EXPERTISE. Election des maires et des adjoints dans la tourmente du Covid-19: Comment faire? Quels sont les effets du report du second tour par Patrick Lingibé

EXPERTISE. Election des maires et des adjoints dans la tourmente du Covid-19: Comment faire? Quels sont les effets du report du second tour par Patrick Lingibé

A la suite de la déclaration du président de la République prononcée le lundi 16 mars 2020, la question se pose de savoir les conséquences du report du second tour des élections municipales sur les résultats du premier tour. Le présent article y répond mais expose également à travers des questions les conditions de mise en place du nouveau conseil municipal, de l’élection du maire et des adjoints essentiellement dans les communes de 3 500 habitants et plus, suite au premier tour des élections municipales qui se sont tenues le dimanche 15 mars 2020. Une expertise de Patrick Lingibé, avocat et Bâtonnier de Guyane.

I – Quel jour le conseil municipal doit être convoqué ?

La date de la tenue de la première séance inaugurale du conseil municipal est fixée par le deuxième alinéa de l’article L. 2121- 7 du code général des collectivités territoriales :
« Lors du renouvellement général des conseils municipaux, la première réunion se tient de plein droit au plus tôt le vendredi et au plus tard le dimanche suivant le tour de scrutin à l’issue duquel le conseil a été élu au complet. Par dérogation aux dispositions de l’article L.2121-12, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation est adressée aux membres du conseil municipal trois jours francs au moins avant celui de cette première réunion. »
Si l’élection de liste majoritaire s’est faite au premier tour le dimanche 15 mars 2020, le conseil municipal doit se réunir de plein droit à l’une des dates suivantes :
vendredi 20 mars 2020 – première date de réunion possible
– samedi 21 mars 2020 – date intermédiaire envisageable
dimanche 22 mars 2020 – dernière date de réunion imposée par l’article L. 212-7, deuxième alinéa précité du code général des collectivités territoriales.

S’agissant des délais de convocation applicable aux communes de 3 500 habitants et plus, l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales impose un délai de cinq jours francs.

Il est à noter que ce délai est de trois jours francs pour les communes de moins de 3 500 habitants conformément aux dispositions de l’article L. 2121-11 du code général des collectivités territoriales.

Toutefois, ce délai de cinq jours peut être difficilement respecté puisqu’il conduirait à repousser l’élection du maire et des adjoints au dimanche suivant l’élection, ce qui contreviendrait aux dispositions de l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales précité qui prévoit une réunion de plein droit s’imposant donc au maire qui doit impérativement convoquer.

Afin de concilier les dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales (délai de convocation de cinq jours francs) et celles de l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales (réunion de plein droit au plus tôt vendredi et au plus tard le dimanche suivant l’élection), le Conseil d’Etat a jugé que le législateur, en portant à cinq jours francs le délai de convocation dans les communes de 3 500 habitants et plus, n’avait pas
entendu modifier l’ancienne règle fixant, pour la première réunion du conseil, à trois jours francs le délai de convocation dans l’ensemble des communes quelle que soit leur population.

Dans ces conditions, par dérogation aux dispositions des articles L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales imposant un délai normal de convocation de cinq jours francs, c’est le même délai de trois jours francs (prévu à l’article L. 2121-11 du code général des collectivités territoriales pour les communes de moins de 3 500 habitants) qui, pour toutes les communes, s’applique à la convocation de la première réunion spéciale prévue par l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales.

Le conseil municipal d’une commune de 3 500 habitants et plus pourra donc parfaitement se réunir sans respecter pour cette séance spéciale le délai normal de convocation de 5 jours.

II – Quels effets du report du second tour sur les élections municipales ?

Dans sa déclaration télévisée prononcée le lundi 16 mars 2020, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé le report du deuxième tour des élections municipales. Dans la mesure où le deuxième tour prévu le dimanche 22 mars 2020 devrait être reporté au dimanche 21 juin 2020, aucune élection de maire et d’adjoints n’interviendra donc la semaine qui suit donc le scrutin comme cela devait se faire (soit le vendredi 27 mars 2020 – première date réunion possible, soit le samedi 28 mars 2020 – date intermédiaire envisageable, soit le dimanche 29 mars 2020 – dernière date de réunion possible).

C’est la première fois qu’un tel report de deuxième tour se fait à une date aussi lointaine, soit après trois mois du premier tour. Le seul précédent de report électoral entre les deux tours que nous avons est celui des élections législatives qui se sont tenues à La Réunion en 1973. A cause d’un cyclone qui frappait l’île, le deuxième tour de cette élection avait du être reportée d’une semaine.

Si le Conseil constitutionnel est attentif au respect par le législateur du calendrier républicain, autrement dit des dates régulières où doivent se tenir normalement les élections arrivant à leur terme, il n’exclut pourtant pas la possibilité pour le législateur de proroger la durée de mandat lorsque des circonstances d’impératif général l’exigent. Ainsi, dans sa décision n° 94-341 DC du 6 juillet 1994, Loi relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux, le juge constitutionnel a validé la loi prorogeant la durée pour une période limitée des mandats des conseillers municipaux fondée sur « la nécessité d’éviter des difficultés de mise en œuvre de l’organisation de l’élection présidentielle prévue en 1995 » (Conseil constitutionnel, décision n° 94-341 DC du 6 juillet 1994, Loi relative à la date de renouvellement des conseillers municipaux). En l’espèce, l’impératif général repose sur un motif de santé public, à savoir la propagation de manière exponentielle du coronavirus Covid-19 avec très clairement le risque avéré et réel de la contamination de l’ensemble de la population française avec les conséquences désastreuses et mortifères qui peuvent en résulter.

La question qui se posera n’est pas tant le principe du report du deuxième tour mais la date à laquelle ce deuxième tour est renvoyé ; il y a en effet une différence noter de reporter le second tour d’élection de trois mois au lieu d’une semaine.

Ce report du second tour entraîne ipso jure que les maires, adjoints et conseillers municipaux actuellement élus restent en poste et poursuivent donc l’exercice de leurs mandats électifs jusqu’à l’installation des futurs élus qui seront issus des élections municipales reportées.
Le législateur devrait intervenir pour formaliser la prorogation des mandats des élus actuels mais également pour uniformiser la durée des mandats municipaux entre les élus issus des élections du dimanche 15 mars 2020 et ceux qui seront élus trois mois plus tard.

Enfin, le report du deuxième tour des élections municipales prévu le dimanche 22 mars 2020 n’affecte en aucun cas l’élection des listes et des candidats élus dès le premier tour. Cette élection gagnée au premier tour reste donc acquise et ne peut être remise en cause, sauf par le juge électoral et uniquement s’il est démontré par des requérants mécontents et contestant ladite élection l’existence d’irrégularités de nature à altérer de manière substantielle la sincérité du scrutin.

III – Qui doit convoquer le conseil municipal ?

En application de l’article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, c’est le maire en exercice qui convoque les nouveaux conseillers municipaux. A ce sujet, une réponse du ministre de l’Intérieur du 28 mars 1995 est venue confirmer très clairement que c’est le maire sortant, même non réélu conseiller municipal, qui doit convoquer la première réunion du conseil. S’il refuse ou néglige de le faire, le préfet, après l’en avoir requis, peut y procéder d’office par lui-même ou par un délégué spécial dans les conditions prévues à l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales (Réponse ministre de l’Intérieur, n° 23867, JOAN, Question du 20 mars 1995 page 1541).

IV – Qui doit présider la séance pour l’élection du maire ?

L’article L. 2122-8 du code général des collectivités territoriales dispose en son premier alinéa :
« La séance au cours de laquelle il est procédé à l’élection du maire est présidée par le plus âgé des membres du conseil municipal. »

Le Conseil d’Etat a confirmé que la séance au cours de laquelle est élu le maire est présidée par le doyen d’âge, y compris lorsque le doyen d’âge est le maire démissionnaire (Conseil d’Etat, 25 mai 1973, Elections maire et adjoint Lacourt, requête n° 88323).

 

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V- Existe-t-il un quorum pour la réunion du conseil municipal électif ?

Si le conseil municipal doit être au complet, c’est-à-dire que tous les sièges doivent être pourvus, le Juge du Palais Royal n’exige pas que tous les conseillers en exercice siègent effectivement à la séance d’élection du maire et des adjoints (Conseil d’Etat, 6 janvier 1967, Elections adjoint au maire commune Kertzfeld, requête 68737).

Ainsi donc et en vertu de l’article L. 2121-20 du Code Général des Collectivités Territoriales, un conseiller municipal empêché d’assister à une séance peut parfaitement donner à un collègue de son choix, c’est-à-dire à tout membre du conseil, un pouvoir écrit de voter en son nom (Conseil d’Etat, 24 septembre 1990, élection du président et du bureau du comité du SIVON de Coulanges-sur-Yonne, requête n° 109495).

Le Juge du Palais Royal a clairement indiqué que cette possibilité de pouvoir écrit est applicable quel que soit l’objet de la séance et notamment lorsque le Conseil Municipal est appelé à élire le maire et ses adjoints (Conseil d’Etat, 11 juin 1958, Election adjoint aux Abymes, Recueil 1958, page 336).

S’agissant spécifiquement du quorum, il n’y a pas de règle spécifique. C’est donc les dispositions de l’article L. 2121-17, premier alinéa, du code général des collectivités territoriales qui s’appliquent : « Le conseil municipal ne délibère valablement que lorsque la majorité de ses membres en exercice est présente. ».

Une particularité existe néanmoins. Selon une jurisprudence constante, le Conseil d’Etat considère que pour l’élection des exécutifs locaux la règle du quorum est respectée dès lors que celui-ci est constaté à l’ouverture de la séance. Le quorum s’apprécie toujours en matière de délibérations électorales au moment de l’ouverture de la séance ; il n’a plus à être contrôlé au cours des opérations de vote (Conseil d’Etat, assemblée, 11 décembre 1987, Elections du président du conseil régional de Haute-Normandie, requête n° 77054) :
« Considérant que, si dix-neuf des cinquante-trois membres qui composent le conseil régional de Haute-Normandie se sont retirés avant l’ouverture du scrutin, cette circonstance n’entache pas d’irrégularité l’élection du président du conseil régional dès lors qu’il résulte de l’instruction que la règle de quorum ci-dessus rappelée était respectée lorsque le doyen d’âge a pris la présidence pour faire procéder à cette élection ; »

Ainsi donc, le départ de conseillers municipaux après le discours du doyen d’âge, qui exerce les fonctions de président de séance en application du premier alinéa de l’article L. 2122-8 du code général des collectivités territoriales, n’est aucunement de nature à affecter le quorum dès lors que lesdits conseillers étaient effectivement présents à l’ouverture de la séance.

Par ailleurs, il convient de préciser que le refus de prendre part au vote a été analysé par le ministère de l’Intérieur comme une abstention (Réponse ministérielle n° 26978 : JOAN 27 janvier 2004, page 690).

VI – Quel mode de scrutin est appliqué pour l’élection du maire et des adjoints ?

En application des dispositions de l’article L. 2122-7 du code général des collectivités territoriales, le maire est élu par le conseil municipal au scrutin secret à la majorité absolue. Si, après deux tours de scrutin, aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue, il est procédé à un troisième tour de scrutin et l’élection a lieu à la majorité relative. En cas d’égalité de suffrages, le plus âgé est déclaré élu.

VII – Quel effectif fixé pour les adjoints ?

L’article L. 2122-2 du code général des collectivités territoriales dispose :
« Le conseil municipal détermine le nombre des adjoints au maire sans que ce nombre puisse excéder 30 p. 100 de l’effectif légal du conseil municipal. »

Le ministre de l’Intérieur a indiqué que le nombre des adjoints déterminé par application de ce pourcentage doit être arrondi au nombre entier inférieur (Réponse ministre de l’Intérieur n° 25246, JOAN Question du 7 février 1983, page 706).

Ainsi, pour un conseil municipal comportant un effectif légal de 45 membres, le nombre d’adjoints maximum qui pourra être mis en place sera de 13.

Il est impératif que le conseil municipal fixe préalablement après l’élection du maire le nombre des adjoints qu’il décide.

Vue de la Mairie de Arue en Polynésie française ©Outremers360

Vue de la Mairie de Arue en Polynésie française ©Outremers360

VIII – Quelle modalité pour l’élection des adjoints ? 

Dans les communes de 1 000 habitants et plus, l’élection des adjoints est organisée par l’article 2122-7-2 du code général des collectivités territoriales modifié par l’article 1 er de la loi n° 2007-128 du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Les adjoints sont élus au scrutin de liste à la majorité absolue, sans panachage ni vote préférentiel.

Chaque liste doit respecter le principe de parité et comporter autant d’hommes que de femmes, l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne pouvant être supérieur à un.

En conséquence, le législateur n’a pas imposé une parité stricte comme pour les listes de candidats aux élections municipales pour les communes de 3 500 habitants et plus, celles-ci devant être composées alternativement d’un candidat de chaque sexe (un homme / une femme ou une femme / un homme ou système de la liste dite « chabada » en référence à la célèbre chanson du film « un homme, une femme » réalisé par Claude Lelouch et sorti en 1966).

Aucune alternance stricte n’est donc prévue entre les candidats de chaque sexe pour la composition de la liste à établir pour l’élection des adjoints : la parité doit donc être appréciée globalement.

Cela veut dire en clair que la liste des adjoints doit désormais être paritaire mais non strictement paritaire : elle doit donc comporter globalement autant d’hommes que de femmes avec un écart d’un mais sans alternance stricte.

Ainsi donc, si le conseil municipal a fixé un effectif de 13 adjoints (soit 30 % de l’effectif légal d’un conseil municipal de 45 membres), la liste présentée pour l’élection des adjoints doit comporter obligatoirement 7 hommes et 6 femmes ou 7 femmes et 6 hommes, peu importante l’ordre de présentation (si le premier adjoint est une femme, le second adjoint ne doit pas nécessairement être un homme).

De plus, l’ordre des candidats figurant sur cette liste d’adjoints peut être radicalement différent de l’ordre de présentation des candidats figurant sur la liste présentée aux électeurs.

Si après deux tours de scrutin, aucune liste n’a obtenu la majorité absolue, il est procédé à un troisième tour de scrutin et l’élection a lieu à la majorité relative. En cas d’égalité de suffrages, les candidats de la liste ayant la moyenne d’âge la plus élevée sont élus.

L’élection des adjoints clôt la séance du Conseil Municipal réunie spécialement pour l’élection du maire et des adjoints.

Par ailleurs, il appartiendra également au conseil municipal à compter de son installation :
dans les trois mois de fixer expressément le niveau des indemnités de ses membres en application des dispositions de l’article L. 2123-20-1 du code général des collectivités territoriales ;
dans les six mois d’adopter son règlement intérieur conforment aux dispositions de l’article L. 2121-8 du code général des collectivités territoriales.

Patrick Lingibé
Avocat spécialiste en droit public
Cabinet JURISGUYANE