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L’audition, qui débute aujourd’hui, de quatre ministres par la commission d’enquête parlementaire sur l’utilisation aux Antilles du chlordécone, pesticide dangereux qui a pollué les sols à long terme, va clore plusieurs mois d’investigations sur ce qu’Emmanuel Macron a qualifié de « scandale environnemental ».
Bien avant les polémiques en France autour du glyphosate, l’usage du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique de 1972 à 1993 est le « fruit d’un aveuglement collectif », dans lequel l’État doit « prendre sa part de responsabilité », avait dit le chef de l’État lors d’un déplacement en septembre 2018 aux Antilles. Perturbateur endocrinien, ce pesticide utilisé pour lutter contre un charançon du bananier est suspecté d’être à l’origine de cancers de la prostate, très nombreux aux Antilles. Selon Santé Publique France, 95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais sont contaminés.
La pollution peut persister dans les sols jusqu’à sept siècles. On la retrouve dans l’eau, certains légumes, viandes et poissons, entraînant des interdictions de cultiver certains produits et des interdictions de pêche. Alors que le chlordécone a été interdit aux États-Unis dès 1975, la France, elle, ne l’a interdit qu’en 1990, et seulement en 1993 aux Antilles en vertu d’une dérogation gouvernementale.
«Ça me semblait totalement justifié de savoir ce qu’il s’est passé, comment on a pu autoriser ces produits, qui les a importés, dans quelles conditions et quelles sont les mesures arrêtées après qu’on ait constaté que c’étaient des produits hyper dangereux », explique le député de Martinique Serge Letchimy, président de la commission d’enquête chargée d’évaluer les conséquences de la pollution, mais aussi d’en retracer les responsabilités et de réfléchir à l’idée d’une indemnisation. Les auditions des ministres de la Santé Agnès Buzyn, des Outre-mer Annick Girardin, de la Recherche Frédérique Vidal et de l’Agriculture Didier Guillaume s’ajoutent aux plusieurs dizaines menées depuis juillet, à Paris, en Martinique et en Guadeloupe.
Les administrations et services de l’État ont été entendus, tout comme les agences sanitaires, des experts scientifiques, les producteurs de bananes, ceux qui ont mis le pesticide sur le marché, d’anciens élus locaux, ainsi que des associations de citoyens. La commission a aussi rencontré sur le terrain des pêcheurs et des agriculteurs. Cela a permis « de libérer la parole, l’inquiétude et l’exaspération de la population, c’est une vraie souffrance pour la population », souligne Justine Bénin, députée LREM de Guadeloupe et rapporteur de la commission.
« Révélations »
« Tous disent aussi que les différents plans » (de prévention) Chlordécone lancés par l’État depuis 2008 « sont insuffisants » et « demandent plus de moyens dans le volet recherche pour la dépollution des sols », précise-t-elle. « Les moyens mis en œuvre pour lutter contre ce drame n’ont rien à voir avec la gravité de la question », déplore aussi Serge Letchimy. A titre personnel, il estime avoir « déjà suffisamment d’éléments pour indiquer quelles sont les responsabilités qui apparaissent comme les plus probables dans les autorisations de mise sur le marché des produits dangereux », pointant « l’Etat » et « les importateurs ».
« On a appris des choses, on a eu des indices, des révélations, des documents importants », ajoute le député, faisant part de certaines « surprises », « quand vous apprenez par exemple que des archives ont disparu, qu’il n’y a que 16% des terrains ciblés pollués qui sont cartographiés, ou que vous découvrez qu’il n’y a pas de recherche dédiée (à la lutte contre la pollution) ». Autre révélation, l’annonce, lors de l’audition d’un ancien député de Guadeloupe, que des stocks de chlordécone auraient été enfouis sur un site guadeloupéen qui abrite aujourd’hui un lycée a entraîné l’ouverture d’une enquête judiciaire.
Au fil des auditions, « les langues se sont déliées », confirme Justine Bénin, qui « a l’impression d’avoir déminé des zones d’incertitude ou de flou ». « Le sujet est sensible et douloureux », et l’audition des ministres « doit permettre de sortir des passions. Il n’est pas question de lynchage », mais d’aboutir à « des propositions bonnes pour les hommes et la terre ». Le rapport est attendu début décembre. « Vous ne serez pas déçus », promet-elle.
Avec AFP.