« Les problématiques françaises ne sont envisagées qu’à partir du prisme hexagonal et on appréhende toujours les Outre-mer, lorsqu’ils ne sont pas carrément oubliés, que sous celui de territoires défavorisés sous perfusion », estime Jean-Etienne Antoinette, président de la Délégation Outre-mer au CESE. Dans une interview exclusive, le représentant de la Guyane nous explique l’importance de la diversité apportée par les Outre-mer au sein du Conseil Économique, Sociale et Environnemental.
Outremers360 : Pourriez-vous nous parler de votre parcours et notamment, du parcours qui vous a conduit à être nommé au CESE ?
Jean-Etienne Antoinette : Après mes mandats de Sénateur-maire, je me suis lancé dans l’entrepreneuriat. Ce sont mes connaissances acquises des arcanes institutionnelles autant que celles du milieu économique, social et environnemental de la Guyane qui m’ont conduit à être nommé au CESE
Qui sont les autres membres de la Délégation aux Outre-mer du CESE, que vous présidez ? Sont-ce uniquement des membres venant des territoires ultramarins ou également des membres hexagonaux ?
Au préalable, je tiens à rappeler que le Conseil Économique Social et Environnemental a créé la délégation à l’Outre-mer en novembre 2010. C’est donc la plus ancienne Délégation des Outre-mer parmi les trois, celles du Sénat et de l’Assemblée Nationale. La Délégation à l’Outre-mer, comme toutes les formations de travail du CESE, comporte un représentant au moins de chaque groupe présent dans l’institution. Sachant que les 233 conseillers de notre Assemblée se répartissent, selon leur affinité politique, dans des Groupes (18 groupes).
De quels horizons viennent-ils ? (Organisations syndicales, patronales, associations, entreprises, …)
Comme je vous disais précédemment, il y a dix-huit groupes politiques au CESE qui représentent les corps intermédiaires c’est-à-dire les syndicats de patrons (MEDEF, CPME ou les Employeurs de l’ESS…), les syndicats de salariés (CGT, FO, CFDT, CFTC, UNSA, ou encore CFE-CGC), les professions, libérales, les organisations agricoles, les artisans et commerçants, les Associations, les Fondations et les Familles (UNAF) ou encore les jeunes. C’est la société civile organisée. Par ailleurs, il y a également des personnalités qualifiées. Cette représentation diversifiée constitue une véritable richesse pour notre institution mais aussi pour la Délégation que je préside.
La Délégation à l’Outre-mer a pour vocation en effet, de traiter et d’exposer les préoccupations, les richesses et les réalités des Outre-mer, en les faisant remonter sous forme de recommandations aux pouvoirs publics.
En quoi cette diversité enrichie les travaux de la délégation aux Outre-mer ? En comparaison notamment avec les membres hexagonaux ?
Pour rappel, la Délégation à l’Outre-mer est saisie par le Gouvernement ou intervient sous forme d’auto-saisine, dès lors nos réflexions peuvent prendre la forme d’études ou d’avis avec des préconisations. Par facilité sémantique sans doute, on fait toujours cette distinction entre ultramarin et non ultramarin.
Les conseillers, ultramarins ou pas, sont pourtant et avant tout des conseillers du CESE qui peuvent et doivent à la fois apporter leur regard sur l’ensemble des sujets économiques, sociaux et environnementaux de l’ensemble du territoire français. Hormis le travail que nous fournissons, la Délégation a comme intérêt supérieur d’attirer l’attention et au-delà, de faire découvrir les problématiques, les spécificités et les apports de nos territoires au plus grand nombre.
Trop souvent affectivement, les problématiques françaises ne sont envisagées qu’à partir du prisme hexagonal et on appréhende toujours les Outre-mer, lorsqu’ils ne sont pas carrément oubliés, que sous celui de territoires défavorisés sous perfusion. S’il y a certes, encore trop d’inégalités à combler, les Outre-mer apportent tant à la grandeur de la France. Ne permettent-ils pas de faire de la France la deuxième puissance maritime mondiale ? Ne sommes-nous pas une puissance dans le domaine du transport spatial avec la base de KOUROU ? Ne fournissons-nous pas 80 % de la biodiversité de la France ? Alors, cette diversité permet donc de replacer sans cesse les Outre-mer dans le débat national voire international n’en déplaise à certains.
Est-ce que cette diversité apporte un avantage pour appuyer les travaux de la Délégation ?
Je n’aurais pas formulé la question ainsi mais cette diversité permet d’ouvrir nos débats, nos travaux, comme je vous l’indiquais vers une dimension nationale en tenant compte de toutes les problématiques territoriales et pas seulement hexagonales.
De plus, les membres de la Délégation à l’Outre-mer, imprégnés de nos réflexions, deviennent aussi des Ambassadeurs des Outre-mer dans leur organisation respectives. C’est comme cela que nous casserons un certain nombre d’a priori sur les territoires ultramarins.
Quels ont été les grands apports des membres ultramarins aux grandes politiques publiques ultramarines : avis, rapports, les grandes problématiques ultramarines abordées et les réponses concrètes apportées par la Délégation ?
Pourquoi seulement les apports des membres ultramarins ? Les avis et études sont adoptés après un travail collectif en Délégation puis après passage en assemblée plénière qui réunit les 233 conseillers du CESE. C’estdonc l’ensemble des conseillers du CESE qui s’exprime in fine, sur nos travaux. Je ne vais pas recenser tous les avis ou études de la Délégation mais je vais prendre deux exemples significatifs.
D’abord, la mobilisation de l’ensemble des formations de travail aux Assises des Outre-mer. Grâce aux travaux des sections et délégations, le CESE a rendu une contribution pour nourrir les mesures du Gouvernement.
Ensuite, il y a l’avis, que nous avons adopté, sur le tourisme durable dans les Outre-mer. En l’espèce, le Gouvernement a repris nos propositions, dans le Livre Bleu des Outre-mer qui contient, comme vous le savez, les mesures issues des Assises des Outre-mer. Ensuite, le Premier ministre l’a fait également à l’occasion du Comité Interministériel du Tourisme, le 19 juillet 2018.
Je cite par exemple, le Conseil Stratégique du Tourisme Outre-mer, « chargé de formaliser, en appui du Comité interministériel du Tourisme, composé de représentants des ministères en charge du Tourisme, des Outre-mer, de l’Économie et des Finances, des collectivités compétentes, des acteurs de la filière et d’Atout France », et dont la mise en place était prévue pour la fin 2018 mais, je n’en doute pas, interviendra bientôt.
Au-delà de ces illustrations quant à la contribution du CESE dans le processus d’’ élaboration des lois ou dans les orientations de l’exécutif gouvernemental, de graves sujets de société qui déterminent le quotidien de nos concitoyens ultramarins ont bénéficié de préconisations que je voudrais qualifier de très fortes : Avis sur les violences faites aux femmes dans les Outre-mer, sur la loi égalité réelle ou encore sur loi relative au travail. Ainsi, la normalisation des excessives mesures dérogatoires à l’application immédiates des lois nationales dans l’ensemble des Outre-Mer, ou la reconnaissance des langues régionales de ces mêmes territoires, sont des chantiers qui bénéficient déjà de la tribune des plus hautes institutions de l’État.
Ce dernier point est par exemple d’une importance cruciale, en matière d’insertion sociale par la valorisation des langues régionales, c’est à dire une meilleure maîtrise du français, langue administrative et de scolarisation, mais aussi une régulation de l’illettrisme à grande échelle et de l’exclusion scolaire massive, ayant pénalisé ainsi socialement plusieurs générations. Les expertises scientifiques et pédagogiques les plus pointues sont formelles à ce titre au sujet du rôle des langues maternelles, dans l’émergence de citoyens au plurilinguisme équilibré avec le français.
Et là, bien au- delà de la Délégation à l’Outre-Mer, ce sont bien « toutes » les composantes du CESE qui vont lancer un message fort lors de la plénière du 25 juin prochain, demandant à la République et à ses institutions de :
– Regarder en face comment l’unité nationale s’est historiquement bâtie autour du français mais au détriment des langues régionales, au statut minoré dans la Constitution et les institutions de la France.
– Considérer la très grande diversité des langues des Outre-Mer et dont certaines sont en danger, malgré les enjeux pédagogiques et sociaux évoqués plus haut.
Et enfin :
– Préconisant la nécessité de ratifier la Charte européenne sur les langues régionales et minoritaires, préconisation introduite par les avis du CESE se référant à la reconnaissance internationale des droits historiques des peuples Autochtones par l’Organisation des Nations Unies.
Aussi, comme nous ne travaillons pas en vase clos à la Délégation à l’Outre-mer mais en lien étroit avec les organisations de nos territoires notamment par l’intermédiaire des CESER, CESC et les chambres consultatives, j’ai souhaité apporter une innovation dans notre méthode de travail en allant porter nos préconisations au plus près des territoires et des acteurs concernés. C’est assurément une évidence de soumettrenos propositions à la société civile de nos territoires.
Au-delà des rencontres enrichissantes avec les élus, la population et la société civile, nous avons pu vérifier le bien-fondé de nos recommandations. A charge maintenant pour les exécutifs locaux de se les approprier. Je pense que nous ne pouvons qu’être satisfaits des retours que nous avons reçus. La Délégation à l’Outre-mer a expérimenté cette nouvelle approche et le refera, j’en suis sûr car nous avons besoin de cette interaction avec les territoires.
Vous voyez, le CESE a constamment innové d’abord en créant la première délégation à l’Outre-mer puis, comme je vous l’ai dit, celle-cien allant porter nos préconisations sur les territoires, constitue donc un outil particulièrement utile et précieux à notre institution.Ce sont pour toutes ces raisons que dans le cadre des réformes annoncées, la place et le rôle des Outre-mer dans les Instituions demeurent un enjeu démocratique.