Lors de son passage à Saint Martin, le président de la République a jeté un vrai pavé dans la mare en abordant la question de la reconstruction après les dégâts de Irma. Les réactions ont été nombreuses, variées et surtout très passionnées mais rares sont ceux qui ont abordé les questions sur le fond. Or, ce sujet doit être au maximum dépassionné pour en faire un enjeu sociétal avec des retombées économiques. Nous constatons que le sujet tourne autour d’enjeux politiques locaux, entre la relation Etat et collectivités locales, ou bien sûr la direction générale et ses décisions au sein de l’entité SEMSAMAR, en charge de la reconstruction des logements sociaux sur l’ile.
Personne à ce jour ne s’est posé les vraies questions ou n’a eu le courage de mettre sur la table les réels enjeux de l’habitat social en Guadeloupe et à Saint Martin., alors que les outils publics en charges de la politique du logement social, dont les collectivités ont la charge, se doivent être
exemplaires et le plus efficaces possibles dans un seul but : répondre aux besoins des citoyens dans un besoin « primaire » que représente l’habitat, et particulièrement le logement social, dans une logique d’aménagement du territoire cohérente et harmonieuse !
I. Comment mieux répondre aux besoins spécifiques des locataires et de la population ?
Les territoires des Outre-mer, et les Antilles en particulier, vivent une transition démographique rapide vers le modèle européen. Au sein des territoires, cette transition se traduit de manière contrastée selon les bassins de vie. De plus, la transition démographique s’accompagne d’un phénomène de desserrement des ménages et d’évolutions socioculturelles telles que : la diminution des solidarités familiales et le passage d’un mode d’habiter traditionnel à un habitat collectif et vertical. Avec l’implication de l’Etat et de l’ensemble des acteurs spécialisés dans l’accompagnement des publics spécifiques, les bailleurs pourraient en particulier produire des logements adaptés aux publics suivants : les étudiants, les ménages ou personnes isolées en situation de précarité et/ou porteuses de handicap, ainsi que les séniors. Les bailleurs sociaux devraient par ailleurs favoriser les parcours résidentiels. Ils pourraient alors, élaborer de manière concertée un schéma de développement territorial d’une offre de logements adaptés.
Ce schéma de développement reposerait sur trois volets :
– L’adaptation du parc ancien pour permettre le maintien dans le logement
– La construction de résidences adaptées
– La mobilité vers des résidences adaptées
Le turn- over dans le logement social est aussi faible dans les DOM que dans les EPCI métropolitaines dont les marchés immobiliers sont les plus tendus (5% à 10% de turn-over dans le patrimoine existant), alors mêmes que ces départements ne sont ni économiquement les plus en croissance, ni sociologiquement les plus favorisés.
Le parc social outre-mer est proportionnellement plus important qu’en métropole par rapport à la population, mais pas si on le compare aux ménages éligibles. La baisse des plafonds appliqués outre- mer pourrait ainsi être vue comme un moyen de gérer les pénuries. En toute hypothèse cette mesure est contreproductive en termes de mixité sociale.
L’analyse des marchés immobiliers permet de ce fait de constater un marché locatif à deux vitesses, avec un décalage très fort entre le marché libre et le logement social, ce qui pose clairement la question du logement des classes moyennes, et particulièrement des fonctionnaires, écartés des logements sociaux (y compris des PLS) du fait de la non prise en compte de la réalité ultra marine (et notamment des primes des fonctionnaires).
– De la même façon le marché immobilier pour l’acquisition est très impacté par les
mécanismes de la défiscalisation pour le logement privé, qui entretiennent un prix du
logement neuf déconnecté des revenus disponibles, contribuent à l’inflation foncière et
limitent l’accession sociale dans le neuf.
De plus, les normes techniques, largement « européanisées » pèsent sur les coûts de revient, et ne tiennent que très partiellement compte des spécificités régionales et des niveaux de revenus, et donc entretiennent l’inflation des coûts immobiliers et les difficultés d’accession à la propriété des classes moyennes.
Le logement évolutif social, qui est une particularité des Outremer, permet de répondre aux attentes de la population qui souhaite accéder à la propriété, notamment dans les opérations de RHI. Les normes des dernières années (accessibilité, RTAA, NFC 15-100 (électricité)) ont renchéri le coût de ces opérations d’accession très sociale, et ont conduit à réaliser des logements de plus en plus finis, s’écartant ainsi du principe de base qui était : des logements évolutifs à terminer. Du fait de ce renchérissement, et de la faible solvabilité des familles, le produit LES ne répond plus à une partie de la demande.
D’une manière plus générale, les dispositifs d’accession sociale (PSLA, LES, accession de leurs logements par les locataires du logement social) sont à la fois trop complexes et en volumétrie sont non significatifs pour permettre d’alimenter un réel parcours résidentiel, et débloquer par la sortie vers l’accession à la propriété l’accès au parc social pour les jeunes d’une façon générale pour les -ménages qui en sont exclus.
L’application de la loi SRU dans les DOM se heurte également à des réalités géographiques et économiques. Les communes des DOM sont plus grandes qu’en métropole (en moyenne 30
communes par département, soit 10 fois moins qu’en métropole), c’est également vrai des EPCI, (de 3 à 6 par département ce qui fait que la majorité compte plus de 50 000 habitants), ce qui rend de fait applicable des objectifs SRU à des communes semi rurales, ou les tensions de marché sont faibles et la nécessité d’un parc social important discutable. A contrario les objectifs de 25% qui s’appliquent aux EPCI qui concentrent une part importante de l’activité (et donc de la demande de logement) apparaissent insuffisants au regard de la réalité de la demande (et a fortiori le classement de la CINOR – agglomération de St Denis de la Réunion – dans les EPCI ne nécessitant pas d’effort complémentaires).
Comme exposé en préambule le parc social a fait l’objet d’un développement « volumétrique », mais pas nécessairement segmenté, des créneaux apparaissent sous dimensionnés, particulièrement le domaine de l’hébergement (CHRS, Résidences sociales), le logement des jeunes (résidences étudiants et résidences pour jeunes en insertion) et le logements des personnes âgées, sur ce point des initiatives sur le maintien dans le logement pourraient être développées et structurées entre les départements et les bailleurs sociaux.
Au regard de tous constats, qui posent des questions non résolues, il serait certainement intéressant que les élus politiques locaux puissent travailler à des réflexions et propositions pour favoriser la mixité sociale et faciliter le parcours résidentiel.
II. Comment rétablir une vraie coopération entre les collectivités locales et l’Etat pour une politique de l’habitat concertée et plus efficace ?
Malgré ce que nous voyons de manière récurrente dans les débats, la politique de l’habitat doit se construire pour l’avenir à travers une coopération entre les collectivités locales et l’Etat. Il est plus que temps de sortir du clivage « identitaire » ou colonialiste totalement stérile.
Ainsi, aux Antilles en particulier, il paraît prioritaire de pouvoir se concerter, afin de simplifier les normes et les adapter au contexte régional. Le passage de l’Ouragan Irma est en la preuve.
De la même manière, le cadre juridique et de financements du logement social aux Antilles doivent être adaptés et stabilisés dans la durée.
Les coûts de revient des bâtiments neufs sont inadaptés aux capacités contributives des accédants et par ailleurs limitent les volumétries finançables pour le logement social.
Le nombre de logements mis en chantier annuellement a diminué de plus de 20 % depuis le début des années 2010, malgré une croissance démographique qui, en moyenne, reste soutenue.
Comme déjà indiqué, la carence de la filière de traitement de l’amiante bloque le marché de la rénovation du patrimoine ancien (issu des grandes périodes de constructions des années 60 et 70).
Concernant le sujet de l’amiante les difficultés identifiées sont :
– L’absence de laboratoire pour les analyses qui doivent être effectuées dans l’Hexagone
– Une concurrence « faussée » par un faible nombre d’acteurs économiques dans le domaine avec 4 à 5 opérateurs seulement certifiés
– L’absence de zones adaptées en nombre suffisant pour le stockage intermédiaire des déchets amiantés
– L’absence de structure d’inertage de l’amiante à l’échelon local, avec un transport onéreux des produits amiantés pour un traitement dans l’hexagone selon disponibilités et capacités limitées du fret aérien ou du transport maritime
Si on devait prioriser les facteurs l’absence de concurrence pèse au final beaucoup plus que le transport, même si ce sujet peut entrainer des surcouts estimés jusqu’à 20 à 30 % du coût de revient.
Certaines opérations peuvent représenter du fait des effets cumulés des couts de 200% à 300% de ceux constatés en métropole.
Dans les DOM une forte dépendance vis-à-vis des matériaux importés subsiste depuis de
nombreuses années, amplifiée par l’éloignement et l’insularité. (Importation quasi exclusive des produits du second œuvre) et une mise à l’écart de produits locaux est constatée en l’absence de caractérisation normative, de test de référence et de marquage.
Au-delà des normes techniques, les règles d’urbanismes rajoutent des éléments de complexité (hauteur maximale, en complément des impositions de densité par exemple, ou contraintes spécifiques en matière de murs de soutènement) qui sont là encore facteurs de surcouts. Des normes liées au financement du logement social posent aussi question en opportunité et en coûts.
Dans un contexte économique déjà largement contraint pour la construction, le cumul des risques : Incidence des climats tropicaux humides : infiltrations, défaut d’étanchéité, corrosion humide, corrosion air salin…Incidence de l’exposition au risque cyclonique, au risque sismique…conduisent à des surcoûts assurantiels qui sont estimés de l’ordre de 30 à 40% des primes d’assurance selon les opérateurs et constructeurs.
III. Dans un contexte où les ressources publiques sont rares, comment construire des synergies entre les opérateurs publics de l’habitat pour moderniser l’action publique et rechercher la performance ?
En effet, la loi ELAN encourage les synergies entre bailleurs sociaux sur le territoire métropolitain, afin de mutualiser leurs moyens financiers et leurs compétences, pour garantir plus d’efficacité et de performance : mieux aménager, construire plus et réhabiliter plus les logements sociaux.
La politique du logement social sur les territoires des Outre-mer repose pour l’essentiel sur deux types de financement : d’une part des prêts bonifiés de la CDC et d’autre part des financements publics : les aides à la personne (AL et AL accession), les aides à la pierre et à l’aménagement (LBU dont FRAFU).. En ce qui concerne les financements publics, il faut s’attendre à des baisses progressives dans les prochaines années, ce qui est d’ailleurs engagée pour les aides à la personne et pour les aides à la pierre par les collectivités locales et par l’Etat.
Les bailleurs sociaux ne peuvent plus se considérer uniquement comme des opérateurs publics évoluant dans un environnement réglementé ou protégé, mais de plus en plus comme des entreprises exposées, et assujetties à l’obligation de s’autofinancer dans un contexte de ressources rares, afin de dégager des fonds propres pour pouvoir faire face à leurs obligations de bailleurs et aux besoins des territoires.
Pour l’aménagement, trois natures de situations problématiques sont constatées selon les
territoires :
– Une surabondance d’opérateurs (cas notamment de La Réunion) qui « empilent » des coûts
fixes qui sont in fine supportés par des subventions publiques en grande partie, une part
notable des terrains produits étant vendus pour construire des logements sociaux et des
équipements publics ;parallèlement le phénomène de l’habitat indigne progresse malgré les
actions menées 12 000 bâtis sont identifiés comme indignes soit une progression de 7 % (Sources Agorah et de l’Observatoire réunionnais d l’habitat indigne ORHI, 2017)
– Une insuffisance d’opérateurs (cas particulièrement de la Guyane et de Mayotte), qui limite l’anticipation foncière et in fine le développement du territoire ;
– Des opérateurs dont le cœur de métier est l’aménagement, mais qui suppléent au
déséquilibre des opérations en développant une activité connexe de logement locatif social, dont ils « cannibalisent » les cash flows pour couvrir les déficits de l’aménagement, ce qui dégrade sur le long terme la qualité de service, et qui renvoie à plus tard la résorption des déficits qu’il faudra couvrir lors des réinvestissements sur le parc locatif.
Pour le logement social :
– La « concurrence » entre opérateurs, qui dans l’absolu est salutaire, n’empêche pas l’analyse d’ensemble qui est qu’elle se fait aussi dans un contexte d’intérêt général. Les surcoûts liés au maintien sur certains territoires de multiples intervenants de taille sous-critique sont au détriment, soit du locataire par des hausses de prix ou des investissements en travaux insuffisants, soit de la puissance publique (Etats ou Collectivités locales) qui compensent ces surcoûts par voie de subventions ou de recapitalisations ou « d’avances » d’actionnaires (avec parfois peu de probabilité de retour à meilleure fortune).
Le fond du sujet est de débattre de ce qui est une stratégie d’entreprise et de ce que sont simplement des moyens de production, dans une logique de mutualisation et synergies en faveur des territoires et de leur population.
– Pour l’aménagement, la stratégie est avant tout une stratégie de territoire,
– Pour le locatif social, ce qui caractérise une entreprise c’est sa politique commerciale : ses clients, son patrimoine et ses méthodes de gestion.
Globalement donc dans les deux cas, deux filières particulièrement ne sont pas au cœur du réacteur de la gestion des outils et de leur ancrage local en lien avec les résidents :
– Les potentialités de coordination sont multiples, au-delà de la mutualisation des moyens :
o Particulièrement la gestion des systèmes d’information, qui par ailleurs dans les
petites structures est régulièrement largement externalisée ;
o La gestion des ressources humaines, qui peut facilement se mutualiser (là encore,
particulièrement pour la paie, l’externalisation est fréquente, pour des raisons de
technicité et d’absence d’enjeux) ;
o La gestion financière ou à tout le moins la gestion comptable,
o Marchés cadres de travaux, …
o Achats administratifs, informatique, bureautique, flotte automobile…
o Prestataires de recouvrement, de centre de relation clientèle…
o Prestations en matière de formation (formation de maîtrise d’ouvrage, formations de
gardiens/concierges,)
– La maîtrise d’ouvrage, en logement ou en aménagement
o Au-delà de la recherche commerciale, la conduite des chantiers est avant tout une
question de moyens de production et non de politique d’entreprise, la mise en
commun de moyens limite donc les effets de seuils et de sous-productivité
momentanée pour des questions de plan de charge mal partagé
Au-delà de l’optimisation économique des coopérations opérationnelles peuvent être envisagées dans un cadre plus souple, soit interbailleurs, soit en associant les collectivités en particulier autour des thèmes :
– De la production foncière et de la cohérence des volumes et des plannings, les SIDOM
pouvant aussi encourager un toilettage des opérations d’aménagement « vivantes » (en
réalité certaines peuvent être en difficulté) pour éviter des sur-programmations concurrentes,
– Du retraitement du patrimoine ancien et des besoins particulièrement en prestataires pour le désamiantage,
– De stratégie de développement, pour éviter une sur-programmation concurrente sur certains territoires, les organismes pourraient partager leurs programmations pluri-annuelles, et ainsi construire avec l’Etat et les EPCI, une vision transversale sur les PLH et sur les PLU, avec un phasage sur 5 à 10 ans.
Luc Laventure