Une étude de séroprévalence va être lancée dès le mois de février en Polynésie française. Il s’agira de réaliser des tests sérologiques, et donc des prises de sang chez 350 Polynésiens pour vérifier quelle part de la population a été contaminée par le virus sans forcément avoir été testée. Le total pourrait largement dépasser les quelque 18 000 cas officiellement recensés. Les détails avec notre partenaire Radio 1 Tahiti.
17 808 cas, et moi, et moi, et moi. Beaucoup de Polynésiens pensent avoir été contaminés par le Covid-19 à un moment ou un autre de l’épidémie. Mais tous n’ont pas de tests pour le prouver, parce que leurs symptômes étaient légers ou inexistants, parce qu’ils étaient déjà isolés du fait de la contamination d’un proche. Ou tout simplement parce qu’ils ne se sont pas rendus dans un centre de dépistage. Et une bonne partie d’entre eux pourraient avoir raison.
Depuis le début de la vague épidémique de septembre, les autorités rappellent que les chiffres des cas positifs ne comptabilisent que les personnes dûment testées, à l’Institut Malardé ou, plus tard, dans les centres de dépistage rapide. La disponibilité des tests avait même poussé le Pays a limité l’affluence dans ces centres en conditionnant le dépistage à une ordonnance médicale.
Par combien faut-il multiplier les cas « officiels » ? Début décembre, le Dr Henri-Pierre Mallet parlait, avec beaucoup de conditionnel, d’un taux de contamination « peut-être trois voire quatre à cinq fois plus élevé » que les 6,5% affichés officiellement. Ce qui voudrait dire que jusqu’à 90 000 personnes, et donc 30% de la population, pourraient déjà avoir été infectées, pour beaucoup sans s’en rendre compte. Des hypothèses que les autorités veulent aujourd’hui vérifier.
350 prises de sang à Tahiti et Moorea
Début février sera donc lancée une étude de séroprévalence attendue de longue date, puisqu’elle avait été annoncée dès le mois de novembre. L’idée : faire passer des tests sérologiques – une analyse sanguine qui recherche la présence d’anticorps propres au Covid, déjà proposée depuis plusieurs mois dans les cliniques privées – à un échantillon représentatif de la population.
350 personnes, en l’occurrence réparties entre Tahiti et Moorea. Chacune devra bien sûr donner son accord pour effectuer une prise de sang et répondre à un petit questionnaire. Mais impossible de se porter volontaire : l’ISPF va tirer au sort des foyers et les équipes de la direction de la Santé vont tirer au sort des personnes dans ces foyers.
L’étude, qui devrait durer trois semaines, doit permettre d’estimer la prévalence réelle du Covid au fenua ou autrement dit le taux de contamination de la population. « Partout dans le monde, les tests ne permettent de voir qu’une partie de la réalité », explique Xavier de Radiguès, médecin épidémiologiste et délégué de l’Organisation mondiale de la Santé, qui doit aider le Pays à mettre en place cette étude de séroprévalence. « Pour avoir une vraie vision de l’épidémie, la seule manière, c’est de faire une enquête dans la population ».
Pour la direction de la Santé, il ne s’agit pas de simple curiosité. Les résultats peuvent aider à prévoir les futurs rebonds de l’épidémie qui, on le sait, sont beaucoup moins probables et beaucoup moins violents à mesure que la population développe une immunité. L’étude de séroprévalence devrait aussi permettre de mieux « calibrer » la campagne de vaccination, puisque la plupart des personnes qui ont été contaminées par le passé développent une immunité.
Le manque de connaissance sur cette immunité et surtout sur sa durée incite tout de même à la prudence : il a déjà été constaté, dans le cadre des études mondiales sur le Covid-19, que les traces d’anticorps disparaissaient chez certaines personnes au bout de plusieurs mois. Un phénomène « minoritaire » assure Xavier de Radiguès : « on sait que pour la majorité de la population, l’immunité dure au moins six mois ».
L’immunité de groupe dès « 30 ou 40% » en Polynésie ?
Cette étude doit permettre aux autorités de savoir à quel point la Polynésie est loin de « l’immunité collective ». Une protection acquise quand une certaine part de la population a développé naturellement, par la contamination ou par la vaccination, une résistance immunitaire au virus. On estime généralement, dans le cadre de la pandémie de Covid-19, qu’il faut 60 à 70% de population « protégée » pour que la circulation du virus soit naturellement stoppée.
Mais en Polynésie ce seuil critique pourrait être plus bas. Plusieurs études, menées notamment en Australie, ont défini que le facteur de reproduction naturel du virus (souvent dénommé « R ») était plus bas au fenua que dans les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord. « Ce taux, qui était de 2,5 ou 3 en Europe au début de la crise, ne serait que de 1,15 ou 1,3 en Polynésie », note Xavier de Radiguès.
En cause : des facteurs environnementaux et de modes de vie encore difficilement compréhensibles. « Il ne s’agit que d’hypothèse à confirmer », reprend l’épidémiologiste. Mais si c’était le cas, ce serait une très bonne nouvelle pour la Polynésie. Et pour cause : le chiffre de 60 à 70% pourrait baisser « en dessous de 50%, peut-être même à 30 ou 40% ». Et l’immunité de groupe pourrait être atteinte beaucoup plus rapidement.
L’étude de séroprévalence ne devrait pas répondre directement à cette interrogation. Mais devrait permettre d’en savoir plus sur les « facteurs individuels et environnementaux associés à l’infection ».