[Expertise] L’innovation et la recherche et développement dans les Outre-mer par l’IEDOM-IEOM

[Expertise] L’innovation et la recherche et développement dans les Outre-mer par l’IEDOM-IEOM

© AFD

Dans la continuité de la 6e conférence Outre-mer organisée le 11 décembre 2019 par l’Agence française de développement intitulée « Recherche et innovation : quels leviers pour le développement des Outre-mer ? », l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) et l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM) publient une étude consacrée à la place de la recherche et de l’innovation dans les Outre-mer. En accord avec l’IEDOM-IEOM, Outremers 360 partage en exclusivité la synthèse de cette l’étude. 

I Le secteur public, principal moteur de la recherche et de l’innovation

• Quel poids de la R&D dans les Outre-mer ?

Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), les effectifs rémunérés dédiés à temps plein à la recherche et développement (R&D) dans les Outre-mer s’élèvent à 2 696 personnes en 2016. Cela représente seulement 0,6 % des effectifs nationaux totaux dédiés à la R&D alors que la population active ultramarine représente 4,1 % de la population active nationale en 2016. Si cette proportion demeure encore faible, il convient de noter un effet de rattrapage puisque les effectifs ultramarins dans la R&D ont progressé de 61 % en 20 ans, soit une hausse supérieure à la moyenne française (+42 % sur la même période).

La particularité des régions ultramarines est que près de 90 % de ces effectifs travaillent dans le secteur public, soit une proportion plus importante que dans toute autre région hexagonale (40,8 % au niveau national). De la même manière, les dépenses intérieures de R&D, qui s’élèvent à 271 millions d’euros en outre-mer, sont exécutées à 92 % par des administrations publiques contre seulement 35 % dans la France entière. Rapportées au PIB, ces dépenses s’élèvent à 0,5 % en 2015, loin de la moyenne nationale qui atteint 2,2 %.

La recherche publique ultramarine s’appuie principalement sur l’activité des six universités implantées localement ainsi que sur le dynamisme de plusieurs centres de recherche spécialisés (CIRAD, CNES, IRD, IFREMER notamment). Si les champs de recherche sont divers en fonction des spécificités de chaque territoire, plusieurs sont communs à l’ensemble des géographies. Quatre grandes thématiques sont ainsi au centre des recherches ultramarines : (i) la santé et plus particulièrement la lutte contre les maladies tropicales, (ii) la protection de la biodiversité et la valorisation des ressources naturelles, (iii) l’observation des milieux naturels et plus particulièrement des sols, des forêts et des espaces sous-marins et (iv) les sciences humaines et sociales et plus particulièrement l’observation des sociétés et de leur culture.

• Les régions et l’Europe, nouveaux chefs de file du soutien à l’innovation

Depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe (1) en 2015, les régions disposent d’une compétence quasi exclusive en matière de développement économique. Ces dernières doivent élaborer deux documents stratégiques ayant trait à la recherche et l’innovation :
– Le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SDREII) ;
– Le schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (SRESRI).

Pour permettre l’atteinte des objectifs fixés, les contrats de convergence et de transformation, signés conjointement par les collectivités locales et l’État pour la période 2019-2022, contiennent chacun un volet intitulé « Territoires d’innovation et de rayonnement » pour lequel les engagements contractualisés sont conséquents (182 millions d’euros pour les six territoires ultramarins concernés, soit 7 % des engagements totaux des CCT).

L’innovation est par ailleurs un facteur primordial pour bénéficier des aides européennes. L’Union européenne conditionne en effet ses fonds structurels à la définition d’une stratégie de spécialisation intelligente par la région. La logique de cette stratégie est de concentrer des moyens pour la recherche, l’innovation et le développement économique sur des priorités et des secteurs clés, choisis en fonction de spécificités régionales.

Pour impulser cette stratégie, une partie conséquente des Fonds européens de développement régional (FEDER) destinés aux régions ultrapériphériques est consacrée au renforcement de la recherche, au développement technologique et à l’innovation dans les domaines de spécialisation identifiés (14 % du montant total des FEDER de ces territoires).

© AFD

© AFD

II Les instruments financiers dédiés à l’innovation

Le crédit d’impôt recherche (CIR) apparaît comme le principal dispositif français de soutien à la R&D des entreprises, représentant plus de 60 % de l’ensemble des aides publiques à l’innovation en France, soit 6 milliards d’euros en 2015. Celui-ci est toutefois peu utilisé par les entreprises ultramarines malgré un taux porté à 50 % dans les DOM (contre un taux standard de 30 %) pour les dépenses de recherche.

Le MESRI estime ainsi que seulement 134 entreprises domiennes ont bénéficié du CIR en 2016. Plus de 75 % d’entre elles sont implantées à La Réunion, le reste étant établi dans le bassin Antilles-Guyane. Cela représente moins de 1 % des bénéficiaires enregistrés au niveau national puisque plus de 15 000 entreprises françaises ont bénéficié du crédit d’impôt recherche en 2016. Il est toutefois important de souligner que le nombre d’entreprises qui a bénéficié du CIR dans les DOM a très nettement augmenté au cours des trois dernières années étudiées puisqu’elles n’étaient que 50 à l’obtenir en 2013 (dont 40 à La Réunion).

Pour permettre aux entreprises innovantes d’atteindre rapidement la taille critique nécessaire pour exister au niveau mondial, l’État a mis en place une gamme d’outils, dont une partie importante est déployée par Bpifrance. Certains sont adaptés spécifiquement aux Outre-mer à l’image du Prêt de développement Outre-mer qui est ouvert aux entreprises ultramarines de moins de trois ans depuis 2019 et dont le montant a été relevé à 750 000 € pour celles qui ont une existence supérieure à trois ans. L’accès au programme d’investissement d’avenir, mis en place par l’État en 2010 pour financer des investissements innovants et prometteurs, a par ailleurs été facilité dans les Outre-mer avec des seuils d’éligibilités des projets qui ont été divisés par deux.

Vue aérienne de la TechSud de la Technopole de La Réunion © Urbanisme Saint-Pierre

Vue aérienne de la TechSud de la Technopole de La Réunion © Urbanisme Saint-Pierre

III Quelle coopération entre les acteurs de la recherche ?

Un environnement de plus en plus propice aux synergies entre acteurs

Plusieurs dispositifs et structures visent à développer les coopérations entre différentes catégories d’acteurs publics et privés impliqués dans les processus d’innovation. Le développement rapide des technopoles dans plusieurs territoires ultramarins est dans ce cadre à souligner. Ces zones visent à rassembler les entreprises innovantes pour qu’elles puissent bénéficier de structures, de moyens et de réseaux plus larges permettant des économies d’échelle. Elles permettent aussi de faciliter les partenariats et la mise en réseau avec les acteurs de la recherche publique.

Plusieurs pôles de compétitivité ultramarins ont par ailleurs été labellisés ces dernières années à l’image de Qualitropic (La Réunion) et Capenergies (Guadeloupe et La Réunion) qui ont obtenu le label « pôle de compétitivité » par le Premier ministre pour la période 2019-2022. Les territoires ultramarins comptent également une dizaine d’incubateurs de startups qui accompagnent les porteurs de projets innovants dans la création d’entreprises en offrant un appui en termes d’hébergement, de conseil et de financement. Il est enfin à noter que la Polynésie française et La Réunion ont obtenu en avril 2019 le statut de communauté FrenchTech qui reconnait le dynamisme de l’écosystème de startups sur ces territoires et favorise les échanges entre elles.

• Un impact sur la recherche privée difficile à mesurer pleinement

Selon le MESRI, les entreprises ultramarines emploient seulement 275 personnes en équivalent temps plein dédiées entièrement à la R&D en 2016. Ce nombre est toutefois en constante augmentation depuis 2003, première année de comptabilisation des effectifs privés par le MESRI pour les Outre-mer. Les dépenses intérieures de recherche et développement des entreprises ultramarines s’élèvent quant à elles à 21 millions d’euros en 2016. Par ailleurs, seulement 247 brevets ont été délivrés par l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) dans les Outre-mer entre 2005 et 2015. Cela représente 0,2 % du nombre total de brevets délivrés en France sur la période. Le nombre de brevets délivrés est fortement concentré à La Réunion puisque 47 % des brevets ultramarins délivrés sur la période l’ont été dans ce territoire.

Il est toutefois important de souligner que le poids de la R&D dans les entreprises ultramarines est difficile à mesurer pleinement. Les chiffres présentés ci-dessus ne prennent en compte que la R&D déployée depuis les entreprises ultramarines. Ainsi, si certaines sociétés possèdent leur centre de recherche en dehors des territoires d’Outre-mer, les dépenses et les brevets déposés ne sont pas comptabilisés même si les recherches portent sur ces territoires et ont été menées en partie sur place. Au-delà de cet aspect, il convient de souligner que les caractéristiques structurelles des territoires ultramarins freinent la capacité des entreprises à innover. Les innovations technologiques sont ainsi moins courantes que dans l’Hexagone en raison d’une taille restreinte des marchés, de coûts de production souvent plus élevés ou encore de ressources humaines spécialisées en moins grand nombre. Par ailleurs, la part réduite des activités industrielles et la prépondérance des services administratifs peuvent expliquer cette propension moindre à l’innovation dans les économies ultramarines.

© Camille Gevaudan

© Camille Gevaudan

Conclusion

Si plusieurs documents stratégiques ont été rédigés pour permettre l’identification de domaines d’innovation prioritaires au sein de chaque territoire, l’articulation entre les différents schémas et acteurs pourrait encore être renforcée. Le périmètre d’intervention de chaque document n’est pas toujours clairement défini et n’apparait pas systématiquement complémentaire avec les documents produits aux autres échelons. Cela participe au manque de lisibilité des politiques d’innovation pour les acteurs privés. Il apparait également important de poursuivre l’action menée pour renforcer la visibilité des territoires ultramarins à l’international pour attirer les startups qui souhaiteraient s’implanter dans ces bassins géographiques.

Actuellement portée par le secteur public, la R&D doit par ailleurs trouver des relais plus solides au sein du secteur privé pour accroitre véritablement la compétitivité des territoires ultramarins dans les secteurs ciblés. Cela passera par de meilleures interactions entre la recherche publique, la formation supérieure et les entreprises innovantes mais également par une communication accrue auprès du tissu d’entreprises pour faire connaitre les outils financiers et les dispositifs d’accompagnement existants. Malgré une amélioration ces dernières années, l’ensemble des dispositifs de soutien à l’innovation dans le secteur privé peine encore à acquérir une notoriété auprès des entreprises ultramarines.

Le déclin démographique enregistré dans plusieurs géographies ultramarines et plus particulièrement aux Antilles peut enfin constituer un frein certain à la capacité des entreprises à innover. Il apparait dans ce cadre indispensable que les formations supérieures proposées localement soient attractives et correspondent aux filières les plus à même de créer des emplois et d’innover.

Directeur de la publication : M.-A. POUSSIN-DELMAS – Responsable de la rédaction : M. SCHWEITZER—Rédaction: A. GUILLOU – Éditeur et imprimeur : IEDOM

Notes:

(1) Promulguée le 7 août 2015, la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) confie de nouvelles compétences aux régions et redéfinit les compétences attribuées à chaque collectivité territoriale.