[ Expertise ]  Causes profondes de la surmortalité au Covid-19 des Afro-Américains, des Caribéens et des Africains vivant dans l’hémisphère nord

[ Expertise ] Causes profondes de la surmortalité au Covid-19 des Afro-Américains, des Caribéens et des Africains vivant dans l’hémisphère nord

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Tout au long de ce mois de mai où nous célébrons la commémoration des traites négrières, Outremers 360 a donné la parole aux divers acteurs de cette mémoire célébrée en soulignant plusieurs dates fortes.

D’abord le 10 mai avec  la cérémonie dans les jardins du Sénat, palais du Luxembourg avec un dépôt de gerbe d’Édouard Philippe, Premier Ministre et la commémoration place du Général Catroux dans le 17 ème arrondissement de Paris, avec un dépôt de gerbe par Anne Hidalgo, Maire de Paris. Puis le 23 mai, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Emmanuel Gordien, responsable de l’unité de virologie à l’hôpital Avicenne à Bobigny, Maître de conférence des Universités et Président du CM 98, association qui réalise un excellent et précieux travail depuis plusieurs années sur la chaîne des mémoires. 

A propos de virologie, il nous est apparu intéressant de donner la parole à un avocat et éditeur passionné par la question de la traite négrière et de ses conséquences modernes. Jean-Emmanuel Medina, enseignant et praticien à Strasbourg, nous propose en exclusivité l’un de ses articles qu’il intégrera à son prochain ouvrage publié aux Éditions Kapaz. Il nous livre le fruit de ses réflexions sur les causes profondes de la surmortalité au Covid-19 des Afro-Américains, des Caribéens et des Africains vivant dans l’hémisphère nord. Nous l’en remercions vivement.

Luc Laventure

Tribune de Jean-Emmanuel Médina : Causes profondes de la surmortalité au Covid-19 des Afro-Américains, des Caribéens et des Africains vivant dans l’hémisphère nord

Depuis plusieurs semaines, on peut lire que le drame sanitaire qui s’abat actuellement sur les États-Unis frappe avec plus de violence encore les Noirs ! Selon les termes volontairement forts employés par certains journalistes, les Afro-Américains sont « décimés » par le Covid-19. Dans l’Illinois, 42 % de ceux qui ont succombé au Covid-19 sont afro-américains, communauté qui ne représente pourtant que 14 % de la population de l’État. Dans le Wisconsin, le constat est encore plus marqué, 36 % des décès concernent les Afro-Américains alors qu’ils ne représentent que 6,7 % de la population de l’État.

Selon les observateurs, il existe un lien étroit entre pauvreté et manque de soins dans le fait que les Noirs américains soient les plus touchés par le virus. Autrement dit, la cause serait essentiellement sociale, ce qui est d’autant plus révoltant. Toutefois, les Noirs ne sont pas les seules minorités aux États-Unis, aussi, qu’en est-il de l’impact du Covid-19 sur les autres populations, et notamment sud-américaines.
Néanmoins, les articles de presse traitant du sujet semblent moins nombreux. Pourquoi ? La communauté hispano-américaine n’est-elle pas tout autant fragilisée économiquement par la précarité ?

Mon hypothèse est la suivante : si, parmi les pauvres et les laissés pour compte, les populations noires sont les plus frappées proportionnellement à leur nombre, c’est qu’au-delà du facteur social et culturel indéniable, il existe une cause plus profonde. Une partie de la réponse serait-elle également physiologique ? Réfléchir à cette question permettrait d’identifier le fond du problème sanitaire, qui touche avec plus de violence les Noirs, pour apporter les solutions médicales plus appropriées et ainsi sauver de précieuses vies.

Qu’est ce qui, dans le mode de vie des Afro-Américains, des Caribéens et des Africains vivant dans l’hémisphère nord, modifie durablement leur physiologie au point de les rendre plus vulnérables au Covid-19 ?

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Des spécificités physiologiques au cœur du problème

Les facteurs de comorbidités les plus fréquents du Covid-19 sont, selon des études réalisées, l’hypertension, le diabète et les maladies coronariennes. La question relative à la capacité respiratoire est peu, voire jamais évoquée comme facteur potentiellement aggravant. Le fait que les « sujets noirs » d’après les études disposent en moyenne d’un volume pulmonaire inférieur d’environ 20 % par rapport à d’autres groupes peut-il avoir une incidence sur le plan de la mortalité ? Il est difficile de répondre car la littérature scientifique semble muette sur la question, et en même temps, le Covid-19 ne nous affecte collectivement que depuis peu.

De plus, certaines publications évoquent des défaillances du système circulatoire comme une des problématiques liées au Covid-19. L’altération de la coagulation et les complications thrombotiques (formation au sein des veines de caillots de sang) dont les effets sont multipliés en situation d’hypertension artérielle conduiraient à une plus grande mortalité. Si ces éléments se confirmaient, un traitement classique d’anticoagulant, de type héparinothérapie, permettrait de sauver de nombreuses vies.

J’explore donc la problématique cardio-vasculaire, d’autant plus que l’on sait depuis plus de vingt ans que les populations noires soumises à un mode de vie occidental sont plus souvent affectées par l’hypertension artérielle, de manière plus précoce et plus grave que les autres populations. À cette problématique sont généralement associés des facteurs socio-environnementaux divers et indéniables, tout en n’étant pas suffisants afin de comprendre dans son intégralité le phénomène. Le taux de mortalité des maladies cardio-vasculaires, rénales ou neurologiques, lié à l’hypertension artérielle est supérieur chez les populations noires. Quelle que soit la gravité de l’hypertension, l’hypertrophie ventriculaire est également deux fois plus fréquente, et leur pression artérielle est majorée la nuit par rapport à celle des autres sujets des études menées sur la question.

Un lien étroit entre carence en vitamine D et hypertension artérielle

De plus, l’insuffisance en vitamine D, plus fréquente chez les Afro-Américains ou chez les Caribéens vivants dans l’hémisphère Nord, est aussi parfaitement connue des milieux scientifiques. La plupart des « sujets noirs » en bonne santé étudiés n’atteignent pas les concentrations optimales de 25- hydroxyvitamine D [25 (OH) D] et ce, à n’importe quel moment de l’année. Cela est principalement dû à la réduction de l’ensoleillement dans l’hémisphère nord, et à la pigmentation plus foncée de ces mêmes sujets qui réduit la production de vitamine D.

Par ailleurs, une relation causale a été établie de manière générale entre une carence en vitamine D et une pression artérielle potentiellement plus élevée.

La compilation de toutes ces données permet une compréhension plus efficiente de la problématique. Dès lors, si l’on doit prendre en compte dans l’analyse, la surreprésentation des Noirs dans le nombre de morts liés au Covid-19 en raison de problématiques dégénératives aggravées par le facteur socioculturel, il n’est en revanche pas pensable d’occulter l’influence des caractéristiques physiologiques propres à l’individu et au groupe comme facteur favorisant une ou plusieurs causes de comorbidité, comme l’hypertension artérielle, et son corollaire les diverses problématiques cardio-vasculaires.

Les Noirs américains comptent, proportionnellement à leur nombre, un pourcentage particulièrement élevé de morts du Covid-19 en raison de leurs conditions de vie plus précaires mais également parce qu’ils disposent d’une physiologie soumise à plus de contraintes dans l’hémisphère Nord, favorisant chez eux de l’hypertension artérielle de diverses manières. Pour autant, cela ne signifie pas que ce groupe est plus susceptible que les autres de contracter le Covid-19, mais que le risque de gravité est plus élevé.

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Hypertension hydrique et l’hypertension avitaminique dans l’hémisphère nord

La médecine sait depuis fort longtemps que les populations noires, de manière générale, ont une physiologie parfaitement adaptée aux milieux tropicaux et subtropicaux à forte luminosité. Elles disposent d’un système de thermorégulation optimisé pour les latitudes chaudes et fortement ensoleillées, avec des glandes sudoripares présentes en plus grand nombre, ce qui favorise une évaporation plus importante par la peau de l’eau du corps, permettant aux reins d’être moins volumineux. Au contraire, lorsque ces populations évoluent dans l’hémisphère nord, transpirant moins et éliminant par les reins de manière moins importante, ces dernières sont sujets, plus que les populations des autres groupes, à la rétention hydrique et avec elle, à une hypertension plus importante.

De plus, la déficience en vitamine D de ces populations, lorsqu’elles vivent dans l’hémisphère nord, augmente sensiblement le risque de développer prématurément une hypertension artérielle. Le soleil moins puissant et la peau plus protectrice font chuter, plus que chez les autres groupes, le taux de vitamine D, et ce quel que soit le moment de l’année. Il est à noter que des carences en vitamine D ont été également observées dans certains groupes de populations urbaines d’Afrique Noire. Là encore, la faiblesse d’exposition au soleil, en raison notamment du mode de vie, peut expliquer cette donnée encore peu connue et peu étudiée.

La traite négrière : un facteur aggravant ?

Il est possible également que le phénomène d’hypertension hydrique puisse avoir été davantage accentué par la traite des hommes, et la sélection naturelle ainsi opérée durant les voyages maritimes, desquels les historiens ont établi qu’un nombre significatif mourrait de déshydratation. Il est tout à fait envisageable de penser que, parmi les survivants, certains aient pu transmettre la faculté physiologique de retenir davantage l’eau dans leurs tissus. Les descendants afro-américains ou caribéens seraient alors, en plus d’être soumis à un manque d’exposition aux UV, confrontés à une rétention d’eau plus grande, ajoutant, à l’hypertension hydrique climatique et à l’hypertension avitaminique dans l’hémisphère nord, une hypertension hydrique héréditaire spécifique. Toutefois, les données statistiques et médicales étant très réduites sur cette question, pour ne pas dire inexistantes, il est important de prendre ce dernier facteur potentiellement aggravant, à savoir l’hérédité liée à la traite des hommes, comme une hypothèse nécessitant des études croisées, aux frontières de la médecine, de la génétique et de l’histoire des groupes descendants des premiers arrivants.

Ces données établies pourraient favoriser une meilleure guérison actuelle de nombreux malades partout dans le monde, en particulier des Noirs qui vivent dans l’hémisphère nord atteints du Covid-19. Elles posent aussi pour l’avenir, la responsabilité des pouvoirs publics d’apporter des solutions médicales plus adaptées, afin qu’ils n’aient pas autant à souffrir lors des prochaines épidémies virales, de grippe ou de corona, d’un ou de plusieurs facteurs de comorbidité.

Jean-Emmanuel Médina

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