L’Après en Outre-mer: Et maintenant ? par Laurent Chatenay, conseiller en stratégie

L’Après en Outre-mer: Et maintenant ? par Laurent Chatenay, conseiller en stratégie

Outremers360 vous donne la parole et partage le sentiment des acteurs socio-économiques des territoires d’outre-mer, à la veille de la période post-pandémie. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Laurent Chatenay, Directeur Général adjoint du Groupe Nord Avenir.

Et si nous faisions un peu de prospective

Comme beaucoup, j’ai vécu cette période de confinement tout à fait nouvelle, de façon bizarre.

Je crois que ce qui m’a le plus affecté ce n’est pas d’être cloîtré, mais cette sensation désagréable d’atteinte à l’une de mes libertés fondamentales les plus chères à mes yeux: celle de pouvoir circuler comme bon me semble… sans autorisation.

Cela m’a fait réaliser combien le pays des droits de l’homme avait contribué à ma construction d’homme libre et combien cela avait de valeur pour moi.

Après une carrière dans l’industrie du pétrole, dans celle du nickel et un passage en politique au moment de la négociation des Accords de Nouméa, je me suis installé comme conseil en stratégie et prospective économique. J’ai donc la chance de pouvoir travailler de chez moi et j’ai pu vaquer à mes occupations professionnelles de façon tout à fait normale pendant cette période. Un des grands avantages du travail à domicile et du télétravail.

Du coup, un peu plus isolé du monde qu’à l’habitude, j’ai pu vérifier l’incroyable pouvoir vampirique des réseaux sociaux et bien sûr, tout ce qui vient avec !

En particulier le manque de rigueur intellectuelle qui y prédomine au grand avantage des manipulateurs de l’opinion publique, dont la sagacité ne va, malheureusement pas souvent jusqu’à la prise de références. Les moutons donnent presque toujours raison au dernier qui a parlé, pour peu qu’il manifeste quelques talents de communicant. Difficile avec tous ces bourdonnements de mouches, de prendre le recul  nécessaire pour se projeter vers un avenir possible.

Que retenir donc, de cette période que nous vivons ? Qu’elle obligera le monde à repenser un certain nombre de ses modèles et à changer un certain nombre de ses comportements ou habitudes, notamment en matière de consommation ? Pas sûr.

Je reste personnellement sceptique quant à l’ampleur des changements qui seront mis en place. Je crois toujours que cette planète est gouvernée par de puissants groupes économiques qui n’ont pas intérêt à ce que les choses changent trop rapidement et qui ont profité de cette crise pour renforcer leurs positions dominantes. A cet égard, la frénésie d’achats de la banque fédérale américaine est assez édifiante. Gouvernée par des intérêts privés, notamment le plus grand fonds d’investissement US, BlackRock, avec l’aval du président des États-Unis, elle est en train de faire main basse sur un grand nombre de joyaux de l’économie américaine. Alors le changement pour demain ? Humm, peut-être, mais dans un cadre déjà bien défini et au rythme et bon vouloir de ces grands prédateurs planétaires !

Par ailleurs, l’histoire des grandes épidémies ou pandémies des siècles précédents nous appelle tout de même à relativiser l’ampleur et l’impact de la crise que nous vivons. Le monde, grâce à Internet a tout simplement été bien mieux informé et donc, à cause d’internet… inquiété par ce qui s’est passé, au point de succomber trop facilement à l’irrationnel, l’absurde, l’arbitraire. Le commun des mortels a eu beaucoup de mal à faire le tri entre le vrai, le probable, le possible et le farfelu.

Pour moi cette crise, est la confirmation éclatante de la puissance d’internet en tant qu’outil de manipulation de masse.

Notre système éducatif devrait s’y pencher sérieusement et rapidement, pour apprendre à nos enfants dès leur plus jeune âge, à chercher, croiser, vérifier, analyser et interpréter les nombreuses données et informations dont ils disposent aujourd’hui sur le web. C’est sans doute l’un des remparts indispensables, souhaitable même, à la « cyberdémocratie participative » qui gangrène nos vies petit à petit, sans que l’on s’en inquiète vraiment. N’est-elle pas là, la grande pandémie de nôtre siècle ? Le « nouveau pouvoir » qui comme le dit DSK « donne à chacun le sentiment fallacieux qu’il sait mieux que quiconque ce qu’il faut faire ». La déliquescence progressive de la démocratie représentative, avec l’effritement palpable des partis politiques et du syndicalisme, enclins à privilégier les intérêts particuliers plutôt que collectifs, ne sont-ils pas là pour nous le confirmer.

Cette crise a effectivement mis en évidence une énorme carence en matière de prospective mondiale.

Aucun organisme international connu, ne fait par exemple de la prospective démographique avec tout ce que cela implique en termes de conséquences environnementales, économiques, sociales et politiques.C’est assez incompréhensible compte tenu de la sophistication des outils de prévision mathématiques dont nous disposons aujourd’hui et de la maîtrise de la technique des scénarios. Je suis sûr que ces modèles existent, en tous cas je l’espère, dans certaines agences gouvernementales, mais leurs manques de démocratisation, de transparence, d’agglomération entre modèles et de travail collaboratif est assez étonnant, pour ne pas dire suspect à notre époque. « Gouverner c’est prévoir », prévoyons donc et collaborons pour mieux gouverner au bénéfice de la planète.

Enfin, pour revenir à la Nouvelle-Calédonie, cette crise arrive à un bien mauvais moment.

Elle vient aggraver la crise de confiance induite par le spectre des échéances référendaires prochaines et l’incertitude politique et la frilosité économique qui en découlent. Tout cela sur fond de crise nickel qui se traduit par une double peine pour la Nouvelle-Calédonie ; l’effondrement des prix et le manque de compétitivité de son industrie.

Il y a trente ans, la Nouvelle-Calédonie trouvait la paix et la voie de la prospérité grâce à un projet politique de rééquilibrage du pouvoir, auquel un projet de développement économique de grande ampleur et sans précédent dans l’histoire du pays, donnait à la fois crédibilité et consistance. Sans l’industrialisation du nickel, à travers la construction de deux grands projets de dimension mondiale, le modèle politique calédonien aurait eu bien du mal à trouver la stabilité nécessaire à la croissance économique et à la paix sociale vécues depuis plusieurs décennies.

Aujourd’hui, depuis que les chinois, premiers et principaux consommateurs de nickel de la planète, sont capables de produire du nickel métal à partir de minerais contenant moins de 1% de nickel, la face de l’industrie mondiale a changé et celle de l’industrie calédonienne aussi.

L’industrie, le modèle industriel nickel de la Nouvelle-Calédonie, ne sont plus compétitifs. Les trois opérateurs locaux s’apprêtent d’ailleurs à changer radicalement leur fusil d’épaule, pour exporter du minerai. Cela va rapidement devenir une question de survie.

C’est l’effondrement d’une croyance naïve qui consistait à affirmer que la production locale, qualifiée de valeur ajoutée, était le meilleur modèle possible, parce qu’éternellement soutenable.

Beaucoup d’entre nous ont oublié qu’au-delà de notre grand récif, il y avait un monde qui ne nous
attendait pas et que le cocon artificiel dans lequel nous berçons nos illusions, est sur le point de laisser s’envoler le papillon de nos espoirs.

A la veille des deux futurs référendums sur l’accession à l’indépendance et quels qu’en soient les résultats, il est bien difficile aujourd’hui de prévoir sur quel modèle économique la Nouvelle-Calédonie pourrait bâtir, ou asseoir son futur projet politique.

Les évolutions prévisibles de son industrie nickel, seront insuffisantes pour cela. Au contraire même, elles apporteront leur lot de défis, notamment dans la reconversion d’une partie de ses effectifs. Il y avait bien le tourisme dont le potentiel inexploré représentait une véritable perspective de développement.
Mais voilà, le Covid 19 est passé par là et il est bien difficile de prévoir les répercussions de son onde de choc et de ses conséquences dans le temps ! Décidément, la prospective économique, sociale et politique semble avoir de beaux jours devant elle

Laurent Chatenay

© Madein.nc

Laurent Chatenay est calédonien. Il a 60 ans.
Impliqué depuis plus de vingt ans dans le développement de projets économiques ou sociaux majeurs en Nouvelle-Calédonie , dans les secteurs privé, public et de l’économie mixte, il s’est récemment lancé dans le conseil stratégique et opérationnel aux entreprises et institutions.
Ancien membre du Congrès, du Conseil Economique Social et Environnemental de Nouvelle- Calédonie, du conseil d’administration de la SLN, président, directeur général, ou gérant de plusieurs entreprises du groupe Nord Avenir, dans les secteurs de la pêche, l’aquaculture, la foresterie, l’agro-industrie, la mine, il possède une excellente connaissance transversale du tissu économique, du monde de l’entreprise, des sociétés d’économie mixte et du monde institutionnel.