Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie, ou le poids des mots : L’édito de Benoît Saudeau

Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie, ou le poids des mots : L’édito de Benoît Saudeau

©Ludovic Marin / AFP

Quand, en plein recalage horaire, le président lira la presse et les messages laissés en rafale sur les réseaux sociaux, il devra bien se l’avouer : la Nouvelle-Calédonie l’a touché au cœur. Habile ou impuissant à le cacher, il l’a dit aux bonnes personnes et aux bons moments. Les observateurs modeux n’y verront que communication. Les autres le savent bien : en silence, mais encore mieux quand on le lui dit, la Nouvelle-Calédonie aime qu’on l’aime, c’est ainsi.

Trente ans après Michel Rocard qui suppliait les Calédoniens de prendre leur temps, Emmanuel Macron a donc accéléré les pendules. Plus impressionniste qu’à son habitude, ou moins jupitérien, il a répété que sa France était celle du grand large et non celle du grand largage, qu’elle serait moins belle sans eux et que leurs rivages participaient fort opportunément à la nouvelle donne diplomatique mondiale. Voilà, tout est dit. Plus besoin de finasser.

Et à qui s’est-il adressé en priorité, dans ce parcours dessiné au cordeau? Aux milieux d’affaires, au Congrès déjà en campagne électorale, au gouvernement, aux convaincus d’avance inutilement estampillés d’ « extrême-droite » dans leur défilé de jeudi ? Non, au Sénat coutumier, dans les quartiers nord de Nouméa, dans un lycée de brousse, au Centre Tjibaou et dans un vieux bâtiment du bagne, après un passage à Ouvéa où, bien avisé, il a gardé au moment du deuil ses distances d’avec le champ coutumier tabou.

Vu de Nouvelle-Calédonie, goguenarde et peu crédule, l’événement est de taille : un président de la République pourrait donc avancer en marchant ? Oubliés, Alger et la colonisation crime contre l’humanité. Adoptées, les ombres et les lumières du passé. Apaisée, cette relation du possédant et du possédé. Plaidée, cette « souveraineté dans la souveraineté » dévoilée dès son arrivée en terre inconnue, en prenant garde de ne pas dérégler l’horlogerie fine des Accords.

Mais remontons le temps. Juste de quelques semaines, à cette réunion de Matignon, où le dernier Comité des Signataires pesait au trébuchet les termes de la question posée le 4 novembre. Et rappelons-nous du désarroi des plus inquiets de ne pas y retrouver le mot « France », même assorti d’un Non rageur alors que l' »Indépendance », équipée d’un Oui renvoyait le statu-quo au rayon de l’Ancien Monde. Accolé à « Indépendance », ce mot « Souveraineté », qui sonnait alors comme une répétition incompréhensible, un piège, un trompe l’œil, un détournement de vote.

Et si cette redondance étudiée était la clé de ce premier voyage calédonien ? Précédé de son premier Ministre à l’oeuvre en cette longue nuit de mars, Emmanuel Macron s’est fait champion de la sémantique. Avec cette « souveraineté » présentée comme « liberté de choisir », le président a fait oublier aux uns l’épouvantail de l’indépendance et rassuré les autres sur la pérennité de leurs convictions. Dans ce pays où, plus qu’ailleurs, on connaît leur sens, le maître des horloges s’est fait maître des mots. Quitte à prendre quelques libertés avec le dictionnaire.

C’est vrai que la liberté aussi est souveraine, n’en déplaise aux grammairiens chafouins.

Benoît Saudeau.