EXPERTISE. Docteur Lyonel Belia, Responsable de l’Unité TEP au CIMGUA : « Pour la réinscription du second TEPSCAN de Guadeloupe»

EXPERTISE. Docteur Lyonel Belia, Responsable de l’Unité TEP au CIMGUA : « Pour la réinscription du second TEPSCAN de Guadeloupe»

La découverte de la suppression possible de l’implantation d’un second tepscan du projet de santé régionale 2018-2023 a provoqué un tollé au sein de la classe politique en fin de semaine dernière en Guadeloupe. L’Agence régionale de Santé de Guadeloupe a rapidement réagi en indiquant selon eux des inexactitudes. Cependant joint par Outremers360 le Docteur Lyonel Belia – chef du service central de Médecine nucléaire au CHU de Guadeloupe et Responsable de l’unité TEP au Centre d’imagerie moléculaire de Guadeloupe- revient sur la genèse de cette problématique et souligne l’imperieuse nécessité de l’implantation d’un second tepscan dans un territoire qui connaît une forte prévalence de cancers.

Aux termes d’un arrêté en date du 4 février 2020 modifiant le schéma régional de santé de Guadeloupe 2018-2023, l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Guadeloupe a supprimé la possibilité d’installer un second TEPSCAN sur le territoire sanitaire de Guadeloupe.Le TEP ou tomographe à émission de positons est aussi appelé (TEPSCAN, TEP-TDM, tomographe munis d’un détecteur d’émission de positon), fait partie de la catégorie « Equipement Matériel Lourd » (EML). Cette décision signifie que l’agence de santé du territoire revoit à la baisse les besoins en caméra TEP pour la Guadeloupe, mais sans mention et sans justification clairement explicite.

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Dans un communiqué publié ce 15 octobre dernier, l’ARS précise que la décision de ne pas implanter un second Tepscan « pour le moment » a été prise en concertation avec les élus locaux.
De plus, elle indique que l’implantation d’un second TEP, reste toujours d’actualité si « le besoin est avéré » : «Cette décision temporaire est motivée par deux objectifs : la sous-utilisation du tep-scan en place et la volonté de se concentrer dans l’immédiat sur la mise à disposition de scanners classiques à proximité. Le projet régional de santé permet l’ouverture d’une implantation d’un deuxième Tepscan, cela reste toujours possible d’ici 2023 si le besoin est avéré ».

Cette suppression jugée « stupéfiante par les élus », concerne un sujet très sensible, car en lien direct, avec le cyclotron de Guadeloupe installé au CIMGUA (Centre d’imagerie nucléaire de Guadeloupe). Ce centre unique en France, possède en effet un petit Cyclotron de 12 mev pour la fabrication des traceurs radioactifs (FLUOR 18 en autres), associé à une radiopharmacie, pour la synthèse des doses de médicaments (FDG et depuis peu la Fcholine ou FCH) injectés aux patients.

Le CIMGUA accueille également en son sein, la caméra TEP du CHU de Guadeloupe, hébergée depuis décembre 2017 à proximité immédiate du cyclotron pour une meilleure efficacité.
Sa réalisation n’a été possible que par une formidable mobilisation de la population avec plus de 25 000 signataires de la pétition « un TEPSCAN pour la Guadeloupe ». Après une ouverture en juin 2018, le business plan estimait alors à 18 mois la montée en charge régulière (soit 10 patients par jour) avant d’atteindre l’équilibre financier.
Cet équilibre a été atteint dès janvier 2020 avec plus de 11 examens programmés quotidiennement avec l’unique traceur disponible. Il est important de signaler que les cancers de prostate n’étaient pas pris en charge.

Le Centre d'imagerie moléculaire de Guadeloupe en 2018

Le Centre d’imagerie moléculaire de Guadeloupe en 2018

Le besoin est-il avéré ?

En 2020, malgré la situation sanitaire exceptionnelle, le nombre d’examen TEP est en constante augmentation avec plus de 12 examens programmés chaque jour actuellement au CIMGUA.
En France hexagonale selon l’enquête de la SFMN 2016, un TEP réalisait en moyenne 60 examens pour 10 000 habitants, avec une augmentation moyenne de 9 % par an pour les années à venir. Ramenée à l’échelle de la Guadeloupe, cette moyenne permettait d’envisager sereinement 2 300 à 2 400 examens par an mais avec une augmentation est de plus de 30 à 40 % considérant l’offre de soin insuffisante dans nos territoires.

Le CIMGUA a connu une augmentation de plus de 180 % entre juin 2018 et septembre 2020. La crise de la COVID-19 a certes provoqué une baisse d’activité de près de 20% de mars à juin 2020, mais depuis juin 2020, nous avons une forte accélération de plus de 40% pour atteindre de nouveau plus de 11 à 12 patients par jour en août 2020 avec l’unique traceur FDG.

En Guadeloupe, le cancer de la prostate est la pathologie tumorale la plus fréquente, représentant plus de 50% des cas incidents masculins.  Son incidence et sa mortalité y sont plus élevées qu’en France hexagonale.  Avec l’arrivée de la FCH (Fcholine) depuis le 2 octobre 2020, le nombre d’examens va augmenter de manière automatique de plus de 20 % par mois à minima pour prendre en charge correctement les patients porteurs de cancer de prostate. C’est donc près de 450 à 500 TEP supplémentaires que devra absorber le CIMGUA dans les 12 mois. De plus ce traceur sera aussi utilisé pour le dépistage des adénomes parathyroïdiens (pathologie très fréquente du fait de l’incidence de l’insuffisance rénale chronique), et la prise en charge du cancer du foie.
Ainsi la file active qui est déjà aujourd’hui de 15 jours d’attente, pour un TEP FCH et de 8 jours pour un TEP FDG ne peut qu’exploser rapidement.
Ces chiffres en constante augmentation (en pleine crise sanitaire), démontrent que la caméra TEP du CIMGUA sera à saturation dans 12 à 16 mois maximum. Afin de permettre une égalité d’accès aux soins sur notre territoire, le second TEPSCAN apparaît d’emblée indispensable.

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Qu’en est-il de la recherche clinique ?

Ce second TEP devra aussi permettre la mise en place du programme de recherche clinique tant sur les nouveaux traceurs (PET/CT au 68-Ga-DOTATOC, 68-Ga-PSMA), mais aussi dans le cadre de la thérapie. La demande prochaine d’autorisation de manipulation de Lutétium-177 va permettre le recrutement de patients éligibles à des études cliniques impliquant des traitements innovants en lien avec des centres nationaux.
Citons par exemple la collaboration entamée avec les CHU de Nancy et de Bordeaux ainsi que le fabricant du cyclotron PMB.
En effet Nancyclotep installe un second cyclotron identique à celui du CIMGUA. Ainsi grâce à ce partenariat et un transfert de technologie, le CHU de Guadeloupe pourra participer à des études cliniques dans le cadre d’essais multicentriques.

La mise en place d’un dispositif de relecture centralisée des examens TEP pour des avis spécialisés, permettra de réaliser des examens TEP avec des indications plus spécifiques (rarement ou non réalisés au CIMGUA) tels que la cardiologie, la neurologie, les pathologies inflammatoires ou encore les infections.

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Pourquoi cette polémique et comment la régler ?

Selon l’ARS, cette décision a été prise en tout transparence… mais selon les élus, il n’a jamais été fait état d’une justification ni même d’une indication précise et détaillée de la suppression de la seconde autorisation TEP.
Il est toutefois important de noter, que les avis ont été sollicités avec une note rédigée dès le 26 septembre 2019 (bien en amont de l’épidémie du COVID 19) dans un français un peu abscons, concernant la rubrique « équipement matériel lourd ».

La mention du tableau de 2018 « implantation prévue au PRS : 2, devient en 2019, « Implantation totale prévue au SRS sur ce territoire 1 » (note bas de page : Somme entre activités autorisées et besoin non couvert à la date de publication du BQOS).

Pour consulter l’arrêté de l’ARS

De plus, l’arrêté autorisant le traceur FCH par l’ARS a été pris le 2 février 2020. N’est-il pas étonnant de donner l’autorisation pour un nouveau traceur FCH, censé permettre d’augmenter le nombre d’examens TEP, mais d’enlever 2 jours plus tard l’autorisation du second TEP ?

La mise en place d’une seconde caméra TEP dans les mois à venir doit permettre d’éviter les pertes de chances liées à une inflation annoncée, de la file active de patients en attente d’examens. Les nouveaux scanners de l’ARS n’assurent absolument pas les mêmes indications que les TEP.

De plus il est certain que dès lors, la survie économique du CIMGUA et de son cycloton sera assuré et cela même si, le Futur CHU de Guadeloupe livré en 2023 récupère une des 2 cameras TEP pour l’exploiter directement. Le CIMGUA qui conservera un TEP, se concentrera alors sur le développement des nouveaux traceurs et la thérapie.

L’ensemble de ces points, sera probablement abordé par les élus lors de la prochaine rencontre prévue avec Madame Denux, directrice de l’ARS Guadeloupe ce mardi 20 octobre. Nous avons donc bon espoir que les autorités de santé répondent favorablement à la réinscription immédiate du besoin de 2 TEP pour le territoire sanitaire de Guadeloupe et des îles du nord.

Biographie de Lyonel Belia :

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Dr Lyonel BELIA
Chef du Service Central de Médecine nucléaire
CHU de Guadeloupe
Responsable de l’unité TEP/ CIMGUA
Centre d’imagerie moléculaire de Guadeloupe

Auparavant :

Porteur des projets du CIMGUA  en 2015, Interreg CARES en 2017
Praticien Hospitalier au CHU de Guadeloupe depuis Avril 2011
Médecin Nucléaire, Diplômé faculté de Bordeaux
Docteur en Médecine Générale Faculté de BICHAT