©France Mayotte Matin
Il est 5h30 du matin, Mayotte s’éveille, mais les équipes du service des évacuations sanitaires (evasans) sont déjà sur le pont. « On est vraiment sur la corde » déclare d’emblée Ludovic Iché, chef de service des urgences et du Samu. Un reportage de notre partenaire France Mayotte Matin.
Le ton est donné. Médecins, infirmiers, ambulanciers, pompiers… Tous sont réunis pour ce briefing plus que matinal, à l’orée d’une nouvelle journée difficile. Deux évacuations Covid sont prévues pour aujourd’hui, et c’est une logistique aussi impressionnante que bien huilée qui se met en place. Les radios sont distribuées, chacun connaît sa tâche.
70 kilos de matériel par patient évasané
Avant toute chose, les équipes préparent le matériel. Respirateurs, scopes, seringues électriques, batteries… En somme tout ce qui est nécessaire à la prise en charge des patients est placé dans des caisses, lesquelles seront amenées sur le tarmac par une ambulance technique. Du matériel qui sera ensuite placé dans l’avion en cas d’urgence. Le reste des équipements est monté en réanimation pour y être installé directement sur le patient. En tout, cela ne représente pas moins de 70 kilos de matériel par personne, soit 140 kilos ce jour-là.
Puis, l’équipe médicale s’oriente vers le service de réanimation. L’on traverse de longs couloirs, escapade bercée par les bips lancinants des moniteurs de surveillance. Les chambres aux portes entrouvertes laissent entrevoir de bien tristes spectacles : des patients intubés, plongés dans un sommeil profond, faiblement arrosés de la lumière blafarde de l’hôpital.
Les soignants pénètrent enfin la chambre du premier patient à être transporté. C’est une véritable effusion autour de lui. On lui branche les lourds équipements, on le prépare au déplacement. L’homme inconscient est hissé sur une civière, puis amené en ambulance jusqu’à l’héliport de l’hôpital. Si deux évacuations sanitaires sont prévues ce jour-là, l’hélicoptère ne peut transporter qu’un patient allongé à la fois, ainsi que trois accompagnants de l’équipe médicale. Direction le tarmac de l’aéroport de Dzaoudzi où, pendant ce temps là, pompiers et ambulanciers sont déjà sur le qui-vive.
Un manège bien rôdé
Il est environ 7 heures du matin lorsque l’ambulance et les pompiers arrivent devant l’aéroport, après une bien calme traversée en barge. L’infirmier présent appelle la Police aux Frontières afin de s’enquérir des modalités d’entrée sur le tarmac. La réponse sera faite par radio : la voie est libre, nul besoin de contrôle d’identité. Le processus a été simplifié pour que le lourd et complexe dispositif des évacuations sanitaires puisse gagner en fluidité.
L’ambulance est garée sur le parking, laissée sur place pour que les patients revenus guéris de La Réunion par le vol retour de l’avion sanitaire puissent être ramenés à bon port. De leur côté, les pompiers se préparent. Ils revêtent gants, charlottes et blouses ; l’apanage de la protection sanitaire, plus que nécessaire à la vue de leur coopération conséquente à l’opération. Les soldats du feu sont présents au titre de renforts, en termes d’assistance transport et brancardage.
Sur les coups de 7h40, un vrombissement se fait entendre au loin : l’hélicoptère de la société Hélilagon pointe à l’horizon. Ni une ni deux, les pompiers déjà opérationnels contournent l’avion pour se rapprocher du point d’atterrissage de l’hélicoptère, poussant un brancard à bout de bras. C’est dans un déluge de rafales que l’hélicoptère se pose enfin, prêt à délivrer le premier patient du jour. En quelques minutes à peine, celui-ci est déposé sur la civière, puis amené jusqu’à l’avion.
L’engin repartira quelques minutes après, en quête de son second patient de la matinée. Il faudra attendre quelques 34 minutes, s’abriter d’une pluie battante dans l’utilitaire des pompiers et scruter l’horizon pour voir enfin l’hélicoptère revenir. Et à 8h14, le même manège se répète : le patient est rapidement transporté jusqu’à l’avion par les équipes médicales, une tâche souvent complexe face à la récurrence de patients en surpoids.
Le départ est prévu pour 8h30, mais les pilotes de l’avion s’attendent à un retard : face à un dispositif d’une telle ampleur, difficile d’être précis… Ils nous expliquent le lourd processus de désinfection de l’avion une fois celui-ci arrivé à La Réunion, avec une pulvérisation massive de produit désinfectant dans l’appareil. « Et cela marche plutôt bien, on n’a jamais eu de contamination Covid » déclare l’un d’entre eux. L’avion quittera finalement le sol mahorais à l’heure prévue, suivi quelques minutes plus tard de l’hélicoptère qui s’efface alors dans le ciel mahorais, avec à son bord les quelques soignants et journalistes restants.
Des difficultés à revendre
Un tel dispositif, aussi massif que nécessairement pointu et précis, revêt forcément de grands enjeux. Comme l’explique Ludovic Iché, « La difficulté c’est qu’il y a énormément de monde, énormément de matériel, on a des timings serrés donc le moindre problème peut nous gâcher la journée, au moins la première rotation. C’est pour ça qu’il y a énormément de gens qui pilotent tout ça ».
Et en effet, la chaîne est vaste. Dans les services de l’hôpital, dans l’hélicoptère, dans l’avion… Des difficultés et problèmes techniques peuvent surgir de n’importe où. En tout, trois infirmiers et un médecin s’occupent en permanence de la logistique. Ambulanciers, médecins et infirmiers sont présents pour chaque malade, et font la route jusqu’à La Réunion. Les patients sont sélectionnés la veille du départ, sur des critères précis. Atteints du Covid, et stabilisés depuis plusieurs jours en réanimation, donc transportables. Ceux présentant des conditions instables ne sont pas transportés, l’opération serait bien trop risquée.
Une réelle adaptation des services de santé face à l’urgence
Si cette mesure si restrictive qu’est le confinement est largement décriée, tout particulièrement à Mayotte où les critiques sur son efficacité vont bon train, elle présente, selon les professionnels de la santé, des vertus bien réelles. Depuis le début, les services du Samu n’effectuent quasiment plus d’évacuations sanitaires hors Covid. Le confinement aura entraîné une diminution drastique du flux habituel des pathologies plus communes, bien qu’on en ignore encore les rai- sons pour certaines d’entre elles, à l’instar des AVC, bien moins nombreux ces temps-ci.
« Le confinement nous protège énormément là-dessus » explique le chef de service des urgences et du Samu. Et en effet, les passages aux urgences liés à ces autres pathologies ont foncièrement baissé. Certes, des problématiques restent encore de mise et une énorme vigilance devra s’appliquer quant au maintien du dispositif, notamment au regard de l’approvisionnement en oxygène. Les évasans requièrent des bouteilles validées pour l’aéronautique, au prix démesuré et dont le ravitaillement demeure à ce jour, impossible dans l’Océan Indien.
La logistique globale des évacuations sanitaires reste énorme, avec pléthore d’intervenants, une chaîne d’action complète et bien définie pour une mécanique d’ensemble qui semble fonctionner. Si certains acteurs pointent de gros manquements dans l’organisation générale, l’on peut s’en référer aux chiffres : avec environ 70 évasans depuis le début du mois de février, départ de ce second confinement, aucun problème n’a été recensé, et aucun décès n’est survenu lors des évacuations. En ressort l’impression générale d’une organisation certes améliorable, mais qui témoigne d’une réelle adaptation des services de santé face à l’urgence, caractérisée par une synergie concrète et efficace entre ses différents acteurs.
Reportage de Mathieu Janvier pour France Mayotte Matin