ANALYSE. Municipales 2020 : Grand coup de vent démocratique sur l’archipel guadeloupéen

ANALYSE. Municipales 2020 : Grand coup de vent démocratique sur l’archipel guadeloupéen

Une semaine après le second tour des municipales 2020, Pierre-Yves Chicot, Maître de conférences de droit public, Avocat et Consultant en politiques publiques, nous propose son analyse des résultats en Guadeloupe. Selon lui, le « choix porté par les guadeloupéens » lors de ce scrutin « semble nous enseigner qu’il ne suffira plus de dire « je vous aime » pour emporter sa conviction, dans l’avenir ».

La Guadeloupe est-elle en train de changer sur le plan politique ? Le sort des élections municipale et communautaire a livré des résultats pour le moins surprenants, sur fond d’une bipolarisation désormais claire de l’échiquier politique guadeloupéen. En effet, la Fédération du Parti Socialiste et ses alliés et Guadeloupe Unie Solidaire et Responsableavaient donné l’investiture ou soutenu des listes, en ayant en ligne de mire les futures élections régionales, départementales et sénatoriales. L’asymétrie n’est pas la caractéristique première du rapport de force entretenu entre les deux camps, tant les municipalités conquises ou conservées par l’une et l’autre rendront encore incertaines les futures échéances électorales.

La rude compétition politique

La campagne électorale a hélas aussi roulé dans la fange sous des aspects protéiformes, déversant le vomi de la bête aussi hideuse que pestilentielle : racisme, prébendes douteuses, trocs déséquilibrés, éditoriaux de journalistes, heureusement très rares, aussi partiaux qu’obséquieux, etc. Bref, ceux qui sont rompus à ces pratiques confesseront la naïveté de celui qui s’émeut parce que, en politique, il n’y a point de place pour le jeu. Autrement dit, les moyens les plus impensables pour le commun des citoyens doivent être mis au service de la victoire électorale. A cet égard, autant la campagne du premier tour a donné la primauté à la vision, aux programmes et aux projets, celle du second tour fut comme à son habitude celle de l’agglomération arithmétique et des coups verbaux violents assenés, pour à la fois, séduire l’électeur et assommer l’adversaire.

La vertu démocratique

Une fois cette première observation livrée, car frappée par l’impossibilité d’être passée sous silence, il est loisible d’observer la belle participation des citoyens au second tour, faisant se dessiner un large sourire sur le visage de ceux qui sont des laudateurs de la vivification de la démocratie. 78% de participation à Port-Louis dans le Nord-Grand-Terre, 87% de participation dans la section de Vieux-Bourg à Morne-à-l’Eau, à titre d’exemples. Ces statistiques expriment de manière limpide, l’attachement indéfectible des guadeloupéens à la désignation de leurs dirigeants par le truchement du suffrage universel majoritaire. Même si les tentations autoritaires peuvent survenir çà et là, à la faveur de la précarité de l’éducation civique, économique et sociale qui règne dans le pays, le guadeloupéen sait attendre son heure en vue d’éconduire.

Les crises (sanitaire et de l’eau)

Si le premier tour a considérablement rendu casaniers les électeurs les plus déterminés, le second tour, s’inscrivant dans une période où la catastrophe sanitaire semble s’essouffler a largement comblé la frustration civique qui avait été créée. L’entre-deux tour a été particulièrement long. Plus de 3 mois entre le 15 mars et le 28 juin laissant le soin aux candidats demeurés en lice ou pas de fourbir leurs armes. La crise sanitaire combinée à la crise de l’eau a vraisemblablement eu une influence significative sur le verdict des urnes dans certaines communes. Plus largement, la crise de l’eau est certainement l’élément hubristique, pouvant expliquer la forte ondée démocratique qui s’est abattue sur l’archipel du pays de Guadeloupe. La crise de l’eau agit comme un miroir grossissant du grief de l’incompétence politique et administrative opposée à bien des élus guadeloupéens demeurés en place ou évincés. Cet aspect des choses est particulièrement digne d’intérêt dans la mesure où celui-ci traduit une évolution sensible de la mentalité de l’électeur. Ce dernier, sans tourner le dos au vote affectif lié à la faiblesse de l’éducation civique qui se transforme en gratitude durable et béate favorise une installation longue à la tête du pouvoir municipal.

« Névrose d’angoisse »

Il semble poindre à l’horizon la fin d’une manière de voir où la fidélité indéracinable à un homme, une femme, un parti, une famille s’effrite au profit d’une exigence plus affirmée de l’obligation de résultat. Car en effet, l’immobilisme patent de bien de politiques publiques ressentis sur les routes, dans les robinets, dans l’obligation de recourir systématiquement à son véhicule ainsi que la tardiveté à penser le déchet comme une ressource irriguant la puissance de l’économie circulaire plonge le guadeloupéen, davantage encore dans l’angoisse du lendemain. La transformation institutionnelle et/ou statutaire proposée comme l’alpha et l’omega de la résolution de tous ces problèmes collectifs nourrit probablement, encore plus, son incrédulité en une classe politique qui veut changer de cylindrée alors que le peuple considère qu’elle peine tellement à obtenir le permis de conduire idoine. S’il est possible, voire même délicieux de faire l’éloge de l’incertitude qui fait le cœur battre la chamade, les doutes sur le futur crée la « névrose d’angoisse » définie par les psychanalystes comme « un sentiment d’insécurité patent ».

L’auto-génocide ?

Ainsi peut s’expliquer cette surprise démocratique non concertée entre les guadeloupéens de ce désir d’autant de changements de majorité dans les communes, notamment deux au premier tour à Trois-Rivières et à Pointe-Noire. Alors qu’on lui répète comme une antienne « gouverner c’est prévoir », le guadeloupéen se trouve être le témoin mélancolique, atrabilaire, neurasthénique de l’exil inexorable de la jeunesse commencée en 1962 (BUMIDOM), et qui n’est pas prêt de se tarir. Par ailleurs, la précarité économique limite la liberté d’expression et la peur est la première conseillère et l’idée qui pourrait vous étreindre de vouloir verser dans la sédition locale passe vite de vie à trépas. L’affaissement des politiques publiques de santé qui échoient aussi à l’échelon local a contrario de ce qui est servi à la population, la circulation horrifiante des armes et des drogues dites dures, les voies sans issue pour ceux qui ne fréquentent plus les circuits scolaires, l’illettrisme effroyable qui sévit constituent l’arrière fond d’un décor où seuls ceux de l’entre soi (politique, économique, partisan) mortifère pour le pays, peuvent avoir le privilège de se délecter du jus sucré de l’espoir. Névrosés d’angoisse, les guadeloupéens ont tout simplement peur de mourir, non pas à cause des autres mais à cause de celui qui lui ressemble et surtout ses semblables qui disposent de la décision publique par le jeu démocratique : les élus des assemblées locales et consulaires.

Et la suite ?

La mise en maturité progressive de la démocratie locale guadeloupéenne fournit l’occasion de mentionner que le profil majoritaire des futurs maires peut donner lieu à un affaiblissement relatif de la toute puissance administrative et politique des cadres territoriaux. Ce choix porté par les guadeloupéens sur lesdits profils semble nous enseigner qu’il ne suffira plus de dire « je vous aime » pour emporter sa conviction, dans l’avenir. Ce qui s’esquisse, peut-être, est le choix des actes matérialisés d’amour en lieu et place de mots d’amour creux et insipides.

Pierre-Yves Chicot
Maître de conférences de droit public – Habilité à Diriger les Recherches
Avocat au Barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy
Consultant en politiques publiques