Mardi 12 avril, le Président de la Polynésie française, Edouard Fritch, a reçu trois des cinq maires que comptent les îles Australes afin de confirmer le refus du Pays du projet de création d’une Aire marine protégée autour de l’archipel. Celui-ci est porté par les habitants des îles Australes, appuyés par l’ONG Pew, et ils ne semblent pas résignés à l’abandonner malgré l’opposition de l’exécutif.
Le débat est-il clos ou le bras de fer commence-t-il à peine ? La semaine dernière, les habitants de l’archipel des Australes, au Sud de la Polynésie française, s’étaient déplacés jusqu’à Tahiti afin de présenter et défendre leur projet d’Aire marine protégée (AMP) auprès des instances politiques, économiques et culturelles du Pays. Cette AMP s’étendrait sur un million de km2. Toute pêche et exploitation minière y seraient strictement interdites. Seule une zone de 20 nautiques – environ 38 km- à partir des côtes serait autorisée à la pêche mais réservée aux pêcheurs locaux. Baptisée Rahui Nui no Tuha’a Pae, le projet d’AMP, qui reprend en lame de fond le principe d’un interdit ancestral récemment expliqué dans nos colonnes par Alexandre Juster, est porté par les habitants de l’archipel (instituteurs, pêcheurs,…) et les élus locaux réunis au sein de l’association éponyme, et appuyés par la branche polynésienne de l’ONG Pew. Au départ unis et unanimes pour soutenir leur projet, un des cinq maires de l’archipel a cependant changé de position début avril ; Frédéric Riveta, maire de l’île de Rurutu et proche d’Edouard Fritch. Il rejoint la position du Président de la Polynésie française qui souhaite voir naître une Aire marine gérée, appliquée à l’ensemble de la ZEE polynésienne. Une Aire marine gérée qui serait un équilibre entre préservation des ressources et développement économique. Ce mardi 12, Edouard Fritch a confirmé son refus auprès des maires de Rurutu, Rimatara et Raivavae et en a profité pour présenter le projet de l’exécutif.
Pourquoi le gouvernement polynésien s’y oppose ?
La démarche entamée par les îles Australes en 2014 semble vertueuse. Elle avait même le soutien du gouvernement jusqu’en 2015. En effet, l’ONG Pew recevait en 2014 un courrier signé par l’ancien ministre polynésien de la Culture, Geffry Salmon. La demande était alors de « dresser un état des lieux écologique et socio-économique des patrimoines naturels et culturels des îles Australes », puis « développer les stratégies nécessaires à la gestion du territoire concerné ». Le résultat final a donné naissance à ce projet d’AMP Rahui Nui no Tuha’a Pae, qui verrouille donc un million de km2 au sein de la ZEE polynésienne et serait géré uniquement par les îles Australes. Et c’est là où le bât blesse. Le gouvernement de la Polynésie française ne semble pas enclin a perdre la gestion d’une telle surface et surtout, de ne pas pouvoir en exploiter les ressources. Pour le Président polynésien, le projet d’AMP des îles Australes reviendrait à « s’enfermer ». Il poursuit, « on ne peut pas interdire aux Polynésiens d’accéder à la zone économique de notre pays. On va commencer par les Australes, puis ce sera les Marquises, les Tuamotu, et on ne pourra plus pêcher nulle part alors que notre flottille de pêche participe au développement et à l’emploi ». Du côté adverse, on concède cette frilosité du gouvernement, « en effet, fermer une grande zone à la pêche fait peur aux politiques pour le coût d’opportunités que cela représente. Mais ce que nous leur disons, c’est que si l’on exploite partout -surtout avec tous les bateaux usines en projet-, alors il n’y aura pas de régénération des stocks et ce sera la faillite pour toute la filière ».
Interrogé sur le sujet lors de l’inauguration officielle de l’exposition « Mata Hoata : arts et société aux îles Marquises« , l’actuel ministre polynésien de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu, qui a repris en main le dossier en fin 2015, rejoint sans surprise la position du chef de l’exécutif, « interdire à nos pêcheurs de pêcher chez nous, c’est une énorme bêtise ! ». Le fait de voir une partie de la ZEE polynésienne hors du champ de compétence du Pays agace également le ministre. « En 2009, le Pays avait déclaré lors du Grenelle de la mer, que son ambition était de classer l’ensemble de sa ZEE et non de la morceler », avant de vanter les mérites de la politique polynésienne de la pêche, « il y a depuis longtemps une démarche de protéger la ZEE ; depuis 2000, plus aucune licence de pêche n’est accordée aux navires étrangers. Nous ne prélevons que 40% des stocks disponibles. Nous pratiquons une pêche à la palangre et non aux filets dérivants ou des senneurs et notre pêche est reconnue comme étant écologique. Surtout, depuis 2002, nous sommes le plus grand sanctuaire de mammifères marins et le plus grand sanctuaire de requins au monde. Notre démarche est déjà quasiment celle d’une Aire marine protégée depuis 2002 et là, nous souhaitons valider cette démarche. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas de nous empêcher de pêcher chez nous, cela n’a pas de sens ! ». Pour le ministre de la Culture, l’ONG Pew devrait d’avantage se pencher sur la pêche illégale qui sévit dans les eaux internationales du Pacifique.
« Ce n’est qu’un début ! »
Pourtant, les eaux qui entourent les îles Australes ne sont pas si convoitées pour la pêche. Le ministre lui-même le confirme, « aux Australes, il n’y a pas de pêche. Nos bateaux vont au-delà ». Les associations se demandent alors ce qui peut pousser le gouvernement à empêcher la protection, certes radicale, du peu de potentiel qu’abriteraient les eaux entourant l’archipel. L’autre raison serait les ressources minières qui dormiraient dans les profondeurs de la ZEE polynésienne. C’est d’ailleurs une des raisons qui aurait poussé Frédéric Riveta, maire de Rurutu, à retirer sa municipalité du projet. Or, une source proche du dossier nous indique qu’une « expertise collégiale de l’IRD sur les potentiels d’exploitation montre qu’ils sont finalement limités. Certains minerais sont concentrés mais trop profonds pour imaginer une exploitation. Le seul minerai intéressant serait apparemment le cobalt, mais a priori pas dans la zone des Australes. Donc, réserve ou pas réserve, il n’y aura probablement jamais d’exploitation minière aux Australes ». Pour l’heure, c’est le gouvernement de la Polynésie française qui a eu le dernier mot. Lors du rendez-vous fixé mardi, Edouard Fritch aurait réussi à convaincre les trois maires présents du bien fondé de son projet d’Aire marine gérée pour l’ensemble de la ZEE polynésienne. Selon Tahiti-infos, cette option « permettrait en revanche d’organiser la pêche côtière en concertation avec les communes, au travers de zones de pêche réglementée » et « des discussions avec les services concernées seront prochainement organisées, ainsi que des réunions dans les îles des Australes ».
Sauf que, dans ce projet d’AMP défendu par les îles Australes, il n’y a pas que des maires et des élus. « Démarche citoyenne », l’association qui s’est formée autour du projet, Rahui Nui no Tuha’a Pae, est aussi composé de pêcheurs, d’instituteurs, d’habitants de cet archipel du sud de la Polynésie. En début de semaine, et avant la réunion de mardi proposée par Edouard Fritch, l’association Rahui Nui no Tuha’a Pae nous confiait sa détermination à faire aboutir ce projet. Pour ses membres, le débat ne fait que commencer. « Ce projet n’est pas « mission impossible » (…). Ce n’est pas parce que le ministre est maintenant opposé que la décision est prise. Il a tenu des promesses au niveau international. La population des Australes est très mobilisée. Le Président de l’assemblée nous a dit que ces promesses devaient être tenues. Tous les membres du CESC qui ce sont exprimés ont approuvé ce projet et félicité la délégation des Australes. Plusieurs ont demandé que ce projet fasse l’objet d’une auto-saisine du CESC… Ce n’est qu’un début ! », nous indique-t-on du côté des défenseurs du projet. Ils concluent, « c’est quand même aux populations de décider ce qu’elles veulent pour leur patrimoine et leur destin ! ». En lame de fond, l’approche des élections territoriales en 2018 va très probablement peser dans la balance. En effet, les îles Australes sont un des bastions historiques du parti autonomiste Tahoera’a Huira’atira, fondé par l’ancien Président du Pays, Gaston Flosse. C’est d’ailleurs son gouvernement qui a fait la demande d’état des lieux par la voie de l’ancien ministre de la Culture, Geffry Salmon. Mais la séparation entre Gaston Flosse et son ancien capitaine en second, Edouard Fritch, a rebattu les cartes électorales et le projet pourrait devenir un argument de vote tant la population semble réunie derrière l’AMP.
Plus globalement, ce projet illustrait-t-il le problème du visage institutionnel et politique de la Polynésie française ? En effet, la Polynésie française est un territoire aussi vaste que l’Europe, divisé en cinq archipels qui, malgré le tronc culturel polynésien qu’ils partagent, affichent des différences identitaires, linguistiques mais aussi topographiques. Par exemple, les habitants de l’archipel des Tuamotu, essentiellement composé d’atolls, ne vivent pas de la même façon que ceux de l’archipel des Marquises, composé uniquement de jeunes îles hautes sans récifs. Les modes de vies diffèrent, les langues, les besoins également. Toute cette diversité se heurte, notamment dans le cas présent, à la volonté de centralisation exprimée par le gouvernement de la Polynésie française, sans doute un héritage de la tradition jacobine de l’Etat français. Sur un territoire aussi géographiquement éclaté que la Polynésie française, à la lumière du débat intéressant les Australes, on pourrait en venir à s’interroger sur les niveaux de décentralisation de chaque archipel, qui donnerait aux habitants la possibilité de s’exprimer sur les dossiers leur semblant essentiels. On sait par ailleurs la tentation de certains élus originaires des îles de rejoindre les thèses du gouvernement central quand la défense d’intérêts, collectifs ou non, entre en ligne de compte.
Quid des îles Marquises ?
Dans l’archipel des îles Marquises, situé au Nord de la Polynésie française, se préparait également son projet d’aire marine protégée. Pascal Erhel, directeur de la Fédération culturelle et environnementale des îles Marquises Motu Haka et directeur de projet Marquises – UNESCO, nous a expliqué la démarche entreprise par les îles Marquises. « Le projet des îles Marquises est dans une autre démarche que celle des Australes ». « Nous sommes lancés dans un processus d’obtention d’un label d’excellence, celui du Patrimoine mondial de l’Humanité. Et dans cette démarche, il s’agit d’identifier des sites et de pouvoir assurer la gestion de ces sites. Certains d’entre eux sont des sites marins et pour pouvoir assurer leur gestion, il faut des outils ; ça peut être un rahui à la traditionnelle, des LMMA (Local management marine area) des petites aires qui sont l’équivalent des rahui et qui se font beaucoup dans l’ensemble océanien (Fidji par exemple), ça peut être aussi des aires marines protégées intégrales comme Hawaii ou à l’instar de ce qui se fait à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie, des espaces gérés mais pas forcément interdits, l’ambigüité est là ». Selon Pascal Erhel, les îles Marquises ont semble-t-il, comme dit l’adage, préféré ne pas mettre la charrue avant les boeufs. « Nous sommes dans la concertation. Je donne un exemple, la Nouvelle-Calédonie a créé son aire marine puis a travaillé sur la gestion. Nous, on veut s’assurer qu’on peut la gérer avant de la créer ».
Toutefois, une source proche du projet livre un autre son de cloche. « Le projet d’AMP des Marquises a commencé il y a 8 ans environ, suite à une forte demande locale. Le Pays a été assisté par une entité française, l’Agence des Aires Marines Protégées, pour faire avancer ce projet (à l’époque où le Pays était favorable aux AMP). L’Agence a fait un très gros travail de documentation, de recherche scientifique avec une grosse expédition, et de consultation des populations. Le projet était presque achevé, et un compromis semblait émerger entre les différents utilisateurs avec un zonage, comme c’est le cas aujourd’hui aux Australes. La Ministre Ségolène Royal était prête à se rendre aux Marquises pour assister à l’annonce de l’AMP de l’archipel prévue en début de cette année. Mais, en septembre 2015, depuis que le ministre de la Culture a été chargé officiellement du dossier, il y a eu un blocage des deux projets d’AMP. Sa raison principale, « nous n’avons pas à leçon à recevoir de l’extérieur, de Pew ou de la France ». Il a remercié la Ministre SégolèneRoyal et a demandé à l’Agence française des AMP de mettre le projet des Marquises en sourdine, ce que l’Agence respecte, vu que c’est un service public en convention à avec le Pays ».