Singulière, l’île de Makatea est située dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie ©Mike Leyral
Un bloc de calcaire aux falaises abruptes, des wagonnets éventrés, des maisons en ruines, un sol hérissé de pitons de pierre corallienne tranchante, le tout mangé par la végétation tropicale : l’île de Makatea, hésite entre industrie du phosphate et écotourisme.
Située dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, Makatea, à huit heures de bateau de Tahiti et sans piste d’atterrissage, est singulière, parmi les dizaines d’atolls qui n’émergent que de quelques mètres au-dessus de l’océan : l’île a surgi il y a plusieurs dizaines de millions d’années, emprisonnant des milliers de tonnes de phosphates dans un étau de roche. Ce phosphate, l’un des plus purs au monde, est un engrais prisé des agriculteurs. Entre 1917 et 1966, des milliers de travailleurs ont creusé à la pelle, entre les pitons. « C’était du travail de bagnard : plus on transportait de brouettes, plus on avait d’argent, il fallait être fort ! », se souvient Francky Vairaaroa, né en 1948, qui a creusé trois ans, dès sa quinzième année.
En 1966, la France entame trente années d’expérimentations nucléaires sur d’autres atolls des Tuamotu : Moruroa et Fangataufa. De la main-d’œuvre est demandée. Le phosphate de Makatea, de plus en plus inaccessible à bras d’hommes, est abandonné. Mais un industriel australien, Colin Randall, veut désormais reprendre l’exploitation. De nouvelles techniques permettent de creuser plus profond, comme à Nauru, une île indépendante située à l’autre bout du Pacifique, qui a déjà repris ses extractions.
A Makatea, la centaine d’habitants est divisée. Le maire, Julien Mai, souhaite rouvrir les mines pour générer de l’emploi. A condition que la nouvelle société efface toute trace industrielle et remplisse les milliers de trous qui parsèment l’île. « La réhabilitation, c’est essayer de nous redonner une terre, un sol sur lequel on puisse vivre », espère-t-il. Les opposants, qui considèrent que le phosphate n’a apporté que des malheurs, pensent avoir convaincu la plus grande partie de la population de refuser la reprise des extractions, mais craignent qu’elle aboutisse tout de même. « Dans le nouveau comité des mines, il n’y a plus que des ministres : c’est donc le gouvernement (polynésien, ndlr) qui va décider l’avenir de Makatea, et non sa population », affirme Sylvanna Nordman Haoa, qui se présentera face à Julien Mai aux prochaines municipales.
Potentiel touristique
Le fils de Julien Mai, Heitapu, a eu une autre idée : exploiter les falaises de Makatea pour attirer les touristes. La semaine dernière, 192 voyageurs ont débarqué, triplant la population de l’île. Pendant quatre jours, ils ont randonné, exploré les grottes, et surtout escaladé les falaises, avec certains des meilleurs grimpeurs mondiaux. « Au niveau escalade, Makatea est une île unique, je n’ai jamais vu ça, c’est pur, la falaise est tout autour, juste au-dessus de la plage, avec les palmiers tout autour, c’est incroyable comme endroit », se réjouit Charlotte Durif, ex-championne du monde d’escalade.
Malgré la difficulté d’accès de cette île, les grimpeurs croient en son potentiel touristique. « Cet isolement est un extraordinaire atout : c’est comme ça que Makatea est préservée (…) ça va permettre aux habitants de s’adapter en fonction du nombre de personnes qu’ils peuvent accueillir », estime Erwan Le Lann, président de l’association Maewan et coorganisateur de ce rendez-vous autour de l’escalade.
La nature luxuriante de Makatea, ses espèces endémiques, ses grottes et plages immenses sont d’autres atouts. Un jeune homme de l’île compte même ouvrir un club de plongée. Les retombées économiques ne sont pas comparables à celles du phosphate, mais les opposants à la mine veulent préserver leur mode de vie, entre exploitation des cocoteraies, chasse au crabe et apiculture. L’entrepreneur Colin Randall, lui, pense qu’écotourisme et industrie peuvent coexister, et compte même effacer les ravages d’un demi-siècle d’extractions. Mais la militante écologiste Dany Pittman n’y croit pas : « Ce projet, c’est la destruction réelle de mon île, on ne pourra plus rien faire, c’est un non-retour », prophétise-t-elle en ramassant de la fleur de sel sur la plage.
Avec AFP.