[Edito d’Erick Boulard ]Gilets jaunes : Réminiscence des mouvements antillais de 2009 ?

[Edito d’Erick Boulard ]Gilets jaunes : Réminiscence des mouvements antillais de 2009 ?

© ImazPress

Le spectre des mouvements de 2009 qui avaient paralysé l’activité économique et sociale des Antilles un mois et demi durant est-il entrain de ressurgir dans l’hexagone ? Si les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets, le parallèle peut être néanmoins établi car cette levée de boucliers présente de fortes similitudes avec la crise antillaise de 2009. Explications.

Acte fondateur de LKP

Allons-nous assister à plus grande échelle à un remake des mouvements antillais de 2009 qui avaient débouché sur la paralysie complète de l’activité économique et sociale de la Guadeloupe et de la Martinique pendant plus d’un mois ? Le spectre de cette crise sociale et sociétale est-il en train de ressurgir dans l’hexagone ? Rien n’est moins sûr, mais à bien des égards, cette mobilisation dit des « gilets jaunes » rappelle étrangement cette période.

Souvenons-nous. C’était il y a presque 10 ans. Cela avait débuté dès le mois de novembre 2008 à la suite d’une mobilisation en Guyane pour réclamer déjà la baisse du prix des carburants. Cette mobilisation s’était poursuivie en Guadeloupe au mois de décembre où une manifestation avait réuni près de 10 000 personnes à l’appel de 31 organisations syndicales, associatives et politiques qui posaient l’acte fondateur du mouvement LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon) – (Collectif contre l’exploitation outrancière). A sa tête Elie Domota, un syndicaliste engagé qui en devenait le principal porte-parole. Le 20 janvier 2009 débutait une grève générale qui s’étendait à tous les secteurs de la vie économique et sociale de la Guadeloupe avec des manifestations quotidiennes. Une plateforme de revendication comprenant 146 propositions parmi lesquelles une hausse des bas salaires de 200 euros ainsi que la baisse des prix des carburants, des produits de première nécessité, des impôts et des taxes, voyait très vite le jour.

Crise sociétale

Le 5 février, la Martinique emboîtait le pas à l’île soeur. A l’inverse des Guadeloupéens, les instigateurs martiniquais se montraient plus pragmatiques en se contentant de baptiser plus prosaïquement leur mouvement « collectif du 5 février », chargé de mener les négociations avec les autorités locales et le patronat. En Guadeloupe comme en Martinique, le blocage est total en dépit des demandes d’assouplissement émanant des élus. Une atmosphère d’insurrection ou de pré- révolution prédomine notamment en Guadeloupe. Victorin Lurel,, alors président du Conseil régional emploiera même le terme de « sédition ». L’on assiste à de nombreuses échauffourées entre gendarmes mobiles et manifestants. Le pouvoir central craignant un embrasement général dépêche sur place plusieurs escadrons de gardes mobiles. Ce qui n’est pas fait pour calmer les esprits. La tension est extrême. D’autant plus qu’un syndicaliste, Jacques Bino, trouve la mort dans des circonstances encore mystérieuses. Aujourd’hui encore, certains et notamment le LKP émettent des réserves sur les causes de sa mort et s’interrogent sur les véritables auteurs. Dans le même temps à Paris, on s’active pour déminer la situation. Le président de la République, Nicolas Sarkozy, demande à Yves Jégo de se rendre sur place et de mettre tout en oeuvre pour trouver une solution et ramener le calme car ces désordres même s’ils sont lointains commencent à faire tâche dans sa gouvernance. Des fois que cela donne des idées à d’autres.

Désormais, on ne parle plus de crise sociale, mais de crise sociétale tant le champ des attentes est immense et touche même à l’essence de l’identité antillaise avec des slogans tels que « la Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo » ou encore « Matinik Lévé ».

Etats-généraux de l’outre-mer

Finalement, après de nombreux atermoiements et péripéties, au 44è jour de grève, un accord de suspension de conflit est établi entre le LKP, représenté par Elie Domota, le préfet de l’époque, Nicolas Desforges pour le gouvernement et Victorin Lurel au nom des collectivités locales. Nous sommes le 5 mars 2009. En Martinique, le protocole de fin de conflit est signé entre le collectif du 5 février, le patronat et les autorités représentantes de l’Etat le 14 mars au terme de 38 jours de blocage. Entretemps, cette « jacquerie » antillaise a fait des émules puisque le collectif contre la vie chère à la Réunion (Cospar) est né et présente les mêmes revendications que les collectifs antillais. Epilogue : outre la satisfaction immédiate de certaines revendications, ces évènements déboucheront sur les Etats-généraux des outre-mer. Parmi les résolutions de ces Etats-généraux figureront une évolution statutaire de certains des territoires ultramarins. Après consultation de la population, la Guyane et la Martinique choisiront de se doter d’une collectivité unique, fusion de leurs deux assemblées (département et région).

Agglomération de mécontentements

Aujourd’hui, dix ans après, l’histoire bégaie t-il ? Le mouvement dit des « gilets jaunes » qui prend corps dans l’hexagone mais aussi à La Réunion sonne comme un écho à ces évènements antillais. Ainsi, depuis quatre jours, l’île de La Réunion est parcourue par des violences urbaines et de nombreuses échauffourées au point que le préfet a instauré un couvre-feu pour 12 villes du département, alors qu’en marge du 101è congrès des maires qui se déroule à Paris, la ministre des outre-mer, Annick Girardin recevait en urgence des élus pour tenter de trouver une solution à la crise et apaiser une situation qui s’apparente à une explosion sociale. Certes, comparaison n’est pas raison et le recours excessif aux analogies historiques bloque quelque peu la réflexion. Mais tout de même, il existe néanmoins quelques ressemblances entre ces mouvements. Elle concerne d’abord la source initiale du mécontentement. Comme pour les Antilles-Guyane, la cause originelle, le déclencheur, le détonateur provient de la cherté des prix des carburants. Une façon de marquer le rattachement presque charnel des Français – qu’ils se trouvent dans l’hexagone ou en outre-mer – à la voiture considérée à tort où à raison comme un élément identitaire et un lien à la vie contemporaine. Par ailleurs, dans les deux cas, la crise sociale se transforme en crise sociétale, révélatrice d’un malaise beaucoup plus profond Ainsi, à l’instar de la crise antillaise, c’est désormais une agglomération de mécontentements qui s’exprime. Le strict cadre du prix des carburants à l’origine du mouvement est dépassé et s’est mué en ras-le-bol de la pression fiscale et des prélèvements obligatoires. Et surtout la demande d’une hausse conséquente du pouvoir d’achat se fait plus pressante. Bref, comme aux Antilles, c’est la lutte contre la vie chère et l’aggravation de la fracture sociale qui est devenue le principal mot d’ordre. Enfin, si aux Antilles, la mobilisation avait été récupérée par les organisations syndicales et politiques, elle restait toutefois largement citoyenne et bénéficiait, comme semble être le cas dans l’hexagone, d’une large adhésion populaire.

Boîte de Pandore

Pour autant, si la mobilisation citoyenne est à la mode et plébiscitée aujourd’hui, elle pose néanmoins la question de la représentation et de la structuration du mouvement. Avec qui discuter et éventuellement négocier ? Le nouveau monde comme on dit en « macronie » a ouvert la boîte de Pandore et récolte ce qu’il a semé. A force de claironner que les partis et les organisations syndicales voire même les associations étaient dépassés et ringards, les Français l’ont pris au mot et ont décidé de s’organiser en dehors de ces corps intermédiaires si décriés. Dès lors, comment s’étonner que le gouvernement ait du mal à maîtriser cette révolte citoyenne qui pourrait devenir très vite incontrôlable et ingérable.

Alors, dans ces circonstances, le mouvement des gilets jaunes jaunes peut-il, à l’instar des mouvements antillais de 2009, produire les mêmes effets et basculer dans la paralysie de l’activité économique et sociale ? Pas sûr tant le contexte et la sociologie des acteurs sont différents. Reste cependant que l’histoire se répète souvent. Gare donc à ce qu’elle ne devienne tragédie.

Erick Boulard