Congés bonifiés : Victoire Jasmin interpelle le ministre Gérald Darmanin et défend un « acquis social obtenu de haute lutte »

Congés bonifiés : Victoire Jasmin interpelle le ministre Gérald Darmanin et défend un « acquis social obtenu de haute lutte »

Depuis plusieurs semaines des inquiétudes se font entendre autour des congés bonifiés des fonctionnaires Ultramarins prévue par le Gouvernement. À Cayenne en octobre 2017, le Chef de l’État a déclaré sa volonté de réformer les congés bonifiés, il a indiqué que les congés bonifiés actuels n’étaient « plus adaptés à un temps où il fallait prendre un bateau pendant des mois pour rejoindre sa famille ». Ces congés bonifiés concernent les agents publics ultramarins  pour un coût évalué à plus de 500 millions d’euros par an, hors sur-rémunérations liées à la « prime de vie chère », selon le rapport du député Jean-Pierre Brard.

Sur ce sujet, la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale a chargé le député LR de La Réunion David Lorion d’un rapport sur cette réforme. Le député Lénaïck Adam a, quant à lui, été nommé co-rapporteur. 

Dans une question écrite au ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, la sénatrice de Guadeloupe Victoire Jasmin, regrette une « volonté méthodique et ciblée, de détruire un à un, tous les droits sociaux acquis au prix de longues années de luttes politiques et syndicales ». Elle s’alarme « d’une remise en cause de droits sociaux acquis, sans parallèlement de volonté de votre Gouvernement pour adopter des mesures concrètes, efficaces et rapides contre la vie chère et contre les couts exorbitants des frais de transports, en outre-mer ». La sénatrice nous a transmis, en exclusivité, sa question écrite, et a répondu aux questions de la rédaction. 

« Madame Victoire Jasmin souhaite alerter M. le Ministre de l’Action et des Comptes publics face à l’inquiétude grandissante des fonctionnaires ultramarins suite aux récentes annonces par le Gouvernement, de réforme de leurs statuts sans concertation et dans la précipitation. En effet, les agents de la fonction publique qui servent l’État tant dans l’hexagone que dans les territoires d’Outre-mer, sont inquiets et extrêmement mécontents.

Ils ne sont pas obstinément fermés à l’idée d’une évolution de leur statut, mais cela doit se faire en totale transparence en impliquant tous les acteurs concernés, afin de tenir compte de la multiplicité des aspects de cette réforme : ses conséquences juridiques, économiques et sociales bien sûr, mais également culturelles et sociologiques.

Or, les agents ultramarins du service public ont le sentiment, certainement légitime, de faire l’objet de la part de votre gouvernement, d’une volonté méthodique et ciblée, de détruire un à un, tous les droits sociaux acquis au prix de longues années de luttes politiques et syndicales.

En effet, les annonces récentes et contradictoires, font croitre la colère et l’incompréhension sur les sujets suivants :

– sur la remise en cause l’indexation du salaire des agents sur le coût réel de la vie dans les territoires d’Outre-mer,

– sur la volonté de réformer les congés bonifiés, en moins de 6 mois et sans aucune consultation des intéressés eux-mêmes ou de leurs syndicats.

– et enfin, sur l’interprétation arbitraire par plusieurs administrations, de la notion des centres d’intérêts matériels et moraux (CIMM), qui est la notion prioritaire dans le cadre des demandes de mutation ou des congés bonifiés en Outre-mer.

Les questions sont nombreuses.

Ainsi, concernant la méthode de la réforme, la Sénatrice Victoire Jasmin, souhaite savoir si c’est par méfiance du Parlement ou par mépris des fonctionnaires ultramarins, que votre gouvernement a choisi de modifier les dispositions les concernant par voie réglementaire, alors même, que vous venez de présenter le 13 février dernier votre projet de loi de transformation de la fonction publique, sans aucune mention des congés bonifiés ?

La Sénatrice Victoire Jasmin rappelle que le congé bonifié, n’est pas un privilège mais un droit instauré à l’origine pour les seuls fonctionnaires métropolitains, et qui ne fut étendu qu’en 1978, aux fonctionnaires ultramarins, par équité. Ces congés sont dits « bonifiés » car tous les 3 ans, 30 jours de congés supplémentaires peuvent être accordés au fonctionnaire, avec une prise en charge des frais de transport et le versement d’une indemnité contre « la vie chère » en Outre-mer.

Concernant le fond, la Sénatrice Jasmin s’interroge sur les justifications plausibles que l’on pourrait trouver à maintenir un droit plein et entier aux seuls hexagonaux, alors qu’il s’agirait de le retreindre uniquement pour les ultramarins.

Par ailleurs, elle s’alarme d’une remise en cause de droits sociaux acquis, sans parallèlement de volonté de votre Gouvernement pour adopter des mesures concrètes, efficaces et rapides contre la vie chère et contre les couts exorbitants des frais de transports, en outre-mer.

Enfin, la Sénatrice Victoire Jasmin, souhaite souligner qu’il serait indigne de faire peser une injonction d’économie, sur les fonctionnaires ultramarins, en oubliant le tribut payé par leurs ainés et la qualité du service rendu au public, alors qu’une mesure simple et non idéologique de rétablir l’ISF, comme le propose les parlementaires de Gauche, permettrait aisément de rétablir les marges de manœuvres financières de L’État ».

Interview de Victoire Jasmin : 

Outremers360 : Madame la Sénatrice, vous faites part d’inquiétudes concernant la réforme des congés bonifiés prévue par le Gouvernement. Que pensez-vous ce projet de réforme ?

Victoire Jasmin : Avant d’évoquer ces fameux « congés bonifiés »,  il convient de rappeler qu’ils ont été acquis de haute lutte en contrepartie des conditions d’accueil exécrables, très éloignées du « rêve français » vendu aux milliers d’originaires des DOM qui ont répondu à l’appel du BUMIDOM (Bureau pour le Développement des Migrations des Départements d’Outre-mer), créé en 1963 qui a structuré ce déracinement, un véritablement dépeuplement dans l’espoir, pour ces originaires de trouver un meilleur cadre de vie et des perspectives d’emplois plus grandes. Aimé Césaire parlait d’un « génocide par substitution ».

Ces milliers d’agents de la Fonction publique, originaires des DOM ont donc obtenu le droit de bénéficier de 30 jours de vacances supplémentaires tous les 3 ans, d’une indexation de leurs revenus sur le coût réel de la vie dans le DOM d’origine durant ces congés et d’une aide au transport, tout cela une fois toutes les trois années. Il faut savoir que les agents métropolitains de la Fonction publique qui s’établissent dans les DOM jouissent également de ces congés, de l’aide aux transports mais aussi d’une bonification des trimestres pour leur retraite, des facilités de logements et une prime d’installation.

©DR

©DR

Que pensez-vous du contenu de cette réforme ? Vous semblez aussi regretter la méthode employée par le Gouvernement ?

Il semblerait que le Gouvernement souhaite réformer cet acquis social obtenu de haute lutte, dans les bureaux et dans l’opacité la plus totale, sans aucune concertation des organisations syndicales et nonobstant le Parlement puisqu’il est prévu d’utiliser la voie réglementaire.

Sur la base des informations que nous possédons actuellement, il semblerait que dès 2020, il soit souhaité la variation de la fréquence de 3 à 2 ans, la régression de la durée du séjour passerait à 31 jours y compris le délai de route en lieu et place du forfait de 65 jours, avec la disparition de la « prime de vie chère » et une interrogation quant à l’achat du billet d’avion par l’agent ou le versement d’une somme forfaitaire pour les agents Ultramarins en Hexagone alors que dans le même temps le statut quo survit pour les agents métropolitains dans les territoires ; Dans toute cette précipitation, est exclue de la réflexion les CIMM qui sont appréciés à la discrétion de chacune des administrations des trois Fonctions Publiques et au gré du bon vouloir de l’encadrement, ce qui génère de nombreux contentieux.

Outre le caractère discriminatoire de cette réforme, il y a un préjudice économique considérable pour les acteurs économiques locaux tant cette « prime de vie chère » participe au développement d’économies déjà fragiles notamment par la consommation des agents et de leur famille.

Quelles sont les pistes envisageables ?

Je suis une militante de l’inclusion citoyenne, de la démarche participative. Je pense que l’Exécutif aurait tout intérêt à consulter les principaux concernés par cette réforme et à laisser le Parlement jouer son rôle de législateur sur ce sujet plutôt qu’à vouloir agir de façon autoritaire.

Sur le fond, je n’ai jamais considéré qu’un acquis n’avait pas vocation à évoluer avec le temps compte tenu des mutations qui transforment notre société. Cependant, il y a une différence considérable entre une évolution et une régression.

En l’espèce, ce projet constitue une véritable régression des droits et une iniquité puisque le Gouvernement va créer un nouveau concept de fonctionnaires à deux vitesses dans un même espace territorial français : les Français ayant droit à la « prime de vie chère » vivants en permanence dans les DOM et les Français retournant dans leur DOM d’origine ayant une diminution conséquente de leur revenu dans un environnement économique et commercial hors de contrôle des prix des produits de première nécessité.

De plus, les Outre-mer, écart énorme existant entre l’effort budgétaire de l’État vers la Corse (187 millions pour 300 000 habitants à 200 km du continent) et celui fait vers les Outre-mer (42 millions pour 2,5 millions d’habitants dont le territoire le plus proche est situé à 7000km de l’Hexagone). Au nom du principe constitutionnel d’égalité, il faudrait un juste rééquilibrage de l’action de l’État en matière de continuité territoriale. On ne peut pas habiller Pierre et déshabiller Paul.