CESE Outre-mer : « Les corps intermédiaires sont une nécessité », assurent Philippe Edmond Mariette et Inès Bouchaut-Choisy

CESE Outre-mer : « Les corps intermédiaires sont une nécessité », assurent Philippe Edmond Mariette et Inès Bouchaut-Choisy

©Outremers360

Alors que le président de la République a annoncé, en 2018, une diminution du nombre de représentants au CESE et plus récemment, l’intégration de 150 citoyens tirés au sort pour intégrer l’institution, Outremers360 a rencontré Inès Bouchaut-Choisy, représentante de Saint-Barthélemy et présidente du groupe Outre-mer au CESE, et Philippe Edmond-Mariette, représentant de la Martinique et secrétaire du CESE. 

Dans cette interview, ils évoquent leurs rôles de représentants et le rôle de la délégation aux Outre-mer de l’institution, les différents travaux menés par cette même délégation mais aussi la « nécessité » des « corps intermédiaires » qui « apportent la parole citoyenne et en même temps, la représentation de quelque chose qui est organisé ». Inès Bouchaut-Choisy et Philippe Edmond-Mariette voient leur fonction comme un « trait d’union » entre les territoires et les politiques publiques, et annoncent un prochain avis du CESE sur les langues régionales.    

Quel est votre rôle de représentant Outre-mer au CESE et le rôle de la délégation aux Outre-mer de cette institution ? 

Philippe Edmond-Mariette : La délégation des Outre-mer aux CESE a un véritable intérêt, d’abord par ordre de création : elle a existé avant la délégation Outre-mer à l’Assemblée nationale. Ensuite, par sa composition, car elle n’est pas composée uniquement d’Ultramarins, il y a aussi des conseillers CESE métropolitains. Ce qui montre bien qu’on a besoin de cette réflexion et ce partage commun pour mieux construire les études, et quand celles-ci sont transformées en avis, mettre en avant un certain nombre de préconisations. C’est aussi un moyen de montrer que la France n’est pas seulement étriquée sur l’Hexagone mais de faire prendre conscience que des problématiques qu’on trouve dans l’Hexagone se retrouvent aussi dans nos territoires.

Un exemple : aujourd’hui nous avons une commission temporaire qui travaille sur la grande pauvreté. On ne peut aborder cette question sans un focus Outre-mer. Par malheur, les territoires ultramarins sont les plus fracturés à ce niveau-là. Quand vous prenez le taux de chômage, la problématique de santé, de logement, les Outre-mer sont dans des situations particulièrement défavorables. À travers un avis, comme celui qui peut être rendu par cette commission sur la grande pauvreté, c’est tout faire pour permettre aux pouvoirs publics et au gouvernement, quels qu’ils soient, d’inspirer des politiques publiques plus innovantes et qui peuvent être construites au plus près des difficultés de nos territoires.

Mon rôle au bureau est de tout faire pour promouvoir les études conduites par la délégation aux Outre-mer et faire en sorte que le bureau accepte que les études soient transformées en avis.

Comment faites-vous pour élaborer ces études, qui peuvent être transformées en rapports et avis ? Quelle est votre méthodologie ? 

PEM : La méthodologie est simple. Compte tenu de la relation avec les CESER locaux, compte tenu de la relation avec les organisations syndicales, professionnelles ou patronales, il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous sommes sensibilisés. Il faut faire partager cette demande aux collègues métropolitains et il y a un débat au sein de la délégation. A partir du moment où la question est importante et mérite d’être traitée, à ce moment-là on propose à la délégation d’en faire un objet d’étude et cela se décide à la majorité des membres qui composent la délégation. Après il faut choisir un ou des rapporteurs et cela nécessite à la fois un travail en territoire mais aussi un temps à Paris, qui quelque fois pose difficulté par rapport à un exercice professionnel que l’on a sur le territoire.

Durant cette mandature, quels ont été les grands travaux que votre Délégation a réalisés ? 

PEM : Il y a eu la saisine gouvernementale sur les violences faites aux femmes, traitée en délégation mixte : c’est-à-dire avec la Délégation aux Outre-mer du CESE et avec la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du CESE. Cette délégation avait déjà fourni un travail sur les violences faites aux femmes dans l’Hexagone, et il nous est apparu comme une nécessité que ce travail soit aussi traité dans les Outre-mer. Ensuite, on a eu la question des langues régionales qui a été une saisine d’initiative. Il y a eu le tourisme durable juste avant et bientôt, peut-être une quatrième étude.

Sur les violences faites aux femmes, quelles ont été les avancées concrètes apportées par cet avis du CESE ? 

PEM : Les avancées concrètes ont trouvé une traduction au moins à trois niveaux. L’une des premières pistes est au niveau des organes de poursuite, donc sur le plan de l’organisation judiciaire à la fois police, gendarmerie et les tribunaux. L’idée est d’offrir une meilleure écoute aux victimes et certains parquets des juridictions ultramarines ont organisé les choses en conséquence. Par exemple : dans les commissariats de police ou les gendarmeries, on a des personnes formées à l’écoute des victimes.

Le deuxième point se trouve dans les mesures d’accompagnement social. Préserver la femme et sortir le compagnon violent n’était pas toujours chose facile. Créer un établissement qui pourrait accueillir ces femmes c’est aussi stigmatiser dans des territoires qui sont aussi petits. Ce travail permet aux bailleurs sociaux et à tous les partenaires sociaux d’accompagner la victime dans son parcours de relogement pour mettre de la distance entre elle et le compagnon violent.

La troisième chose est de voir dans quelle mesure, sur le plan de la prise en charge de la femme victime, comment aujourd’hui les pouvoirs publics peuvent mieux s’organiser. On se rend compte que sur chaque territoire, il y a un travail qui commence, à la fois au niveau du recensement ou de l’éducation.

Sur le tourisme durable, vous avez fait la promotion de ce rapport devenu avis, comment a-t-il été accueilli sur les territoires ? 

Inès Bouchaut-Choisy : Favorablement. Nous nous sommes déplacés à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, en Guadeloupe, à la Martinique c’est en cour, et en Nouvelle-Calédonie. L’objectif est de poursuivre des ateliers sur le tourisme durable au sein de ces territoires. Ce sont les Collectivités et les CESER qui se sont attachés à mettre en place ces ateliers pour réfléchir à comment mettre tous les acteurs autour de la table pour définir des stratégies de tourisme durable, en prenant en compte les préconisations, et de les faire remonter les résultats de ces ateliers au comité interministériel.

Inès Bouchaut-Choisy avait présenté son rapport, devenu avis, sur le tourisme durable outre-mer en mars 2018 ©DR

Inès Bouchaut-Choisy avait présenté son rapport, devenu avis, sur le tourisme durable outre-mer en mars 2018 ©DR

Est-ce que le tourisme durable peut au final être un label, une patte qui pourra différencier les Outre-mer dans leurs environnements concurrentiels ? 

Inès Bouchaut-Choisy : Tout à fait. On insiste aussi sur le fait que ces territoires sont aux avant-postes du réchauffement climatique et qu’on ne peut pas baser le développement du tourisme que sur les plages, le sable fin et les cocotiers, il faut aussi se baser sur l’identité culturelle, la richesse du patrimoine.

Philippe Edmond Mariette : C’est aujourd’hui ce qui va intéresser le touriste quel que soit son niveau de vie. Il va trouver une identité culturelle sur chaque territoire, et quelle que soit la spécificité du territoire, il va trouver une façon de vivre unique et enrichissante, une meilleure sécurité qu’on ne retrouve pas forcément chez nos voisins, et c’est l’assurance de bénéficier d’un tourisme qui protège l’environnement. Il y a à la fois un intérêt touristique, culturel. En Polynésie, même le type d’architecture hôtelière prend en compte l’identité culturelle du territoire.

Vous avez parlé d’un avis à venir sur les langues régionales. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

PEM : Ce nouveau rapport et avis va apporter une vraie réflexion. Que ce soit en Bretagne, en Corse ou dans nos territoires, la première langue parlée, la langue maternelle est celle qu’on entend en premier. Et dans le système éducatif, nous avons une vraie fracture, des retards et des décrochages importants parce que l’enfant qui rentre en classe maternelle où tout est basé sur l’apprentissage en français, il y a pour lui une distorsion dans la prise en compte de sa construction linguistique. Cette distorsion va entrainer de graves problèmes dont le décrochage scolaire.

Notre démarche portée par la représentante de Saint-Martin, Isabelle Biaux-Altmann, c’est de montrer qu’il n’y a pas de concurrence avec la langue française et de permettre que cette expression d’une langue naturelle soit suffisamment portée et pratiquée par la population pour mieux apprendre les autres langues notamment le français. Sur nos territoires, qui en plus ont une vocation touristique, on a tout intérêt à ce que nos enfants pratiquent diverses langues. Saint-Martin par exemple parle majoritairement anglais : c’est la langue du commerce. L’autre langue la plus parlée c’est le créole, avant le français.

On voit aujourd’hui une remise en cause du fonctionnement de notre démocratie. Comment vous, personnellement, voyez votre rôle au CESE et son importance pour la Démocratie ? 

PEM : Ce rôle est essentiel. Penser que l’on peut permettre à chaque citoyen du territoire de s’exprimer, y compris par les réseaux sociaux, c’est une vérité sur laquelle la palisse n’aurait pas dit mieux. Mais cela ne peut pas correspondre à une véritable démarche de construction républicaine. Les corps intermédiaires sont une nécessité parce qu’ils apportent la parole citoyenne et en même temps, la représentation de quelque chose qui est organisé. Qu’on soit le représentant d’une association, d’une organisation patronale, syndicale, cela prouve nécessairement que les parcours de vie des 12 ultramarins qui sont membres du Conseil économique, sociale et environnemental, légitiment à la fois la désignation et ce trait d’union entre leurs territoires et le travail qui se fait ici, pour qu’on puisse être des outils d’aide à la décision. Il ne faut absolument pas que cela disparaisse demain.

Pour cela, le mode de fonctionnement du CESE fait déjà en sorte à ce qu’on ne fasse pas plus de deux mandats : cela permet une ventilation démocratique et que des personnalités et des expressions différentes soient nommées, et une vraie légitimité de la parole ultramarine qui fait qu’elle n’est pas une parole politique. Les administrations et les pouvoirs publics ont besoin que cette parole, la moins politisée possible, leur soit remontée. C’est en cela que le rôle des conseillers ultramarins au CESE est un plus par rapport au rôle que peut avoir le conseiller métropolitain qui représente son syndicat, son organisation professionnelle ou son association. Lui ne représente pas tout à la fois tout un territoire en même temps qu’il peut être un interlocuteur pour le gouvernement.