gagne moins de 1 000 euros par mois, et un tiers dépendent du RSA. 340 000 personnes sont sous le seuil de pauvreté. Il est donc difficile d’accéder au logement et de s’y maintenir. Sur ce dernier point, la Fondation Abbé Pierre relève 1 468 assignations au tribunal pour impayé de loyer l’an dernier, et plus de 100 expulsions avec le concours de la force publique, ce qui constitue un record.
Le mal-logement se décline également par 17 000 logements indignes à La Réunion. 20 % des familles sont en situation de surpeuplement. 35 % de ces personnes sont dans le parc social. Les impacts sociaux sont notamment les problèmes de santé, et une scolarité plus difficile des enfants.
Parallèlement, alors que la situation sociale empire, les moyens des collectivités ont été drastiquement réduits, et cette tendance se poursuivra sur les prochaines années, puisque les « contrats de confiance » auxquels elles ont été soumises ne leur donnent pas les marges de manœuvres suffisantes pour pouvoir inverser la tendance. De même, la baisse des contrats aidés et le renchérissement de ceux-ci ont diminué les capacités d’intervention de la puissance publique, car même si les contrats aidés ne débouchaient que très rarement, en effet, sur une insertion durable, ils permettaient au moins un traitement social du chômage.
La croissance démographique de La Réunion – nous serons 1 million d’habitants dans 10 ans environ – crée de nouveaux défis que nous avons collectivement à relever et qui s’ajoutent à ceux que nous connaissions déjà. Il en est ainsi par exemple du traitement des déchets, alors que chaque Réunionnais produit 607 kg/an de déchets, soit plus de 500 000 tonnes annuelles. Les centres d’enfouissement, qui reçoivent aujourd’hui 70% des déchets ménagers et assimilés, seront bientôt saturés. Il nous faut donc à la fois améliorer le tri sélectif – malgré d’indéniables progrès, les Réunionnais trient moitié moins que les Français de l’Hexagone – et concevoir une solution de traitement des déchets pérenne et durable.
Ces constats sont, nous le disions, partagés par tous. Devrions-nous les brandir comme des étendards pour réclamer la charité ? Sont-ils suffisants pour que nous baissions les bras dans une sorte de fatalisme impuissant ?
Ce n’est évidemment pas notre opinion. Comme l’indiquait justement, dans son programme, le candidat Emmanuel Macron, les Outre-mer «demandent à pouvoir développer des activités économiques dans leurs territoires et à vivre de leur travail » et La Réunion ne fait pas exception. Car notre territoire a des atouts à faire valoir.
Un atout géographique d’abord, car, terre française et européenne, elle est à la confluence des zones de croissance économique et démographique mondiales, avec l’Asie de la Chine et de l’Inde, mais aussi l’Afrique de l’Afrique du Sud, de la Namibie ou du Zimbabwe. Un atout humain ensuite : La Réunion a une population jeune et formée, ouverte sur le monde de par son métissage et le vivre-ensemble qu’elle connaît au quotidien.
Enfin, La Réunion dispose d’un atout environnemental unique, inscrit au Patrimoine Mondial de l’Unesco, source de richesses potentielles en matière de tourisme mais aussi d’exploitation pharmaceutique, par exemple, de sa biodiversité.
Pour pouvoir tirer le meilleur parti de ses atouts, La Réunion a besoin d’une vision cohérente et pérenne dans le temps.
Nous avons besoin que les dispositifs sur lesquels les entreprises, les porteurs de projet peuvent s’appuyer s’inscrivent dans la durée. Or, les réformes récemment annoncées viennent en contradiction avec cette nécessité. La suppression de l’abattement fiscal de 30%, au motif d’un alignement sur le système fiscal national comme la suppression du dispositif de la TVA non perçue récupérable créent de l’instabilité, préjudiciable à la confiance et au développement économique. Elles auront forcément des répercussions sur le pouvoir d’achat des ménages imposables et sur le niveau d’investissement des entreprises, et donc sur les deux seuls moteurs créateurs d’emplois.
Par ailleurs, la discordance entre la ministre des Outre-Mer et la ministre de la Santé sur la fiscalité devant s’appliquer aux rhums ultramarins est symbolique d’une part des atermoiements auxquels sont confrontées les entreprises ultramarines et d’autre part de l’absence de vision cohérente et partagée au plus haut niveau de l’Etat pour les Outre-Mer.
Il est temps que ces contradictions ; il est temps que ces valses hésitations cessent. Il est temps que nous puissions ensemble nous projeter.
Dans son programme qui a massivement attiré la confiance des Outre-Mer, Emmanuel Macron soulignait qu’il fallait « rattraper les retards », « améliorer la vie quotidienne des habitants, attirer les investisseurs et dynamiser le tourisme ». Et reconnaissait-il encore, « nous devons prendre en compte les spécificités des Outre-mer dans nos politiques publiques. Nous ne pouvons pas avoir des règles uniformes qui s’appliquent de la même manière dans les régions ultrapériphériques comme dans l’Hexagone ».
Dans cette même logique, le Président Macron, au moment de la présentation du Livre Bleu qui clôturait les Assises de l’Outre-Mer, a promis aux élus ultramarins que « des feuilles de route seront déclinées d’ici à l’automne » et « feront l’objet d’un contrat entre le gouvernement et les élus ».
Ce sont les prémices de ce contrat que nous, les 7 députés et les 4 sénateurs de La Réunion, proposons dans une démarche qui, si elle ne constitue pas une première, n’en reste pas moins historique. Il nous appartient de porter ensemble, avec le Gouvernement, le projet de La Réunion pour les 20 prochaines années. Ce projet est cohérent, responsable et ambitieux. Il prend en compte les enjeux que La Réunion doit relever, en s’appuyant sur les atouts de notre territoire et de notre population, en ne minorant pas non plus les retards et handicaps structurels qui sont les nôtres, mais aussi en ne niant pas les nécessaires efforts d’équilibre financier que la Nation tout entière doit réaliser. Il a pour ambition, pour nécessité, de porter l’espérance de La Réunion et des Réunionnais, en dépassant les peurs et les blocages actuels qui parfois, nous entravent au point de nous condamner à l’inaction et l’immobilisme.
Il est, nous en sommes convaincus, le levier qui permettra à La Réunion et aux Réunionnais d’aborder avec confiance l’avenir et qui permettra à la France de tirer le meilleur parti de son département qui peut et doit être la base avancée de notre pays dans l’océan Indien.
Députés:
- Éricka Bareigts, PS
- Huguette Bello, GDR
- Jean-Hugues Ratenon, LFI
- Nathalie Bassire, LR
- Nadia Ramassamy, LR
- David Lorion, LR
- Jean-Luc Poudroux, LR
Sénateurs:
- Nassimah Dindar, UDI
- Michel Dennemont, LREM
- Jean-Louis Lagourgue, Le Indépendants, République & Territoires
- Viviane Malet, LR