ANALYSE – Relations France, La Réunion et Afrique du Sud: La diplomatie territoriale à l’épreuve des vestiges du colonialisme

ANALYSE – Relations France, La Réunion et Afrique du Sud: La diplomatie territoriale à l’épreuve des vestiges du colonialisme

©Reuters

La récente non reconnaissance de l’île de La Réunion par l’Afrique du Sud, « dans le cadre de la demande de la signature (…) des Etats bénéficiaires des fonds de coopération régionale FEDER – INTERREG V », remet en exergue les complexités diplomatiques entre les Départements, Régions et Collectivités d’Outre-mer et les puissances régionales. Christophe Rocheland, Doctorant en Géopolitique d’origine réunionnaise, explique ces « différents diplomatiques », au regard du colonialisme.

Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud s’est exprimée sur sa non reconnaissance de la Région Réunion, Région française de l’Afrique indiaocéanique (1). Cette position sud africaine est intervenue dans le cadre de la demande de la signature, obligatoire dorénavant, des Etats bénéficiaires des fonds de coopération régionale FEDER -INTERREG V (2). Un affront diplomatique pour les autorités régionales de l’île qui se voient fermer les portes de Pretoria, plus proche puissance économique, membre des BRICS. Un cas d’école « sui generis » pour une analyse géopolitique d’un conflit de représentation dans les rapports de force dans l’océan Indien entre un territoire français qui s’émancipe à l’international et une puissance continentale et mondiale.

La fin de non recevoir du Foreign Affairs de Pretoria adressée à la France au sujet de la co-signature des accords Interreg V avec la Région Réunion, fait resurgir les différents diplomatiques entre les deux pays dans le théâtre des opérations africaines et internationales. Des différents liés aux condamnations de l’Union Africaine au sujet de Mayotte revendiquée par les Comores mais également la politique africaine passée et présente de l’ancienne puissance coloniale, caractérisée par sa présence dans l’océan Indien.

La position de Pretoria peut paraître surprenante au sujet de La Réunion alors que des accords de coopération décentralisée ont été signés entre Province et villes sud africaines (3) avec les autorités locales de La Réunion (Région Réunion et Villes) depuis 2003. De même, les solidarités politiques, syndicalistes et civiles de La Réunion avec le parti au pouvoir en Afrique du Sud (African National Congress) et la lutte contre l’Apartheid ont toujours été reconnues et exaltées de part et d’autre (4).

©Christophe Rocheland

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Du coté de La Réunion, se développe avec Didier Robert, Président de Région depuis 2010, des objectifs stratégiques d’ouverture de l’île à l’international. Depuis 2015, ces objectifs constituent l’un des piliers de la seconde mandature (2015-2021) qui repose sur l’axe de la coopération économique et technique. Sa concrétisation consiste en l’utilisation des fonds européens INTERREG V comme guichet de financement de projets concrets auprès des acteurs économiques, essentiellement. Le volet consacré au renforcement du dialogue politique et institutionnel par le biais de la négociation d’accords diplomatiques ou de coopération décentralisée est mis au second plan. Ainsi, les possibilités de négociation directes d’accord de coopération auprès des Etats de la zone (Loi d’Orientation pour l’Outre Mer de 2000 et Loi Lurel) dans ses domaines de compétence n’ont jamais été activées par la Région depuis 2010, de même que les demandes d’adhésion aux grandes organisations régionales africaines voisines.

Fortement poussée par les opérateurs économiques d’une économie insulaire sous perfusion française, la Région, autorité de gestion des fonds Interreg s’est engagée à soutenir certains projets régionaux. Cela n’a fonctionné, pour l’instant, qu’avec des partenaires de même taille (économique) et sous la même influence francophone comme Madagascar, Maurice, les Comores, et les Seychelles, sauf l’Afrique du Sud.

Venir discuter avec les autorités de Pretoria, membre des BRICS et puissance économique mondiale, uniquement sous l’angle financier et technique (un montant de 21 millions d’euros qui peut paraître dérisoire pour un Etat qui gère plus de 150 milliards d’euros de budget) n’a donc pas été une stratégie gagnante. Surtout pour le leader diplomatique du continent dont les bases de la politique étrangère sont profondément anticolonialistes. Il aurait été plus judicieux de créer les bases d’une discussion autour des marqueurs identitaires, politiques, socioculturels nombreux que partagent les deux territoires, géographiquement africains.

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Ainsi, la « diplomatie territoriale » pratiquée par les Antilles Guyane , la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française depuis plus de 15 ans, basée sur le préalable d’un dialogue politique direct avec les Etats partenaires de coopération (Etats comme organisation régionales), ne semble pas avoir de succès pour les décideurs réunionnais. Les exigences de l’Europe, de bon sens, ont accéléré le calendrier de cette « diplomatie réunionnaise » (5). On le voit concernant la réciprocité imposée par l’Europe en matière de coopération transnationale, mais également en matière des transferts de compétences internationales offertes par le législateur français depuis 2000.

Les enjeux auxquels sont confrontés les décideurs politiques réunionnais mais également mahorais sont de se différencier des problématiques diplomatiques héritées de la colonisation française et de capter l’attention et l’intérêt du voisin le plus puissant de la zone. L’approche identitaire et historique africaine serait la plus appropriée, faisant des Français de l’océan Indien leurs « frères africains » dans le même registre de la diplomatie indienne vis à vis de sa diaspora. Une approche qui pourrait faire évoluer les conceptions sud africaines, qui n’ont pas beaucoup changé depuis l’ère des luttes pour les indépendances. Il en est de même au sujet des représentations mentales des Réunionnais vis à vis de l’Afrique : une image niée, dévalorisée, taboue (6) selon les sociologues.

Les conceptions de l’une et de l’autre partie montrent que la décolonisation des esprits ne s’est pas faite. Si L’Afrique du Sud n à rien à y gagner, c’est La Réunion qui a, manifestement, tout à perdre.

Christophe Rocheland, Doctorant en Géopolitique

Annexes:

  1. Télégramme diplomatique de l’Ambassadeur de France en Afrique du Sud, oct 2016
  2. INTERREG V Océan Indien vise à renforcer l’insertion régionale de La Réunion et de Mayotte dans l’Océan Indien et à répondre aux enjeux de co-développement des pays de la zone. Les financements proviennent du Fonds européen de développement régional (FEDER), principal instrument de la politique européenne de cohésion économique, sociale et territoriale.
  3. Accords de 2003 entre le Kwazulu Natal et la Région Réunion et Villes du Port et Durban (2005) et villes de Saint Louis et Mthatha (2010)
  4. Le Parti Communiste Réunionnais l’Union des Femmes de La Réunion et la CGTR entretenaient des liens avec l’ANC et ses satellites (http://www.ipreunion.com/actualites/reportage/2012/01/06/le-congres-national-africain-celebre-son-centenaire,le-pcr-invite-en-afrique-du-sud,14005.html)
  5. « Émergence d’une diplomatie réunionnaise », mémoire de 2nd cycle CEDS, avril 2016
  6. Paul Mayoka : L’image du Cafre: de l’Afrique réunionnaise, Publ. Hibiscus, Saint-Denis, 1997