29 juin en Polynésie : Fête de l’autonomie ou deuil de l’annexion ?

29 juin en Polynésie : Fête de l’autonomie ou deuil de l’annexion ?

©Présidence de la Polynésie / Tahiti Heritage

Quasi fête nationale d’une part, deuil des annexions successives des îles de la Polynésie française d’autre part, la date du 29 juin alimente le débat historique et politique dans cette Collectivité d’Outre-mer du Pacifique.

Jour férié, défilé, feux d’artifices, remise de l’ordre de Tahiti Nui. C’est le 6 septembre 1984 que la Polynésie française accède au statut d’autonomie interne, dont l’artisan est l’ancien président de la Polynésie Gaston Flosse. Ce statut, outre le transfert de la présidence du territoire du Haut-commissaire à un Polynésien élu par l’Assemblée territorial, marque le premier pas vers un transfert successif de compétences et instaure des signes symboliques faisant naître un sentiment d’appartenance à une Nation dans la Nation : un drapeau, un hymne, un sceau, un ordre et une fête quasi nationale appelée Fête de l’autonomie.

La Place de l'autonomie à Papeete ©Tahiti Heritage

La Place de l’autonomie à Papeete ©Tahiti Heritage

« C’est un symbole politique » explique le politologue Sémir Al Wardi. « Ces symboles ont une fonction », poursuit-il, « celle de créer une allégeance au pouvoir, de rendre le pouvoir visible, de susciter un désir communautaire ». Selon Polynésie la 1ère, 14 000 personnes devraient défiler ce samedi à Papeete, sur l’avenue Pouvanaa a Oopa, qui n’est autre que le père de l’émancipation et du nationalisme polynésien. Pour les leaders autonomistes surtout, la Fête de l’autonomie est sacrée : elle unit cette partie de l’échiquier politique en Polynésie, permet d’assoir une certaine légitimité auprès des Polynésiens et rassemble plus largement que le 14 juillet. « C’est la fête de tous les Polynésiens », insiste le ministre de la Culture. Pourtant, la date choisie, celle du 29 juin, ne fait pas l’unanimité.

Défilé lors de la Fête de l'autonomie en 2016 ©Présidence de la Polynésie

Défilé lors de la Fête de l’autonomie en 2016 ©Présidence de la Polynésie

En effet, pour l’autre principal camp, celui des indépendantistes, le 29 juin a une tout autre signification : celle de l’annexion du royaume de Tahiti à la France, par le roi Pomare V, le 29 juin 1880. S’en suivirent les annexions des Tuamotu, des Gambier puis des Australes, l’archipel le plus au sud de la Polynésie, et des Îles sous le Vent. Les îles Marquises sont déjà possession française depuis 1842. Et chaque année, pendant qu’une partie de la Polynésie fête son autonomie, l’obédience indépendantiste commémore les « héros résistants qui ont défendu notre pays ainsi que ceux et celles qui ont milité pour notre souveraineté et qui nous ont quitté aujourd’hui », explique Vannina Crolas, secrétaire général du parti indépendantiste Tavini Huiraatira.

 

« Notre pays n’a pas été donné à la France. La France l’a conquis par les armes dans le sang », poursuit-elle. « On ne peut pas célébrer cette date par un faste indécent alors que des personnes sont mortes pour leur liberté ». Il est vrai que si l’Histoire fait peu la lumière sur les résistances face aux annexions, celles-ci ont parfois donné lieu à des guerres, des batailles, des redditions et des abdications. Traditionnellement, les indépendantistes, autour de leur leader Oscar Temaru, commémorent un jour de deuil à la stèle de Tavararo à Faa’a, érigée en mémoire des « héros résistants » morts durant les batailles d’annexion. Et lorsqu’Oscar Temaru était aux commandes de la Polynésie, à plusieurs reprises durant l’instabilité politique de 2004 à 2013, l’autonomie fut fêtée en catimini, uniquement par les leaders autonomistes.

Stèle de Tavararo à Faa'a ©Tahiti Heritage

Stèle de Tavararo à Faa’a ©Tahiti Heritage

Fête ou jour de deuil, la date du 29 juin fait encore débat et fera débat les années prochaines. Ce débat permet aux deux grandes sensibilités politiques de Polynésie de s’affronter sur le terrain des idées, et d’ancrer davantage cette Collectivité dans son émancipation, son identité culturelle, sa différence. Surtout, ce débat est bénéfique pour l’Histoire car il pose question, il appelle à la réappropriation des symboles et au final, qu’ils assistent au défilé sur l’avenue Pouvanaa a Oopa ou qu’ils commémorent les « héros résistants » à la stèle de Tavararo, les Polynésiens vivront ce jour comme un jour qui appartient à leur Histoire. D’autres, ceux qui échappent à l’objet politique, vivront cette journée non ouvrée pour eux-mêmes, en famille, avec des amis ou seul, à la plage, à la montagne ou dans leurs jardins. Loin des tumultes idéologiques, politiques et historiques.