L’Après en Outre-mer: Et Maintenant par Betty Levanqué, présidente de la Banque alimentaire de Nouvelle-Calédonie

L’Après en Outre-mer: Et Maintenant par Betty Levanqué, présidente de la Banque alimentaire de Nouvelle-Calédonie

Outremers 360 vous donne la parole et partage le sentiment des acteurs socio-économiques des territoires d’outre-mer, à la veille de la période post-pandémie. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Betty Levanqué, chef d’entreprise calédonienne et présidente de la Banque alimentaire de Nouvelle-Calédonie. 

Le Covid 19 a fait l’effet d’une bombe dans ce pays qui n’a jamais vraiment souffert de privations de liberté ou de nourriture. Quand l’annonce de la fermeture des écoles et des restaurants a été ordonnée par le gouvernement local, on s’est dit que la maladie lointaine évoquée dans les JT était soudain à nos portes. Dès lors, ma priorité a été de mettre à l’abri ma famille et le personnel des deux entreprises.

Le Boops Café

Pas de télétravail dans la restauration. Le Boops Café a rouvert le 20 mars après quatre semaines d’interruption. Pour maintenir un minimum d’affaires et faciliter la vie des entreprises autorisées à poursuivre leurs activités, nous avons assuré en famille une vente à emporter et la livraison de plats préparés. Cette activité «de service» était inédite pour moi. Une conséquence éventuelle de cette période compliquée : je réfléchis à la possibilité de poursuivre et développer cette activité de fabrication et livraison de plats cuisinés. Au passage, j’ai découvert qu’il fallait avoir un esprit très organisé pour assurer ces tâches nouvelles au quotidien. Nous avons ainsi pu nourrir tous les jours le personnel de la Banque BCI et celui du Gouvernement, de même que des personnes confinées. Au-delà de notre quartier du centre-ville de Nouméa et de notre clientèle d’habitués, j’ai ressenti une vraie solidarité entre nous.

Ma perte de chiffre d’affaires est de 50%, mais nous avons eu la satisfaction de pouvoir maintenir une activité, même très réduite. J’ai demandé à mes salariées de prendre des congés, mais je paierai leurs salaires en totalité. Je ne ferai pas la demande de chômage partiel.

Le Café immobilier

Mon agence immobilière est également restée fermée quatre semaines. Toutes les visites de biens ont été suspendues. Le contexte est à l’attentisme, tant du côté des vendeurs que des futurs acquéreurs. La fermeture de très nombreux établissements a provoqué des retards dans le paiement de loyers commerciaux. C’est tout un courant d’affaires qui est lourdement impacté sur les deux marchés commerciaux et particuliers: difficile d’exiger le paiement de loyers quand les familles, confinées comme les entreprises, n’ont plus de revenus immédiats. Comme souvent dans les Outre-mer, l’essentiel de notre tissus industriel est composé de petites, voire très petites entreprises. L’impact de tout ralentissement, voire d’un arrêt brutal d’activités, est très durement ressenti.

Mes deux collaboratrices sont restées confinées pour éviter tout risque pour elles et leurs entourages. J’ai continué à travailler depuis mon domicile, mais je n’ai pas mis en place de système de télé-travail. C’est une autre leçon pratique à retenir de cet épisode Covid: mon intention de donner à mes collaboratrices des facilités pour se connecter avec notre outil de travail.

J’utilise déjà beaucoup les réseaux sociaux pour mes annonces. Je compte amplifier ma communication sur Facebook, de même que sur Linkedin et Instagram, en plus de mon site internet. La crise aura aussi un impact sur mon organisation puisque j’ai l’intention de me faire accompagner d’un community-manager. Je considère que le virtuel est désormais un passage obligé et que son importance va encore croître.

Au Tribunal Mixte de Commerce, nous avons dû procéder à la liquidation de la première agence immobilière. Elle souffrait depuis deux ans. La succession de référendums sur le statut continue d’impacter les transactions. Le Covid 19 lui a été fatal. Seules les grosses agences avec un parc locatif important vont pouvoir tenir: je crains que la reprise ne soit pas pour demain.

La Banque alimentaire de Nouvelle-Calédonie

En tant que présidente de la Banque Alimentaire, j’ai participé aux réunions de la Cellule gouvernementale de crise Covid 19 dirigées par Isabelle Champmoreau, Membre du Gouvernement en charge de l’enseignement et de la famille. Cette crise du Covid-19 a permis de faire débloquer des fonds et des aides en personnel pour installer la Banque Alimentaire dans 2 locaux mis gracieusement à disposition pour un an par deux organismes publics, l’OPT et la SIC . Le Gouvernement et la Province Sud ont débloqué des subventions en urgence pour que la BANC puisse être opérationnelle en 15 jours.

Cette avancée majeure au profit des plus démunis résulte d’un travail entamé en 2019 visant à disposer de locaux de stockage et d’un snack où nous pourrions préparer des repas solidaires avec les invendus alimentaires. Plusieurs tonnes de légumes ont été offertes par des agriculteurs et par l’organisme public en charge de l’alimentation. Ces stocks ont été répartis sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, au nom de la solidarité. Les associations caritatives ont recensé entre 5.000 et 10.000 personnes demandeuses d’aide alimentaire. Il y en aura certainement davantage dans la période à venir. Par ailleurs, pendant le confinement, les enfants boursiers n’ont pas pu aller à la cantine. Beaucoup n’ont eu qu’un repas par jour.

La solidarité et la générosité ont bien joué en Nouvelle-Calédonie. Nos appels aux dons ont eu un écho important et nous ont permis, en partenariat avec les Chefs Solidaires, de composer des repas complets au profit des plus démunis. Il ne faut pas que les gens aient faim en Calédonie. Cette situation de crise met en lumière l’importance de l’autosuffisance alimentaire. Car avec les aéroports fermés, les importations en provenance d’Europe et de la grande région, Australie et Nouvelle-Zélande ont été stoppées. Nous en dépendons pour l’essentiel de notre alimentation. Plus d’approvisionnements extérieurs et des stocks non extensibles : c’est bien la question de la pénurie qui aurait pu se poser si la situation s’était prolongée.

Ce qui amène cette interrogation simple : qui produit quoi sur place et en quelle quantité ? Dans ce pays de moins de 300.000 habitants, les producteurs locaux bénéficient de mesures de protection : on s’en félicite en temps normal, mais l’épisode Covid a plus que jamais légitimé leur rôle dans nos circuits de consommation et l’appui public dont ils bénéficient. Quant aux producteurs BIO, ils n’ont jamais aussi bien vendu leurs produits.

Les marchés restés ouverts au Mont-Dore et à Païta, les deux agglomérations aux abords
de Nouméa, ont rencontré un grand succès. J’espère que l’on continuera à soutenir les entrepreneurs qui veulent investir dans la terre et l’élevage : en Calédonie, nous avons un énorme potentiel agro-alimentaire à exploiter.

La crise sanitaire a été bien gérée par le Gouvernement qui a pris très tôt la décision de suspendre les liaisons aériennes et nous sommes soulagés d’avoir été le premier territoire français à sortir du confinement. Mais sa collégialité a été mise à mal dans l’organisation du retour des enfants dans les établissements scolaires : rentrée adaptée en Province Sud, plus tardive en Province Nord et perturbée aux Iles en raison d’un désaccord entre la Province et les chefferies coutumières qui ont fermé l’accès aux îles Loyauté. Mauvais signe envoyé pour l’avenir de deux secteurs, santé et enseignement, de compétence locale en Nouvelle-Calédonie.

Ce que je retiens de ce dernier mois, c’est l’élan de solidarité qui a prévalu entre nous. J’espère qu’il perdurera. Et grâce l’aide de la Banque Alimentaire appelée à se développer sur tout le territoire, je souhaite continuer de fédérer autour de l’idée de partage. Qu’au moins ce Covid, qui n’a pas tué ici, laisse dans son sillage l’image d’un Caillou plus solidaire.

Betty Levanqué

Betty Levanqué

Je suis née en NC. J’ai 55 ans et suis gérante d’un café-restaurant et d’une agence immobilière à Nouméa, juge consulaire au Tribunal mixte de Commerce, Auditrice et membre du bureau de l’AR 32 IHEDN, Présidente de l’association APESA NC et de la Banque Alimentaire de Nouvelle- Calédonie.