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En Martinique, la population est prête à s’engager en faveur de la protection de l’environnement. Qu’il s’agisse de jeunes (le vendredi 23 avril 2019, une « brigade antipollution » s’est réunie aux Trois-Ilets pour nettoyer la plage de la Pointe du Bout à l’initiative d’un lycéen), d’associations (l’opération « Pays Propre » est organisée depuis 9 ans par l’association Entreprises & Environnement qui ramasse chaque année plusieurs centaines de tonnes de déchets), ou simplement d’administrés, les actions collectives en faveur de la protection du milieu sont de plus en plus nombreuses et fréquentes.
Une expertise de Pascal Saffache, Professeur des Universités en Aménagement, et Rudy Bingué, Étudiant en Master 2 d’Aménagement.
On dit que « le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas », aussi, l’association Eco mobil assure-t-elle la réparation des appareils électroménagers, du matériel informatique, électronique, mais aussi des vélos, sur tout le territoire de la Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique (CACEM). Jeter un objet ne doit plus être un réflexe, il faut que nous apprenions à le réparer.
Si les espaces émergés font aujourd’hui l’objet d’une réelle attention, qu’en est-il des milieux littoraux et marins ?
L’exemple des Aires Marines Éducatives (AME)
Après l’inauguration de l’aire marine éducative de l’Anse Turin (Carbet), puis après celle de Grande Anse (Anses d’Arlets), une troisième aire marine éducative a vu le jour sur le site de la plage de la Française à Fort-de-France. Ce concept, qui nous vient des îles Marquises (2012), fait des émules à la Martinique : ainsi 32 élèves d’une classe de CM1 de l’école Saint-Joseph de Cluny, ont établi un projet pédagogique autour de la gestion et de la protection de ce site. Selon l’Agence Française de Biodiversité, « les aires marines éducatives sont des zones maritimes littorales de petites tailles, gérées de manière participative par des élèves du cycle 3 : (CM1, CM2, 6e) ».
Le Conseil de gestion de l’aire marine (constitué de la classe, de son enseignant, et d’un référent scientifique) fournit un diagnostic, puis formule un plan d’actions reposant sur trois principes :
· Connaître la mer ;
· Vivre et agir la mer ;
· Transmettre la mer.
De plus, pour chaque AME, un partenariat est établi entre l’école concernée, la commune, et une association d’usagers ou de protection de l’environnement. Ainsi, une dynamique territoriale – ayant pour objectifs le développement de l’éco-citoyenneté, l’éducation au développement durable, le renforcement de la protection des milieux, ainsi que la création de synergies territoriales – s’établit. Les établissements scolaires qui respectent le cahier des charges et s’engagent dans cette démarche, se voient décerner le label « Aire Marine Éducative ».
Où en est-on de l’aire marine de Sainte-Luce ?
A Sainte-Luce, le projet d’aire marine peine à émerger. Dénommé « Waliwa » (du nom d’un mérou qui a pratiquement disparu de eaux de la Martinique), ce projet sous-tendait une gestion concertée au sein d’un périmètre défini.
Le constat de départ était que la ressource halieutique nécessaire à la population, aux marins-pêcheurs, et aux clubs de plongée, s’amenuisait de plus en plus chaque année. D’après l’Observatoire des Milieux Marins de Martinique (OMMM), « le récif méridional de Sainte Luce est doté de la couverture corallienne la plus importante des Antilles Françaises, ce qui classe le récif méridional parmi les récifs les plus florissants de l’arc antillais ». Cet écosystème présente de nombreuses fonctions : siège de la ressource halieutique, atténuation de la houle en cas de tempête, gisement potentiel de molécules, etc. Cependant, ce patrimoine est en danger, car menacé par les activités anthropiques (pollution) et le réchauffement climatique.
Les Cayes de Sainte Luce, comprennent des coraux singuliers, de type « corne d’élan » (« Acropora palmata »), ou encore « corne de cerfs » (« Acropora cervicornis »), protégés par décret ministériel depuis le 28 avril 2017. En moins de 10 ans, la DEAL a constaté une diminution de 40 % des coraux de type « corne d’élan », sur divers secteurs de Sainte Luce. La mangrove située à l’Est de la commune est elle aussi menacée.
A quoi est due cette situation ?
Elle est due à la fin des contrats aidés, car le modèle économique basé sur l’insertion des jeunes (sans emploi) de la commune – à des postes de guide ou d’agent de l’environnement – est désormais à revoir, la municipalité n’ayant plus les moyens d’assumer la masse salariale que cela représentait.
En outre, il existe une interrogation s’agissant de la gestion du domaine public maritime (DPM). En effet, si le maire exerce son pouvoir de police jusqu’à 300 m du rivage, l’espace maritime demeure sous la souveraineté exclusive de l’État. C’est ce qui semble expliquer (en tout cas, nombreux sont ceux qui avancent cette hypothèse) que la zone de cantonnement de pêche (qui s’étirait de Sainte-Luce au Marin) ne soit plus respectée, car les usagers de la mer indiquent ne plus savoir qui fait quoi et qui est responsable de quoi ?
La situation est exactement la même aujourd’hui sur l’ensemble du littoral martiniquais, où la multiplication des acteurs (DEAL, Conservatoire du littoral, ONF, Agence des 50 pas géométriques, Parc naturel marin, Communauté d’agglomération, Mairie…) s’apparente à un véritable mille-feuilles.
Le manque de concertation fait que chaque administration mène ses propres actions au détriment des administrations voisines. De plus, la gestion de la frange côtière nécessite des moyens financiers importants, tant pour un suivi efficace des sites, que pour mener des actions ciblées et adaptées. L’idéal serait d’avoir un système de gestion où l’ensemble des informations seraient centralisées par un seul et unique gestionnaire et non par une pléiade d’organismes dont les tâches sont voisines et parfois même concurrentes.
La multiplicité des statuts fonciers en zone côtière sous-tend aussi des difficultés de gestion, auxquelles s’ajoutent des facteurs aggravants : manque de moyens financiers, absence d’accords avec certaines municipalités, attente de décisions judiciaires notamment pour les îlets privés. A cela s’ajoute le problème des lois et des décrets en perpétuel décalage avec la réalité du terrain : lorsque la loi est adoptée, la réalité du terrain a déjà évolué ; la loi n’a donc plus de portée. A titre d’exemple, la mise en place de l’« Agence des cinquante pas géométriques » s’est faite près de quatre ans après la promulgation de la loi du 30 décembre 1996 visant sa mise en place.
Trop souvent perçue comme une source de stérilisation du développement économique, la protection de la frange côtière ne fait pas suffisamment recette chez les décideurs. S’il est vrai que l’administration présente un important cloisonnement de ses services, il est tout aussi vrai que des efforts sont faits pour optimiser l’action de ces derniers et surtout leur communication. L’heure est donc à la recherche de solutions et au dialogue, mais il convient de faire vite, très vite même, car le milieu se dégrade et certaines atteintes semblent déjà irréversibles…
Pascal Saffache et Rudy Bingué.