Dix orientations pour restaurer la confiance des Mahorais par le think tank Les Alizées

Dix orientations pour restaurer la confiance des Mahorais par le think tank Les Alizées

©Richard Bouhet / AFP

La ministre des Outre-mer a présenté hier 53 mesures dans un plan de 1,3 milliards pour développer le territoire de Mayotte. Le think tank Les Alizées constitué récemment pour aider à la transformation de l’action publique Outre-mer propose des orientations pour restaurer la confiance des Mahorais. Ces propositions ont été rédigées en amont des mesures annoncées.

Les orientations qui suivent ne constituent pas le plan de rattrapage et de développement qu’attendent les Mahorais, et auquel s’est attelé le Gouvernement. Mais elles peuvent en fournir quelques briques. La détresse et la désespérance sociale, soulignées par le Premier ministre le 19 avril dernier, fondent une forte obligation de résultats. Des moyens existent et parmi ceux-ci, le droit de dérogation dont dispose désormais le préfet de Mayotte. Il s’agit aussi de susciter des initiatives.

S’accorder – Etat et Département – sur les solutions à retenir pour conduire au mieux le rattrapage des infrastructures et des services publics. 700 Millions € ont été contractualisés par l’Etat et l’Union européenne jusqu’en 2020, qu’il faut rapidement mobiliser :

o Faire le point et toute la transparence sur le taux d’utilisation actuel et prévisionnel de ces crédits ;
o Mettre en place une task force (Etat, Département, experts de AFD) pour proposer à l’Etat et au Département les modalités juridiques et de gouvernance les plus appropriées pour la réalisation des infrastructures et services publics : selon le cas (écoles, gestion et distribution de l’eau potable, routes, mobilité, logement, assainissement, sans oublier le développement d’énergies alternatives…), il peut s’agir d’un appui à maîtrise d’ouvrage, d’une délégation temporaire de maîtrise d’ouvrage ou, comme dans le cas de l’aéroport, d’une délégation de service public, voire d’une concession permettant d’associer des investisseurs privés à la réalisation d’équipements importants. La reprise temporaire d’une compétence par l’Etat, le recours à une opération d’intérêt national (OIN) ou à un contrat d’intérêt national (CIN) à la manière de ce qui est mis en place dans le Grand Paris, ne doivent pas non plus être écartés pour les opérations les plus complexes.

– Mettre un coup d’arrêt à la disparition des activités traditionnelles. Avec l’appui des pouvoirs publics, celles-ci pourraient constituer le point de départ de filières d’activités fortes. L’existence d’une croissance quasi exclusivement fondée sur la consommation, s’est immédiatement traduite par une augmentation très rapide du secteur et des emplois publics et une chute brutale des exportations (poissons, ylang-ylang). Un rééquilibrage est nécessaire dans l’objectif, pour ces filières productives, de regagner des parts de marché intérieur (filière œufs, aquaculture, élevage) voire de reconquérir des marchés à l’exportation (plantes à parfum, tourisme…).
o Développer des « filières franches », pour une durée de 5 à 10 ans, concentrant tous les systèmes d’aide : larges exonérations fiscales et sociales, défiscalisation majorée des investissements nécessaires à la filière, appui des pouvoirs publics (centres de recherche, dérogations à certaines normes, apprentissage…), avec une évaluation des résultats à mi- parcours du dispositif.
– Proposer au Département et aux autres collectivités territoriales une démarche de responsabilisation. Après le récent rapport de la Cour des Comptes, la question n’est pas celle de l’augmentation du nombre d’élus et d’agents mais celle de l’amélioration progressive de leurs compétences et de leur efficacité, au moindre coût pour la collectivité et le contribuable. Cela passe, par exemple, par :
o Un dispositif « cadres-avenir » analogue à celui mis en place en Nouvelle-Calédonie ;

o Une démarche contractuelle entre l’Etat et le Département (et entre l’Etat et les communes), à partir d’objectifs ambitieux de réduction des dépenses de fonctionnement (non remplacement des vacataires et contractuels, meilleure maîtrise de la masse salariale et indemnitaire … ). Outre un meilleur financement des investissements, les gains tirés de cette maîtrise seraient assortis d’un retour équivalent au profit de la collectivité (nouveaux services pour les jeunes enfants, les écoles ……).

– Faire émerger une offre de mobilité plus diversifiée, pour renforcer l’attractivité de Mayotte. La voiture est, avec la barge, le seul moyen de transport : l’importation de voitures en quantités croissantes (+4% de nouvelles immatriculations chaque année !), qui accompagne la relance de la consommation des ménages, crée des encombrements difficilement imaginables sur un réseau routier plus qu’embryonnaire. Le « tout voiture » (qui coûte 650 € par mois en moyenne) est difficilement supportable pour beaucoup de ménages. A côté d’un transport en site propre et du contournement de Mamoudzou (soutenus par le Premier ministre le 19 avril), d’autres initiatives susceptibles de désembouteiller les routes pourraient être mises en place (navette maritime, développement du covoiturage au sein des administrations et grandes entreprises …).

La mobilité concerne aussi les liaisons entre Mayotte, l’Océan Indien et le reste du monde. A la différence des autres départements d’outremer, gagnés par la concurrence, Mayotte bénéficie encore de peu de liaisons aériennes, à des tarifs assez élevés. Les freins au développement de la plateforme aéroportuaire seraient sans doute aussi à rechercher du côté de redevances aéroportuaires très élevées et d’un prix du kérosène (non administré) très supérieur à celui, par exemple, de la Réunion plutôt que dans la longueur de la piste. Enfin, le port de Longoni, poumon économique de Mayotte, justifie une conciliation, associant l’ensemble de la place portuaire et les transitaires, pour redonner à la DSP un caractère opérationnel, au bénéfice des entreprises et des consommateurs.

– Donner un coup d’accélérateur à la construction de logements, particulièrement les logements sociaux et très sociaux. Le logement social à Mayotte est éligible à d’importantes aides à l’investissement (crédit d’impôt outre-mer et Ligne budgétaire unique – LBU). Or, 120 logements sociaux seulement ont été construits en moyenne chaque année entre 2006 et 2014. C’est dérisoire au regard des besoins (bangas, habitat illégal, bidonvilles…), sans compter que les chantiers immobiliers sont pourvoyeurs d’emplois. Que faire, en prenant appui sur l’entrée de la SNI au capital de la Société Immobilière de Mayotte (SIM) ? Faire venir (de la Réunion) un ou plusieurs promoteurs, dégager davantage de LBU au profit de Mayotte, développer des modèles de logements très sociaux adaptés aux populations mahoraises et susceptibles d’être construits rapidement, anticiper sur les dispositions du projet de loi ELAN qui permettent de simplifier les procédures, mettre en œuvre la possibilité de dérogations aux normes en matière de matériaux et de techniques de construction…

Reconstituer dans les services de l’Etat, une cellule pluridisciplinaire, chargée du contrôle de légalité. Cette étape est nécessaire à la restauration d’un état de droit et des sécurités.
– Réduire la vacance d’un certain nombre d’emplois dans les services publics de l’Etat. Les sur- rémunérations n’étant pas de nature à compenser ce manque d’attractivité, deux mesures sont possibles :
o Inciter les fonctionnaires et magistrats à venir à Mayotte, en contrepartie d’un déroulement de carrière accéléré à leur retour dans l’hexagone ;

o Recruter sur les postes restés vacants des contractuels dotés de compétences de haut niveau, issus du secteur privé ou du monde associatif, voire des retraités ;

-Réduire la pression migratoire en favorisant le développement des Comores et le retour des Comoriens dans l’archipel.
o Etendre à Mayotte l’aide publique à la réinsertion attribuée aux étrangers clandestins qui quittent la France et qui, actuellement, n’est pas applicable à Mayotte ;
o S’inspirer de ce qui a été prévu à Haïti après le tremblement de terre pour créer aux Comores (avec des crédits européens) une aide à la réinsertion et à la création d’entreprise.
– Investir massivement sur la jeunesse mahoraise, largement au chômage (47%) et qui n’a d’autre avenir que l’exil (un jeune sur deux, né à Mayotte, quitte Mayotte) : outre la transformation en régiment du bataillon du SMA et la création des « cadets du SMA » qu’il faut accélérer, il conviendrait de décliner sans tarder à Mayotte le projet « SMA 2025 », destiné à l’enclenchement d’une dynamique de formation qualifiante à l’intention des décrocheurs et des mineurs isolés.
– Ne pas sacrifier l’avenir à l’urgence. Le lagon de Mayotte, qui abrite 760 espèces de poissons et une vingtaine d’espèces de mammifères, doit être au travers d’un tourisme durable, une source d’activités et d’emplois. Le lagon doit être préservé, d’où l’impérieuse et urgente nécessité des politiques publiques d’assainissement, de traitement des déchets, de collecte et recyclage des batteries…. Il doit aussi être valorisé, en s’inspirant du récent rapport du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) sur le tourisme durable dans les outre-mer au travers d’un renforcement du pôle outre-mer d’Atout France.

Les Alyzées