Jacques Wadrawane: « On ne sait jamais où le vent nous mène en tant qu’Océanien »

Jacques Wadrawane: « On ne sait jamais où le vent nous mène en tant qu’Océanien »

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Il était un des intervenants lors de la table ronde « Grands témoins » du dernier Campus Outre-mer. Ce qu’ Outremers360 a retenu de Jacques Wadrawane lors de ses interventions: une carrière brillante dans l’administration d’Etat. Là où ce qu’on appelle plus communément « l’élite » laisse peu de place à la disruption, un Kanak, natif de Maré dans les îles Loyauté, a petit à petit imposé sa stature, son charisme et son talent au service de la « chose publique », au sens noble du terme. Rencontre avec un destin hors du commun qui n’a pas fini de tracer son chemin.

Né en 1963 à Maré, dans la province calédonienne des Îles Loyauté, Jacques Wadrawane fait sa scolarité au lycée Lapérouse puis au lycée Do Kamo avant de rejoindre l’Hexagone où il poursuivra des études pour devenir d’abord, ingénieur agricole après l’obtention d’un BTS. Ce premier parcours, il le doit, en partie, grâce au dispositif « 400 cadres » mis en place lors des Accords de Matignon en 1988. En partie seulement, car c’est surtout la volonté, les compétences et l’acharnement au travail de Jacques Wadrawane qui le mèneront jusqu’ici et lui permettront d’aller plus loin encore. De retour dans les Îles Loyauté pendant quatre ans, il reprend la direction de l’Hexagone pour parfaire sa formation: il entreprend alors une spécialisation en agronomie tropicale puis un DEA d’économie à Montpellier qui feront de lui un ingénieur agro-alimentaire. En 2002, Jacques Wadrawane rejoint le Canada et plus précisément l’Ecole nationale d’Administration (ENA) publique de Québec.

« Les jeunes doivent être fiers de leur « Caillou » et du chemin parcouru. Il leur incombe maintenant de viser l’excellence pour tout ce qu’ils font et feront pour l’avenir de leur territoire au sein de cette vaste région qu’est le Pacifique Sud »

Ce parcours universitaire sera jalonné de postes à responsabilités, comme une échelle qui hissera Jacques Wadrawane jusqu’au poste de Sous-préfet auprès du Préfet d’Île-de-France et Préfet de Paris, Jean-François Carenco, en mars 2015. Avant d’entamer cette carrière dans la Capitale, il fut d’abord Chef du service de développement économique à Ouvéa de 1992 à 1996 puis, Chef du service de l’expansion économique à la Province des Îles Loyauté. Jacques Wadrawane deviendra par la suite Directeur par intérim de la Direction de la formation et du développement en 1999 toujours à la Province des Iles puis de 2000 à 2002, il devient Directeur adjoint de l’ERPA. A son retour du Canada, il occupera le poste de Secrétaire général adjoint de la Province Sud jusqu’en 2008. L’année suivante, il devient directeur général de l’ADRAF jusqu’à sa nomination comme Secrétaire Général Adjoint du Haut Commissariat le 24 juin 2010. Enfin en 2013, il sera nommé chargé de mission auprès du délégué général de l’Outre-mer, en charge de la Nouvelle-Calédonie. Pendant cette mission, il travaillera notamment sur les transferts de compétences, avant donc, de devenir le premier Kanak à occuper un poste de Sous-préfet, d’Île-de-France qui plus est. « Moi même, je n’ai jamais pensé de faire ce métier mais j’ y suis maintenant par le travail et la reconnaissance de mes compétences par ceux qui m’ont encouragé, soutenu et poussé dans cette direction. J’ai eu la chance de croiser ces personnes à un moment donné de ma carrière », nous a-t-il confié lors de cet entretien.

En tant que Sous-Préfet, vous étiez notamment en charge de la sécurité dans les Fan zone de l’Euro 2016 ? Concrètement, en quoi est-ce que cela consistait ?

Sur l’Euro 2016 j’ai piloté pour le préfet le groupe de travail « accompagnement économique, social et environnemental » dont l’objectif est de faire profiter des emplois générés par cet événement aux populations les plus éloignées, ceux des quartiers prioritaires de la politique de la ville et notamment des jeunes. Et d’autre part, la coordination avec le ministère de l’intérieur des activités privées de sécurité concernant le Stade de France, le Parc des Princes et les deux Fan Zone de la ville de Saint Denis et du Champ de Mars de la Ville de Paris. Il fallait mener plusieurs réunions de concertation avec les villes et les entreprises attributaires des marchés afin de vérifier que les besoins en agents en sécurité des sites concernés étaient couverts avant le démarrage de la compétition et cela en coopération avec EURO 2016 SAS. A défaut, il fallait organiser des sessions de formation pour permettre aux futurs recrues de disposer d’un agrément du CNAPS (conseil national des activités privées de sécurité ) pour être agent de sécurité pour pouvoir exercer.

La Fan Zone du Champs de Mars pendant la finale de l'Euro 2016. Si aucun incident majeur n'est venu troubler la fête, il y a tout de même eu quelques heurts liés à la fermeture de la Fan Zone arrivée, avant 19h, à saturation ©DR

La Fan Zone du Champs de Mars pendant la finale de l’Euro 2016. Si aucun incident majeur n’est venu troubler la fête, il y a tout de même eu quelques heurts liés à la fermeture de la Fan Zone arrivée, avant 19h, à saturation ©DR

La menace terroriste a-t-elle compliqué votre tâche ? Dans quel état émotionnel étiez-vous avant chaque match ? Quel bilan pouvez-vous en tirer ?

Elle ne l’a pas simplifié en tout cas ! chaque match est un véritable challenge « avant » et surtout « après » ! Les sites les plus exposés étaient les Fan Zone et surtout celle du Champ de Mars à Paris, avec 100 000 personnes attendues le soir de la finale. Mais on s’en est très bien sorti car il n’ y a pas eu d’incidents graves. C’est plutôt positif de ce point de vue.

Aux Nouvelles Calédoniennes, vous confiez avoir mis en place le « Pacte de la seconde chance », en quoi consiste ce pacte ?

Le pacte de la seconde chance consiste à placer des jeunes de 18-25 ans -sous les mains de la Justice- en position d’insertion soit par une formation, soit par un emploi pérenne. Le but étant d’accompagner les jeunes et les aider à se créer un avenir en concrétisant leur projet. Le dispositif est encadré par quatre « cellules emploi », chacune présidée par un Préfet ou un Sous-préfet et avec autour de la table, les délégués du Préfet et les principaux organismes d’insertion (Mission Locale) et d’emploi (Pôle Emploi). Cette cellule assure le suivi des candidats du pacte pour les amener vers l’autonomie. Sur 30 jeunes suivis, le taux d’insertion est l’ordre de 80%. Une circulaire interministérielle de décembre 2015 a étendu le pacte à l’ensemble du territoire national (Outre-mer compris).

Vous semblez accorder beaucoup de place aux jeunes défavorisés dans vos missions, est-ce une volonté personnelle ou un impératif de vos missions en tant que Sous-Préfet ?

C’est à la fois les deux. C’est une partie de la population sur laquelle nous fondons beaucoup d’espoirs mais c’est aussi la partie la plus fragile. Il nous faut donc être très vigilants à leur encontre.

Quels sont les prochains grands événements que vous aurez à gérer en amont ? Serez-vous en charge des JO de 2024 si Paris est choisie ?

Sur le dossier des JO de 2024, je devrai surtout m’occuper, du côté Etat territorial, de la coordination de la partie animation si la candidature de la France est retenue pour 2024. Mais à ce stade il n’y a rien de précis.
Je représente également le préfet dans la délégation interministérielle, présidé par Pascal Lamy, ancien Directeur général de l’OMC, pour la préparation de la candidature de la France à l’édition 2025 de l’Exposition universelle.

 

A deux ans du référendum de 2018, comment percevez-vous l’état (économique, politique, social) de la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui ? Pensez-vous qu’elle est prête pour un nouvel avenir ? Quelles seraient, selon vous, les meilleures options qui s’offrent à elle ?

Économiquement la Nouvelle Calédonie traverse actuellement une période de turbulence liée à a fluctuation des cours du Nickel, ressource principale de l’île auquel il faut rajouter les transferts de l’Etat de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an. L’avenir de la Nouvelle-Calédonie est liée au résultat du référendum de 2018. Je n’ai pas d’avis particulier sur la question, les calédoniens décideront eux-mêmes de leur avenir selon les termes de l’Accord de Nouméa.

Quelle suite donneriez vous à votre carrière ? Où voudriez-vous être dans cinq ou dix ans ?

Dans la préfectorale, il y a beaucoup de possibilités. Une carrière en administration centrale (ministère) me tente bien compte tenu de l’évolution de la Nouvelle-Calédonie et bien au delà. A terme, je retournerai bien en Nouvelle-Calédonie c’est sûr !

Pour les jeunes calédoniens, ultramarins (et bien plus encore) qui souhaitent suivre une voie similaire à la vôtre, quels sont les moyens de faire une carrière dans l’administration et quelles sont les possibilités d’évolution ?

La voie classique de recrutement sont les concours pour toutes les catégories (IRA, Magistrature, ENA etc.). Le mieux étant d’intégrer les prépas dédiées et Sciences Po (Paris) notamment. A l’Etat, il y a beaucoup de possibilités pour des jeunes ultramarins.

Et, vous personnellement, vous souhaiteriez aller jusqu’où ?

Je ne sais pas encore. On ne sait jamais où le vent nous mène en tant qu’océanien.

Lors du Campus Outre-mer, Jacques Wadrawane (deuxième en partant de la gauche) a partagé son expérience avec les jeunes ultramarins, aux côtés d'autres professionnels originaires des Outre-mer ©DR

Lors du Campus Outre-mer, Jacques Wadrawane (deuxième en partant de la gauche) a partagé son expérience avec les jeunes ultramarins, aux côtés d’autres professionnels originaires des Outre-mer ©DR

On entend souvent dire que vous pourriez être un potentiel futur Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. Ce serait une grande première d’avoir un Haut-commissaire natif du territoire qu’il administre, surtout dans les Outre-mer. N’est-ce pas préférable d’avoir un Haut-Commissaire qui connait aussi bien le territoire qu’il administre ?

Comme je l’ai déjà dit par ailleurs, c’est un choix qui me dépasse et qui ne dépend pas de moi. On dit souvent aussi que « nul est prophète en son propre pays » ! Ce n’est pas un choix simple pour un ultramarin et encore moins pour un océanien car il y a de nombreux considérants à ne pas négliger.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes calédoniens ? A cette génération future qui se trouve à l’orée d’un grand virage en Nouvelle-Calédonie ?

Les jeunes doivent être fiers de leur « Caillou » et du chemin parcouru. Il leur incombe maintenant de viser l’excellence pour tout ce qu’ils font et feront pour l’avenir de leur territoire au sein de cette vaste région qu’est le Pacifique Sud. La montée en compétences est inéluctable pour porter dignement les grands défis de demain et la destinée du pays.