Identité- Stéphanie Melyon-Reinette : “ La France traverse actuellement une crise identitaire” EXCLU

Identité- Stéphanie Melyon-Reinette : “ La France traverse actuellement une crise identitaire” EXCLU

La France a-t-elle de plus en plus de mal à accepter les différences qui composent sa population? La sociologue Stéphanie Melyon-Reinette en est convaincue. Pour elle, la reconnaissance de nos différenciations semble inévitable.

Selon la sociologue, la France fait face à une problématique sociétale qui dure depuis dix ans. La question des banlieues et de sa violence, l’augmentation des discours racistes amènent à s’interroger sur les relations entre les communautés. Une mutation qu’une partie de la société a du mal à accepter mais inévitable pour Stéphanie Melyon Reinette. “Nous ne sommes pas dans une réflexion d’identité nationale parce que chacun se replie sur sa propre identité”, affirme la chercheuse. En prenant pour base l’exode de migrants haïtien en République Dominicaine, Outremers 360 l’a interrogé sur les différents  bouleversements de la société. Elle nous fait part, sans langue de bois, de son analyse sociologique sur la thématique identitaire. Pourquoi cette peur de l’étranger ? Comment accepter les différences? Éléments de réponse dans cet entretien.

Vous avez étudié la question de la diaspora haïtienne aux États-Unis. Quel est votre sentiment sur la situation actuelle de cette communauté en République Dominicaine?

Stéphanie Melyon-Reinette : Le problème est devenu plus visible aujourd’hui car il faut rappeler que la situation ne date pas d’hier. Les Haïtiens vivant en République Dominicaine n’ont jamais eu de droits. Les Haïtiens ont un statut d’apatride, car la République dominicaine refuse de reconnaître leur droit du sol. Dans ce contexte, le gouvernement ne leur fournit pas les papiers nécessaires pour pouvoir rester sur le territoire. En étant dans une société globalisée avec des structures hypranationales comme l’ONU qui se battent pour les droits de l’Homme, nous disposons d’outils pour changer les choses. Pour cela, c’est le poids de la communauté internationale qui doit jouer son rôle pour permettre à ces individus d’avoir un avenir.

En prenant l’exemple haïtien ou les vagues d’immigration dans la Méditerranée, comment expliquer cette discrimination systématique envers une communauté étrangère?

Stéphanie Melyon-Reinette : Je pense que le racisme apparaît lorsque les personnes sentent que leur propre système, notamment économique, est mis en danger. Vis-à-vis de l’étranger, on entend toujours qu’ils vont prendre des parts de marché, les emplois. Et puisque la lumière est braquée sur un groupe de migrants sans papiers, les gens ont toujours ce discours que ces derniers arrivent avec l’intention de profiter du système. Aujourd’hui, on va être systématiquement discriminés sur le phénotype. La couleur et les traits culturels qui vont avec, sont encore un problème aujourd’hui. Cela est peu dit par les médias mais il faut savoir qu’il n’y a pas d’invasion africaine en Europe. Lorsqu’on regarde les chiffres, les premiers migrants sont les Européens. Ce ne sont pas les Africains, parce qu’ils n’ont pas les moyens de migrer, et lorsque c’est le cas, beaucoup périssent en mer. 

De façon générale et au regard de l’actualité, l’étranger, peu importe son origine est stigmatisé. Comment peut-on déconstruire les différents stéréotypes autour de l’étranger?

Stéphanie Melyon-Reinette : Pour moi, on doit revenir au principe d’accepter l’individu comme il est. On dit que l’individu est toujours ethno-centré, c’est-à-dire qu’il pense que sa culture est celle qui doit prévaloir. Quelque part, le Français qui regarde l’Africain, lui dira, par exemple “chez moi sur mon territoire, tu ne peux pas avoir cette culture”. Je crois fondamentalement que si la France apprenait son histoire coloniale, en expliquant pourquoi il y a des Antillais, des Maghrébins et des Africains en France. Il faut rappeler que l’immigration actuelle résulte d’une demande vis-à-vis de ces communautés. S’il y a une chaîne de migration, c’est parce qu’on a fait appel à ces populations à un moment donné à travers le Bumidom, ou pour travailler dans les usines après la guerre. On est venu les chercher, les déporter, les déraciner pour les enraciner ailleurs. Toutes ces populations ont été amenées dans le but de construire ce pays. Sans eux la puissance française n’existerait pas. Ceci est la réalité de l’Histoire ! Quelque part, on ne peut reprocher à un Africain d’être français parce qu’il est ! 

Selon vous, l’arrivée de ces vagues de migrations en Europe est donc un processus naturel?

Stéphanie Melyon-Reinette : Je crois et l’écrivaine Léonora Miano le dit également : l’Europe a une facture à payer. Tout simplement, on ne peut pas envahir un pays, déposséder des gens de leurs richesses, et attendre qu’ils aillent ailleurs pour survivre, car c’est surtout une question de survie. On peut le constater avec le Commonwealth qui a établi des règles préférentielles avec ses anciennes colonies. Le premier point de migration sera la métropole, le pays colonisateur. C’est le cas également pour nous, les Antillais, nous nous dirigeons automatiquement vers la France. Nous sommes dans un système qui est le nôtre et qui est moins onéreux. Pour nous, il est plus difficile de répondre à nos questions identitaires, car d’un point de vue naturel, nous nous identifions plus facilement aux Afro-américains ou aux Caribéens qu’aux Français mais pour autant on va aller étudier en France.

Avons-nous trop privilégié cette relation avec la métropole ?

Stéphanie Melyon-Reinette : Je dirais que nous n’avons pas eu le choix. Le système établi fait que c’est le système français qui a été appliqué par Schoelcher au moment de l’abolition de l’esclavage. Il a milité en ce sens pour que la démocratie, les valeurs françaises soient étendues aux colonies. Ce système nous a été imposé, nous n’avons pas choisi notre propre modèle. Avec des politiques comme le Bumidom, c’est l’archétype hexagonal qui s’applique et qui régit notre fonctionnement. Ainsi, ce système va faire, par définition que nous allons plus facilement étudier en France qu’au Canada ou aux États-Unis. De la même façon qu’un caribéen anglophone optera pour l’Angleterre ou l’Amérique.Cependant pour les Antillais, il est plus difficile de répondre à nos questions identitaires, car d’un point de vue naturel, nous nous identifions plus facilement aux Afro-américains ou aux Caribéens qu’aux Français.

Comment pouvons nous nous défaire de ce rapport ?

Stéphanie Melyon-Reinette : Je pense qu’il faut se dire dans un premier temps, qu’on a les capacités d’aller ailleurs. Après certaines personnes ont des capacités financières, d’autres non. C’est pour cela que je prône l’excellence. Il faut sortir de l’idée, que nous sommes obligés d’aller dans le système français, même par  le levier financier, nous sommes contraints d’opter pour l’Hexagone. Toutefois, on peut “profiter de ce système” en choisissant des programmes qui nous permettent d’aller à l’étranger. Il y a encore un manque de communication sur ces perspectives. D’un autre côté, nous sommes encore dans cette mentalité où on va privilégier les concours. On n’est pas suffisamment impliqué dans cette logique d’entreprenariat, de se projeter dans quelque chose de plus compliqué ou qui a l’air moins accessible. Il faut  souligner que les choses évoluent tout de même. On constate qu’il y a de plus en plus de jeunes entrepreneurs antillais. Mais pour moi, nous ne sommes pas entièrement assimilés, c’est-à-dire que nous sommes complètement américains, complètement noirs, caribéens et antillais. Et ça, on ne peut pas nous l’enlever car nous avons grandi dans ce terreau caribéen. Nous avons des valeurs originelles et originales qui font que nous ne pouvons être Français uniquement. Nous allons forcément nous émanciper vers quelque chose qui nous ressemble.

Comment devons-nous alors nous définir sur le plan identitaire ?

Stéphanie Melyon-Reinette : Selon moi, tout est une question de positionnement. On est Guadeloupéen quand on est aux Antilles. Lorsqu’on arrive en France, on est antillais ou on est ultramarin même si ce terme “ultramarin” reste une construction de l’État. En effet, l’Outre-mer n’existe pas en tant qu’entité à part entière, hors des lois de la République telle qu’elle s’est construite. L’Outre-mer n’existe pas en tant qu’identité, cette expression est une construction administrative pour définir des territoires hors du territoire hexagonal. On ne peut donc dire qu’il y a une diaspora ultramarine, comme il y a une diaspora antillaise. Ainsi, un Guadeloupéen et un Polynésien n’ont aucun point commun par exemple. Après quand on veut aller aux États-Unis, on va être français et caribéen. Lorsque nous sommes dans la Caraïbe, nous allons être caribéens.

Vous dites que la France n’est pas multiculturelle. Pourquoi?

Stéphanie Melyon-Reinette : Le multiculturalisme est d’abord un fonctionnement étatique. Il s’agit d’un système qui embrasse la différence de ses communautés, qui accepte le communautarisme. De ce point de vue, la France est anti-communautariste. Même si dans les faits, elle l’est puisque nous disposons d’associations antillaises, reunionnaises, africaines ou juives. On sera pleinement multiculturelle lorsque la France dira : “nous acceptons d’enseigner l’esclavage, l’histoire de l’Afrique coloniale”. À ce moment précis, l’État sera multiculturel. En France, on reconnaît l’existence d’une communauté chinoise qui a son propre fonctionnement, ses propres quartiers. Actuellement, nous jouons sur les mots et les lois qui stipulent que la France est unique et indivisible. Tout ça, c’est un leurre car la France est divisée. Elle deviendra multiculturaliste lorsqu’elle décidera que toutes les cultures de France sont acceptées au même titre que la culture originelle française.

Si l’on prend l’exemple de la charte régionale des langues, pourquoi fait-on face à un recul des positions lorsqu’il s’agit de prendre en considération les différences?

Stéphanie Melyon-Reinette : La France traverse actuellement une crise identitaire. Elle est aujourd’hui remise en cause dans ses fondamentaux. Un individu devient raciste parce qu’il est bousculé dans sa vision du monde. La culture française, même dans sa langue est autant arabe qu’européenne, grecque. Les Français qui sont, aujourd’hui au pouvoir ont du mal à accepter ces bouleversements. C’est pour cela qu’on assiste actuellement à un repli identitaire en Europe. Avec l’immigration des pays qu’ils ont colonisés, en tant que pays d’accueil, elle voit son paysage culturel changer. Une situation qui donne naissance à des crispations et au réveil des fondamentalismes. La culture est quelque chose qui est en perpétuelle mutation et on ne peut aller contre ça.

Quelles sont les pistes envisageables pour lutter contre cette peur du communautarisme et revendiquer cette différenciation en France ?

Stéphanie Melyon-Reinette : Je crois que nous sommes déjà dans la reconnaissance de notre différenciation, puisque les communautés se construisent de manière interne. Les juifs ont leur propre fonctionnement, ils ont leur école juive, leur synagogue. Malgré le débat avec les influences des pays moyens-orientaux, l’islam est bien présent en France, comme il y a des chrétiens,des protestants ou des associations noires. Et même si le CRAN (conseil représentatif des associations noires) s’est auto-proclamé comme l’association représentant les communautés noires, il existe une multitude d’associations noires comme le CM 98, Tous créoles ou d’autres associations antillaises, réunionnaises ou malgaches qui revendiquent le communautarisme. Maintenant, c’est à l’État de faire son chemin, d’accepter que la France régalienne, monarchiste (puisqu’on est toujours dans ce fonctionnement) n’est plus ! De toute façon, la France par son histoire est multiculturelle, qu’elle le veuille ou non, parce qu’il y a l’Outre-mer, puisque sur son territoire hexagonal vivent des cultures différentes. Il faut que l’article premier de la Constitution qui déclare assurer l’égalité sans distinction d’origine, de race ou de religion soit tout simplement appliqué.