© IGREC mer
« Le monde entier travaille à la restauration des coraux. En Guadeloupe c’est interdit », indiquait l’encart publicitaire, volontairement provocateur, publié fin juin par Igrec Mer, association de protection de l’environnement marin. Elle dénonce un arrêté ministériel qui interdit toute manipulation de coraux, même pour leur protection.
Le 25 avril 2017, Ségolène Royal a fait publier un arrêté visant à la protection de plusieurs espèces de coraux des Antilles, notamment ceux de la famille des acroporas, plus connus sous le nom de cornes de cerfs ou d’élan. Si les scientifiques ne s’émeuvent pas d’un texte contraignant quant à la protection des coraux en voie d’extinction, ils déplorent que la loi leur interdise de fait expérimentations et opérations de sauvegarde sur les récifs, sauf dérogations longues à obtenir. « L’arrêté n’a pas tenu compte des projets en cours », explique Mariane Aimar, de l’association. Depuis 2009, Igrec Mer avait mis en place plusieurs expérimentations de sauvegarde et de restauration des récifs. L’une d’elle consiste à collecter les oeufs de coraux, qui ne pondent qu’une fois par an, de nuit, à les élever en aquarium et les réimplanter en milieu naturel.
Autre opération de sauvegarde : le bouturage, notamment à partir de coraux élevés en pépinières. Il s’agit de coraux accrochés à des fils sur des tubes en PVC, qui forment des sortes d’arbres.
« Nous avons une pépinière de coraux à Goyave, à la baie de Petit Cul-de-sac marin, et nous aurions aimé déployer ce principe sur d’autres sites guadeloupéens, en partenariat avec les clubs de plongée », indique Philippe Godoc, président d’Igrec Mer et patron de l’Aquarium de Guadeloupe. L’expérimentation est financée par le Parc naturel de Guadeloupe et le Port autonome, qui a mis 4 millions d’euros dans l’opération.
« On lambine »
Pour l’heure l’arrêté bloque tout et l’association fustige « la perte de plusieurs années de travail et d’un millier de boutures prêtes à être transférées ». Sur son site, Igrec Mer recense « 70.000 boutures replantées avec succès au Bélize, 7 pépinières coralliennes, des dizaines de milliers de boutures en culture en Floride, 19 sites réhabilités dans les Keys… « . « Pendant que les autres pays travaillent à la rénovation de leurs coraux, nous on lambine », s’exclame Mariane Aimar. L’association multiplie les demandes de dérogations. « Nous avons reçu l’autorisation de collecter les gamètes de septembre 2017, en avril 2018 ; nous sommes en train de constituer un dossier d’autorisation pour les cinq années à venir mais nous n’aurons pas de réponse avant de nombreux mois ».
Le dossier doit passer dans les mains des services de l’État concernés, puis dans ceux du comité local de protection de la nature, et du comité national éponyme. « C’est vrai que c’est long, reconnaît Ferdy Lousy, président des Parcs naturels de France et de celui de Guadeloupe. J’ai eu le dossier sur mon bureau il y a quelques semaines à peine ». Contactés, le ministère de la Transition écologique et la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) de Guadeloupe n’ont pas répondu. Pendant ce temps-là la destruction des récifs coralliens s’accélère, alors qu’ils sont déjà morts à près de 80%. Or ils protègent le littoral de la houle en cas de cyclone, et sont un premier filtre avant les mangroves. Ils favorisent aussi l’installation de colonies de poissons, donc le maintien de la pêche et des activités touristiques autour des fonds marins.
Reste que ces initiatives sont insuffisantes. « Le bouturage ne présage pas que les colonies transplantées a posteriori puissent se maintenir ou encore participer aux événements de reproduction », a fait valoir dans sa thèse Aurélien Japaud, spécialiste des coraux en danger de Guadeloupe. La raison ? L’activité humaine, mais surtout des eaux polluées.
« Les stations d’épuration, qui rejettent les eaux en mer, sont encore trop souvent défectueuses », confirme Ferdy Louisy. « C’est pourquoi l’Agence de la biodiversité finance les intercommunalités pour favoriser l’assainissement dans les territoires ultamarins ». Une opération qui se monte à 30 millions d’euros.
Avec AFP