Le 5 janvier 2010, l’Assemblée Nationale et le Sénat adoptent la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, autrement appelée Loi Morin. Depuis, les associations de vétérans pointent du doigt l’inefficacité de cette loi. Le Conseil d’Etat vient de trancher en leur faveur.
« Un loi d’indemnisation qui n’indemnise et ne satisfait… personne ! » scandaient les vétérans du nucléaire. Entre 2010 et 2015, seuls 2% du millier de demandes d’indemnisations reçues par le Comité d’Indemnisation des Victimes des Essais Nucléaires (CIVEN) ont été validées. Pire encore, on estime à près de 150 000 le nombre de victimes potentielles des radiations atomiques. En 2012, François Hollande promettait une révision de la Loi Morin. Promesse balayée aussitôt élu, au grand désespoir de l’association Moruroa e Tatou, qui s’occupe des vétérans polynésiens. En 2015, « 160 jugements et 39 arrêts avaient été rendus par des tribunaux ou cours administratives d’appel sur ce contentieux », explique nos confrères de Radio 1 Tahiti. Le 7 décembre et pour la première fois sur ce sujet, le Conseil d’Etat a joué son rôle d’arbitre ultime du droit administratif. Sa jurisprudence est proche de celle en vigueur au tribunal administratif de Papeete et favorable aux victimes.
Beaucoup de refus donc, de la part de l’Etat et du CIVEN, vis-à-vis des nombreuses demandes d’indemnisations. Le refus d’indemniser faisait suite à « un examen purement statistique » des expositions aux rayons ionisant, basé sur les mesures de surveillance et de contamination. Mais les 7 décembre 2015 et 6 janvier 2016 derniers, le Conseil d’Etat prend sept décisions dans lesquelles il juge que l’Etat doit « vérifier que les mesures de contamination ont été suffisantes » et « nécessaires ». Si ce n’est pas le cas, « l’administration ne peut avoir rapporté la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaire doit être regardé comme négligeable ». Pour faire simple, l’administration ne peut considérer le « risque négligeable » si l’Etat ne fournit pas une preuve tangible. Il ne pourra donc plus faire état de refus si la preuve du risque négligeable n’est pas rapporté. Radio 1 Tahiti rappelle qu’auparavant, c’était aux victimes de prouver leur irradiation. Le tribunal administratif de Papeete doit se pencher sur une nouvelle demande d’indemnisation mardi prochain.
Un peu d’Histoire. Les essais nucléaires français débutent en 1960 au Sahara, en Algérie. Mais la guerre et l’indépendance du Pays pousse la France à étudier d’autres possibilités. Les îles du Pacifique étaient déjà sur la liste des lieux potentiels pouvant accueillir les essais. Le choix se portera finalement sur la Polynésie française et plus particulièrement, l’île de Moruroa et celle de Fangataufa. Les installations militaires débutent au milieu des années 60 et le premier tir est lancé le 2 juillet 1966, il est nommé Aldébaran. A cette époque, les Polynésiens accueillent les essais nucléaires de façon assez positive. Un aéroport international est construit et ouvert en 1969, les infrastructures modernes sortent de terre, l’Etat promet le plein-emploi et surtout un bond vers la modernité. En trente ans, la Polynésie passe d’un mode de vie rural à un mode de vie occidentalisé. De 1966 à 1996, 193 tirs atomiques, aériens et souterrains, ont retenti sur les atolls de Moruroa et Fangataufa. François Mitterand arrête les essais, une première fois, en 1992. Jacques Chirac les reprendra en 1995 mais sa décision provoque de violentes manifestations à Papeete. Finalement, le dernier tir nucléaire est réalisé le 27 janvier 1996 à Fangataufa.
Ces trente années d’essais nucléaire ont laissé une trace indélébile en Polynésie française. Les docteurs et scientifiques confirment les répercutions des essais sur la santé des polynésiens. Les radiations ne s’arrêtaient pas aux seuls atolls de Moruroa et Fangataufa, puisque des radiations ont été décélées sur l’île de Tahiti. Les répercutions sont aussi environnementales, avec la contamination des lagons des deux atolls. L’un deux, Moruroa, menace de s’effondrer, libérant les déchets radioactifs coincés dans son lagon et créant une vague qui pourrait être fatale aux atolls voisins habités. Écrivains, artistes engagés et quelques politiques locaux s’accordent sur les conséquences sociétales des essais, mettant en exergue les répercutions sur la culture et le mode de vie des Polynésiens.