COP 21 : « Il nous manque un Nelson Mandela du climat » par Brice Lalonde-EXCLU

COP 21 : « Il nous manque un Nelson Mandela du climat » par Brice Lalonde-EXCLU

Crédits Photo: AFP/Martin Bureau

A l’occasion de la COP 21, notre journaliste spécialisée sur les questions de développement durable, Dominique Martin-Ferrari a recueilli en exclusivité les propos de Brice Lalonde, le conseiller spécial de l’organisation onusienne Global Compact et ancien Ministre de l’Environnement sous le gouvernement Rocard. Cet expert nous partage son regard sur cette conférence internationale qui se tient actuellement au Bourget.

Brice Lalonde depuis l’origine vous suivez ces conventions onusiennes. Comprenez-vous que leurs successions puissent désespérer ceux qui attendent des solutions ? Peut-on encore leur faire confiance ?

L’erreur est d’attendre tout d’une conférence. Nous sommes entrain de construire un fonctionnement mondial, avec des pays qui ont tous leur identité. Et d’une certaine façon les choses vont assez vite, même si ce n’est  pas assez pour faire face aux menaces qui nous guettent.Il y a trente ans (1992) nous signions à Rio trois conventions mondiales: climat, biodiversité, désertification. Il avait fallu un an et demi à l’ambassadeur Jean Rippert pour faire passer le message. En 1992, c’est dans l’euphorie qu’ont été signé ces textes. On découvrait la notion de développement durable, liant intrinsèquement le sort de l’homme à celui de la nature, nous entrions « dans un monde fini » comme le rappelait à l’époque Boutros Boutros Galli secrétaire Général de l’ONU. Certes, la situation était différente de celle d’aujourd’hui. Nous vivions une période d’espoir. Le mur de Berlin venait de tomber, la guerre froide s’achevait, les préoccupations environnementales étaient prises très au sérieux. En trente ans seulement, nous avons tenté de construire une responsabilité universelle. Le seul outil pour y parvenir c’est l’ONU, un  « machin » conçu dans l’après guerre entre quelques puissants, et qui n’est plus vraiment adapté au nouveau monde. Mais c’est un outil fantastique ! C’est le seul endroit où la communauté internationale peut parler d’une question qui la concerne de manière universelle : le climat. Un lieu où le chef d’état d’un des plus grand pays de la planète, Barak Obama , est assis à côté du Kiribati avec ses quelques milliers d’habitants. Ils ont une voix, la même. Mais l’ONU n’est qu’un syndicat d’Etats, il n’a pas de pouvoir.

Donc vous êtes pessimiste. Il ne sortira rien de la COP 21 ?

Les COP accouchent d’une souris, mais fondent des petits progrès. La grande question c’est le temps. Il faut accélérer. Mais, au Bourget il y avait 150 chefs d’état. À Copenhague, Obama était là et la Chine était représentée par un haut fonctionnaire. Là, Obama était aux côtés du chef d’état chinois. Cela signifie que l’inquiétude passe au plus haut niveau.

Quelles solutions proposez vous ?

Il nous manque quelque chose de planétaire qu’il faut rapidement construire. Une réforme des Nations Unies. Regardez l’Europe : les 28 donnent leur avis sur une question, la Commission rédige un texte qui suit la voie parlementaire, le texte devient loi, appliqué et sanctionné. Il n’y a rien de tout cela à l’ONU, pas de plan mondial, juste 195 états qui disent « je fais cela » plus inquiets de leur souveraineté nationale que de l’avenir de l’humanité. Nous sommes dans un système wesphalien. Le miracle de la politique c’est la vision politique. Il nous manque un Nelson Mandela du climat ! Pour l’instant le monde réel est en dehors de la négociation. L’humanité n’est pas là. L’avenir du monde n’est plus seulement une affaire d’experts et de diplomates. Non : c’est aussi l’occasion pour des milliers de responsables associatifs, d’entrepreneurs, de chercheurs ou d’élus de débattre de leurs projets pour la planète. Lorsqu’ils parlent d’environnement, les gouvernements commencent souvent par se tourner vers les entreprises : est-ce que ça ne va pas les rendre moins concurrentielles ? Est-ce qu’elles vont licencier ? Se délocaliser ? Et si, au contraire, le monde des affaires répondait : pas de problèmes, allez-y ! L’industrie aujourd’hui est multinationale et prête à des accords mondiaux  de branche. Cela a été réussi dans le cadre de la lutte contre les CFC qui détruisaient la couche d’ozone, c’est en passe de l’être pour le charbon : le monde de la finance s’en retire, la production du charbon va devenir de moins en moins rentable. Le but est de montrer aux citoyens qu’ils peuvent, au quotidien, changer leur comportement de manière positive. »

Pour l’instant nous en sommes là. Qu’est ce qui sera une bonne COP pour Brice Lalonde ?

Tout le monde est à bord. Inutile de discuter pendant des jours de sémantique : « contraignant » par exemple : cela ne peut l’être puisqu’il n’y a pas de système de sanction. Sauf, et c’est nouveau, celle de la société elle même. Les gouvernements sont de plus en plus redevables. Le signal donné par l’accord de Paris sera plus important que le contenu lui-même, car, plus que le rassemblement des décisionnaires, c’est la mobilisation citoyenne qui sera déterminante dans la lutte contre le changement climatique. Cela fait trente ans que l’on attend. Tout est sur la table des négociations. Il faut un accord-cadre, se mettre au travail dans un effort commun, et s’entendre sur un système qui permette une révision périodique des engagements. Car chacun fera ce qu’il peut, mais il faut qu’il fasse plus. Les points bloquants sont les positions de certains sur la sortie des énergies fossiles et la mobilisation des financements. Mais un vrai mouvement est en marche, ce qui est en jeu c’est la paix. Que Paris soit un signal de l’action et qu’elle se mène partout : au G20, au FMI….Aujourd’hui tout le monde est à bord.

Une crainte ?

On a beaucoup critiqué la fin de la conférence de Copenhague où les chefs d’état sont arrivés le dernier jour, se sont enfermés dans une salle et ont balayé quinze jours de négociations . Mais peut être valait-il mieux une simple feuille de route qu’un accord mal ficelé. Après tout le texte de deux pages a fixé les enjeux importants : la barre des deux degrés, le fonds vert, la responsabilité universelle mais différenciée . Là je crains que cent cinquante Ferrari soient entrées en action le premier jour, et laissent des centaines de 2cv à la barre..

Propos recueillis par Dominique Martin-Ferrari.