Plusieurs jours après la restitution des Assises des Outre-mer et la fixation d’une feuille de route pour l’Outre-mer par le Président Emmanuel Macron, le think- tank Les Alizées partage sa réflexion sur « les pistes de solutions » pour améliorer l’efficience des politiques publiques et la démocratie locale dans les Outre-mer. Outremers 360 vous propose quelques éléments ci-dessous.
Depuis les premières lois de décentralisation (lois Deferre de 1982), on a cherché à accroître l’efficience des politiques publiques et des stratégies de développement en rapprochant le pouvoir de décision du lieu de leur mise en œuvre.
L’approche institutionnelle a été privilégiée au travers de la décentralisation et de la déconcentration dans les départements d’Outre-mer (DOM), parallèlement à la poursuite du processus d’autonomie engagé dans les anciens territoires d’Outre-mer (TOM devenus COM) depuis 1957.
Les situations de blocages dans la mise en œuvre de certaines compétences décentralisées et la situation financière catastrophique de la plupart des collectivités territoriales en Outre-mer conduisent à s’interroger sur les remèdes qui auraient dû accompagner préventivement cette autonomie financière et ce transfert de responsabilités.
Les vertigineux taux de chômage, le niveau insupportable du décrochage ou de l’échec scolaire, de l’illettrisme, les carences de la formation professionnelle ne peuvent que confirmer cette nécessité.
Avant de proposer quelques pistes de solutions, on doit relever trois causes principales.
1) Le contrôle administratif est impuissant quand des blocages interdisent la mise en œuvre des compétences transférées ;
2) Le contrôle budgétaire tardif est délégitimé ;
3) La diminution de la « voilure » de l’État en Outre-mer comme dans l’hexagone a des conséquences dramatiques sur l’offre d’expertise et d’ingénierie (définition des stratégies, maîtrise des procédures, programmation des financements).
Le contrôle administratif est manifestement insuffisant sur l’action, sur les actes des collectivités locales, en métropole comme en Outre-mer. Il est inopérant sur l’inaction des collectivités locales, quand la mésentente entre élus rend impossible la mise en place de la transition énergétique, l’organisation des transports collectifs, l’alimentation en eau potable, le traitement des déchets… Cette inaction se fait au détriment des citoyens privés du bon fonctionnement de ces services publics. Des pans entiers de compétences sont orphelins ou insuffisamment pris en compte (l’accueil des sans-abris, des personnes atteintes d’addiction, la mise en place d’outils financiers performants pour les investissements publics ou privés …).
Le contrôle administratif n’est pas un contrôle d’opportunité, c’est un contrôle de légalité. En métropole comme en Outre-mer, il est la plupart du temps inversement proportionnel au poids politique des élus locaux ayant une responsabilité nationale ou dotés d’une personnalité charismatique (situation fréquente).
Le contrôle budgétaire exercé par les préfets avec l’appui des chambres régionales ou territoriales des comptes n’a pas empêché une dérive vers une situation financière globalement catastrophique del’ensemble des collectivités d’Outre-mer, même s’il y a quelques exceptions relevées par la Cour des Comptes (1).
Elargir les possibilités de saisine des citoyens
Pour sortir des situations de blocage, d’absence ou de report des décisions, on pourrait expérimenter dans les Outre-mer deux possibilités de saisine par les citoyens (1000 – 10000) :
– La saisine d’une autorité indépendante, la Commission nationale du débat public (CNDP) – dont il faudrait élargir les missions prévues par la loi – quand l’absence de décision concerne des services publics essentiels (eaux, déchets) ou des compétences européennes (qualité de l’eau, eaux résiduaires, qualité de l’air…).
– L’organisation de « conférences de citoyens », assez fréquentes au Danemark et en Europe du Nord. En France, par exemple, une conférence de citoyens a travaillé sur le site de stockage de l’ANDRA à Bure.
Ces deux formules ont pour conséquence de faciliter une expression directe des citoyens, plus facile à organiser à l’heure d’internet, des réseaux sociaux, en conférant une légitimité certaine aux décisions.
En outre, il pourrait être envisagé d’offrir la possibilité aux citoyens usant du droit de pétition, ou à des associations agréées, de demander au préfet de mettre en demeure les élus de faire ou, à défaut, d’exercer son pouvoir de substitution (ce pouvoir devant être élargi à des matières autres que le logement social ou l’ordre public, notamment au respect d’engagements européens et internationaux). Le refus du préfet serait alors susceptible d’être contesté devant la juridiction administrative par la voie de l’urgence, la mise en demeure pouvant déboucher, si nécessaire, sur l’exercice du pouvoir de substitution ou du droit de réquisition.
Redonner tout son sens au contrôle budgétaire
Le contrôle budgétaire qui aurait dû être le pendant de l’autonomie financière est quasi inexistant et délégitimé.
Dans son rapport public du 11 octobre 2017, sur la situation des finances publiques locales, la Cour des Comptes constate : « les deux tiers des 136 collectivités de Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion connaissent une situation fragile, dégradée ou critique… La moitié des communes de la Martinique et de Guyane et un tiers de celles de la Guadeloupe ont une épargne brute négative. Les départements de La Réunion et de la Guadeloupe ne parviennent à dégager qu’une faible épargne nette. »
La Cour ajoute : « les graves difficultés financières de nombreuses collectivités affectent la gestion des services publics dont elles ont la charge. Les services d’eau et d’assainissement ou de gestion de déchets en fournissent l’illustration. »
En l’absence de ressources suffisantes affectées à ces services (insuffisances dans la facturation, le recouvrement et l’amortissement…) et avec un niveau inadéquat des dépenses de fonctionnement, ces collectivités ne se donnent pas les moyens de combler le retard d’investissement, permettant l’extension et le renouvellement des réseaux.
Page 207, la Cour souligne : « les actions de suivi des collectivités territoriales par les services des préfectures et des DRFIP ne sont pas suffisantes : elles ne contribuent pas à la mise en place de correctifs. »
Cette situation financière critique se double d’une tenue défectueuse des comptes. Les Chambres régionales des Comptes de Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Mayotte constatent fréquemment une tenue défectueuse de la comptabilité d’engagement par les collectivités. L’examen du rattachement des charges et des produits à l’exercice laisse à désirer (2).
Il est rappelé que lorsqu’un chef d’entreprise ne rattache pas ses factures, ses créances, ses dettes à l’exercice concerné à la date de la prestation, il est coupable de présentation de comptes sociaux inexacts : « faux bilan », délit répréhensible pénalement et puni aussi sévèrement que l’abus de biens.
Pour pallier l’impuissance des juridictions financières et obliger les collectivités, par exemple, à une gestion rigoureuse des restes à réaliser et des factures « dans le tiroir », Il faut probablement des simplifications et des mécanismes d’analyse de la qualité comptable à même de se prononcer sur la gravité des omissions. Ainsi, la Cour des Comptes a proposé le compte financier unique destiné à remplacer le compte administratif et le compte de gestion (3).
Car la régularité et la sincérité comptables sont des conditions d’un bon exercice de la gestion publique. Les délais de paiement excessifs sont des freins au développement des petites entreprises.
Ne faudrait-il pas aller plus loin et permettre rapidement que les collectivités territoriales puissent recourir à un commissaire aux comptes comme les hôpitaux, les universités ou les grands ports maritimes ? Elles pourraient également mettre en place un comité d’audit faisant une place à des personnalités extérieures.
Parmi les autres mesures à envisager pour favoriser la responsabilisation des collectivités, ce qui passe par le redressement de leur situation financière, et ainsi mieux répondre aux attentes des citoyens, quatre pistes pourraient être explorées :
– La contractualisation entre l’Etat et une collectivité, mise en place à l’attention des grandes collectivités par la loi de programmation des finances publiques du 22 janvier 2018 (contrats dits « de Cahors »), pourrait être adaptée pour accompagner les communes et collectivités en difficulté, dans une approche « gagnant-gagnant » : mise en place de mesures de redressement des dépenses de fonctionnementen contrepartie d’une dotation exceptionnelle de « redressement » ;
– La limitation de la possibilité d’emprunter à partir d’un certain niveau d’endettement, à l’image du modèle existant en Allemagne du « frein à l’endettement ». Dans ce régime fédéral, l’interdiction constitutionnelle faite aux collectivités locales d’emprunter n’y est pas considérée comme une atteinte insupportable à leur autonomie mais comme un garde – fou vertueux ;
– On pourrait rendre à nouveau obligatoire le mandatement par les comptables des intérêts moratoires, en cas de dépassement des délais de paiement pour les TPE, pour les marchés de la restauration collective … etc… ;
– Au-delà, ne pourrait-on parachever le dispositif de contrôle des chambres régionales des comptes en dotant celles-ci d’un pouvoir de sanction, inexistant jusqu’à présent ?
Enfin,les modalités d’octroi des concours financiers de l’État pourraient comporter un dispositif visant à inciter les collectivités locales à modifier leur comportement de gestion, tel que, par exemple, une majoration en cas de mise en place volontaire d’un commissaire aux comptes, d’un comité d’audit externe, de contrôles internes rigoureux (comptabilité d’engagement, certification des comptes).
Pour améliorer la gestion publique, il faut choisir le renforcement des « capabilités », au sens d’Amartya SEN. Il faut sortir du « jeu de rôles » pendant lequel la Cour des comptes dit « vous gérez mal » et les élus répondent « on manque d’argent ».
La responsabilisation des collectivités territoriales, attendue de la transformation de l’action publique, Outre-mer comme dans l’hexagone, passe autant par la recherche d’une expression directe des citoyens dans les affaires de la cité que par le redressement de leur situation financière, nécessaire à la reprise des investissements publics.
Think-tank Les Alizées
(1) Rapport public de la Cour des Comptes du 11 octobre 2017. Le chapitre 4 est consacré à la situation des collectivités des départements d’Outre-mer.
(2)L’obligation de rattachement des charges et des produits s’impose aux collectivités de plus de 3 500 habitants.
(3)L’article 110 de la loi du 7 août 2015 avait d’ailleurs prévu une expérimentation.