Congres mondial de l’agroforesterie- Montpellier: Les savoirs ancestraux, équilibre entre agriculture durable et effets du changement climatique ?

Congres mondial de l’agroforesterie- Montpellier: Les savoirs ancestraux, équilibre entre agriculture durable et effets du changement climatique ?

A Montpellier et pour la première fois en Europe se déroule le congrès mondial d’agroforesterie organisé par le Cirad, l’INRA, Agropolis International et l’université de Montpellier en lien avec World Agroforestry qui célèbre son 40ème anniversaire.

Sous le haut patronage du Président de la République ce congrès, qui se déroule tous les cinq ans, travaille selon l’enjeu politique actuel : « trouver des réponses à comment nourrir le monde demain quand partout se ressentent les effets du changement climatique ».

Quatre vingt scientifiques ont évalué plus de 1 450 contributions sur le sujet. Elles vont être présentées sur trois jours à une centaine de pays. Le secteur se fixe un objectif : planter un million de parcelles en 2020 dans un monde qui n’en compte encore que quelques dizaines de milliers.

Pourquoi l’agroforesterie ?

Il faut des arbres pour capter le carbone et améliorer les sols, tout en facilitant les productions qui vont nourrir un monde de plus en plus important et des sociétés de plus en plus vulnérables.

Un débat de société actuel qui entre en dialogue avec l’économie agricole : attendre avant de récolter quand certains craignent même que les arbres à croissance lente ne puissent se développer du fait de l’accélération du réchauffement. Une fausse problématique si l’on choisit des fruitiers qui eux se développent entre trois et cinq ans

L’agroforesterie est bien connue et depuis longtemps, dans les pays africains et surtout sahéliens. Elle regagne des lettres de noblesse parce qu’elle est au cœur des recherches agro-écologiques, et parce que le monde, l’Europe, la France, les zones tempérées la redécouvrent du fait des menaces du réchauffement climatique. Les données de télédétection montrent en 2010 que 43 % des terres agricoles mondiales présentaient 10% de couvert arborés en augmentation de 2% ces dernières années surtout au Sahel, où les saisons des pluies n’ont plus les régularités d’antan. Ainsi ces zones retiennent plus de carbone que dans les 20 dernières années et peu à peu les oppositions entre choix d’une agriculture ou d’une forêt se résorbent.

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Avant que ne soient perdus les savoirs ancestraux

Haies, bocages ou jardins créoles, tous ces savoirs-faire ancestraux ont été bousculés dans les années 50 à 70 par l’agriculture industrielle « celle qui nécessite engrais, pesticides et insecticides et retournent 30% de l’économie agricole dans les poches de la chimie » rappellera lors du point presse Patrick Worms , conseiller scientifique et président de l’EURAF (fédération européenne d’Agroforesterie). Tandis que Marie Gosme chercheuse à l’INRA et coprésidente du Comité scientifique du Congrès nous confirme que la nature n’aime pas le simple, ou demande alors à être aidée.

Dès qu’un système complexe se reconstruit, la nature sait se satisfaire elle même. En protégeant les cultures de la chaleur et du vent, les arbres reconstruisent des écosystèmes. L’intérêt de cette technique ne peut être réduite à une production diversifiée: des jardins avec plate-bande, ou des assolements offrent des productions différentes tout en les séparant dans l’espace. On ne peut la confondre avec la permaculture valable pour le périurbain, plus sophistiquée et qui réclame une charge de travail que ne peuvent se permettre les agriculteurs. La permaculture ou la polyculture organisée correspondent davantage au modèle du jardin créole.

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Le cas des jardins créoles

Ils ont beaucoup inspiré la recherche tropicale. Les chercheurs depuis longtemps travaillent sur les interactions des cultures. Ils en ont ensuite tiré des principes à plus grande échelle, et désormais conseillent à grande échelle les cultures de café, cacao ou vanille.

Qu’est-ce-qu’un jardin créole ? Dans celui de M. Richard Chelza à Marie Galante par exemple, on trouve au milieu un arbre-fruitier qui donne des pommes-cannelles. À proximité sont plantées des salades et tout autour des sources de protéines végétales dont une multitude de légumineuses rapportées d’Afrique : les pois de bois ou pois d’Angole, les pois cannes appelés aussi niébé ou cornille, les pois boucoussou, Sainte-Catherine, savons, etc. Leur culture est associée à celle de la canne à sucre qui leur sert de tuteurs. La variété de canne cultivée est une variété ancienne qui a besoin de moins d’eau que celle que l’on retrouve dans les grandes plantations. Elle est cultivée sans engrais et sans pesticide avec le projet de produire du jus de canne biologique, voire du rhum biologique. Dans le jardin créole visité, se trouvent enfin des melons, des aubergines et de petits concombres à cornichons. Le jardin créole est un jardin de subsistance d’où l’on peut tirer tous les aliments nécessaires à la vie humaine (glucides, lipides, protéines, vitamines et oligoéléments). Il se distingue par sa capacité à fournir une grande diversité de protéines d’origine végétale, dont le couplage traditionnel avec des céréales facilite l’assimilation par le corps humain, qui est essentielle pour son approvisionnement en acides aminés.
Il permet de moins dépendre de l’élevage pour la production de protéines, ce qui signifie à la fois produire plus de protéines par surfaces mobilisées. Une manière de répondre aux flexitariens qui veulent réduire la consommation de viande sans risque pour leur santé .
Ce qui caractérise l’agroforesterie, c’est davantage l’association des arbres aux pâtures et aux cultures, mélant les différentes productions en association. La complexité se gère mieux, l’arbre utilise, quelque soit la saison, le soleil ou la pluie. Des échanges se créent dont on découvre seulement aujourd’hui les secrets. Une grande partie d’entre eux résidant dans les alliances entre champignons et culture – la micorhyze- ou la fixation de l’azote.

© Voie du Jardinier

© Voie du Jardinier

Amadou M Bâ (Inra), professeur au Laboratoire de biologie et physiologie végétales à l’Université des Antilles de Pointe à Pitre prend aussi l’exemple de la culture du taro en pleine mangrove en Guadeloupe.
Les petits exploitants guadeloupéens pratiquent habituellement la monoculture du taro sous les peuplements de palétuviers (pterocarpus Officinali) dans des forêts marécageuses inondées d’eau douce. Ils obtiennent de meilleurs rendements que les cultures conduites en plaine lessivées par les pluies, sans engrais, ni pesticides. On est face à un système agro-forestier traditionnel peu étudié qui a mis en évidence que taro et arbre partagent des champignons mycorhisiens qui facilitent le transfert de l’azote. On sait que percer le secret des transferts d’azote est d’importance puisque il permettrait de remplacer les apports d’engrais.

© Ville du Gosier

© Ville du Gosier

Adoption d’une feuille de route à Montpellier

Le concept d’agroforesterie y apparaît dans les années 70 au sein des organismes de recherche qui se sont engagés sur la déforestation tropicale. L’enjeu devient national et en 2016, la France adopte un plan national de développement pour l’agroforesterie. Désormais les subventions européennes s’adaptent à des normes plus complexes et deviennent accessibles. Elles sont indispensables aux premières années de transition. Une fois le système enclenché, elles deviennent inutiles.
Revendication d’autonomie alimentaire, association de la forêt et de l’agriculture, diminution des intrants, apprendre à revaloriser les productions locales. Ce sont sur ces objectifs que travaillent aujourd’hui les organismes de nutrition globale. En Asie, en Afrique, en zone tropicale l’abondance des fruits et légumes, mieux connus, devrait mieux répondre aux exigences d’équilibre alimentaire.

Le Congrès s’achèvera sur l’adoption d’une feuille de route concernant la diffusion plus large de ces pratiques, de l’avantage à associer arbre et culture, et surtout sur leur prise en compte dans les agendas internationaux en discussion en 2020 avec l’engagement des états de « renforcer les liens entre la science, la société et les politiques publiques».

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Dominique Martin Ferrari, Métamorphoses Outremer