©Outremers360
Lors des négociations entre le Gouvernement et les collectifs guyanais, la question de l’évolution statutaire a été évoquée ces derniers jours. Interrogé par Outremers 360, Pierre-Yves Chicot, maître de conférences en droit public et avocat au barreau de la Guadeloupe, estime que la situation actuelle en Guyane met en lumière la nécessaire concertation et collaboration de tous les instants qui doivent exister entre d’une part, l’Etat et les collectivités territoriales, d’autre part entre les collectivités territoriales entre elles, et enfin, entre l’Etat, l’Union Européenne et la collectivité territoriale de la Guyane (CTG).
Outremers 360 :Pouvez-vous nous éclairer sur les dispositions de la Constitution qui régissent les collectivités d’Outre-mer ?
L’article 73 apparaît tout d’abord dans la Constitution du 27 octobre 1946. Il stipule que la loi qui s’applique dans les départements d’Outre-mer est la même que celle des départements hexagonaux. On est dans une application de plein droit de la loi française sans dérogation. Dans la Constitution du 4 octobre 1958, on continue d’appliquer le principe d’identité législative, toutefois on introduit la notion d’adaptation. Autrement dit, la loi peut faire l’objet d’adaptation dans deux domaines : le régime d’application de la loi et l’organisation administrative. Cependant, le Conseil Constitutionnel a toujours interprété de manière très restrictive cette disposition de l’article 73. Il explique que cet article ne permet pas de modifier le statut départemental de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion qui sont les quatre collectivités régies par l’article 73. C’est la fameuse décision du 2 décembre 1982.
Dans la Constitution de 1958 qui a été révisée le 28 mars 2003, on a réécrit l’article 73 pour permettre des évolutions institutionnelles et statutaires. Grâce à cette révision constitutionnelle de 2003, Saint-Barthélémy et Saint-Martin qui étaient des communes de la Guadeloupe deviennent des collectivités d’Outre-mer régies par l’article 74, la Guyane et la Martinique ont évolué vers des collectivités uniques en conservant le régime d’application de la loi instruit par l’article 73, soit l’identité législative. En 2003, on accepte aussi qu’il puisse y avoir des habilitations législatives et réglementaires. Ainsi, la collectivité régionale et départementale de Guadeloupe, les collectivités uniques de Martinique et de Guyane peuvent adapter la loi nationale en fonction de la réalité du territoire.
Il y a également l’article 74 à partir du lequel on peut distinguer 3 niveaux. Je parle ainsi d’article 74 « faible » pour une collectivité comme Saint-Martin par exemple, régie par l’article 74 mais qui continue à appliquer l’identité législative dans de nombreux domaines.
Nous pouvons ensuite parler « d’intensité moyenne » avec l’exemple de Saint-Barthélémy. Cette dernière est aussi régie par l’article 74 mais elle n’a pas conservé le principe d’identité législative. C’est la spécialité législative qui prévaut. Toutes les lois de la République ne s’appliquent pas immédiatement et systématiquement à Saint-Barthélémy. Nous sommes ici dans une configuration du « cas par cas ».
Enfin, nous avons « une intensité forte » avec l’exemple de la Polynésie Française. Elle est régie par un statut d’autonomie prévu par l’article 74. La Polynésie Française peut donc voter les lois du Pays, possède son hymne, son drapeau et dispose d’une préférence locale pour l’emploi et l’accès au foncier.
Outremers 360: Parmi les revendications des collectifs guyanais, on retrouve la demande d’un « statut spécial » pour la Guyane. A quel statut fixé par la Constitution cette demande pourrait faire référence?
Le statut qui correspond à la revendication formulée par les Guyanais d’une demande d’une évolution statutaire, serait un statut qui ressemble à celui de la Polynésie Française.
Selon moi, il s’agit d’une revendication qui demeure dans les racines, idéologique, mais cela ne veut pas dire qu’elle est pour autant illégitime. Il y a bien sûr des choses à revoir dans la manière d’appliquer la loi, mais je ne suis pas certain que la revendication d’une évolution statutaire ou institutionnelle soit l’argument péremptoire à brandir, laissant croire au peuple que tous les problèmes seront réglés parce qu’on passerait d’un article à un autre. C’est beaucoup plus compliqué ! Le statut n’est qu’un outil et non pas l’alpha et l’oméga du bonheur cristallisé. On peut disposer de l’institution la plus performante pour gérer les affaires locales mai si cette dernière n’est pas accompagnée des personnes en capacité d’exercer le pouvoir politique administratif, cela ne sert à rien. C’est une donnée universelle !
« De nombreuses questions cardinales devront être posées, s’agissant notamment de la question financière et celle du financement des compétences seront primordiales ».
Outremers 360: En 2010, les Guyanais ont pourtant rejeté par référendum l’idée de l’autonomie. Pourquoi ce revirement aujourd’hui ?
Le projet d’accord sur l’avenir de la Guyane du 29 juin 2001 contient une demande politique d’évolution statutaire inspirée par la démarche calédonienne. Mais c’est une évolution institutionnelle, une simple fusion de la Région et du Département, qui a finalement vu le jour. Ils considèrent que le coche a été raté en 2010. Ils espèrent ainsi le rattraper car l’objectif final est d’aller vers une évolution statutaire, vers une application de l’article 74.
Outremers 360: Peut-on dire aujourd’hui que la mise en place de la collectivité unique a été mal ou peu préparée ?
Je pense que oui. On peut affirmer qu’il n’y a eu pas suffisamment de concertation entre l’Etat, le pouvoir central et le pouvoir déconcentré. Il y a eu aussi un manque de concertation entre le conseil général et le conseil régional. Les deux présidents à l’époque en exercice, étaient des opposants politiques. Ils ont davantage pensé à préparer leur campagne électorale pour devenir le président de la future collectivité que de préparer de manière juridique, administrative, financière et surtout humaine la mise en place de cette nouvelle collectivité. On se retrouve dans cette situation en Guyane parce que le fil du dialogue a été rompu depuis plusieurs années entre les deux anciennes collectivités, contrairement à l’esprit d’union, d’unité et de cordialité qui a prévalu en 2001.
« Le statut n’est qu’un outil et non pas l’alpha et l’oméga du bonheur cristallisé ».
Outremers 360: Quelles sont les solutions pour rétablir le dialogue au niveau institutionnel?
Je pense qu’il faudrait d’abord attendre que l’élection présidentielle passe, qu’une nouvelle majorité parlementaire et gouvernementale se forme pour organiser des Etats généraux sur ce sujet, avec des discussions d’une durée de 6 à 12 mois. Dans le contexte guyanais, nous sommes dans la tentative satisfaction de revendications en période de crise, pressée par le temps parce qu’il y a une éruption populaire. Or, quand on va vite, on ne fait pas toujours bien! Une concertation sur le long terme est nécessaire et à envisager, en y intégrant l’Europe. De nombreuses questions cardinales devront être posées, s’agissant notamment de la question financière et celle du financement des compétences seront primordiales.
Outremers 360 :Depuis quelques années, les collectivités d’Outre-mer réclament de plus en plus d’autonomie. Est-ce une démarche à laquelle l’Etat est sensible ?
A mon avis, nous sommes déjà dans l’autonomie pour toutes les collectivités territoriales de la République depuis la loi « Liberté et Responsabilité locale » du 13 aout 2004. La France a aussi ratifié la charte de l’autonomie locale du Conseil de l’Europe. La République française est de plus en plus dans un système autonomique pour ces collectivités territoriales. C’est la thèse que je soutiens et que je développe. Cela se vérifie dans la posture de l’Etat, dans son verbe mais aussi dans la façon d’envisager les rapports financiers entre l’Etat et les collectivités territoriales.