Jean-Christophe Gay: “L’Outre-Mer doit se diriger vers un tourisme dont les prix correspondent à la qualité des services”

Jean-Christophe Gay: “L’Outre-Mer doit se diriger vers un tourisme dont les prix correspondent à la qualité des services”

L’Outre-mer dispose d’atouts innombrables pour rayonner sur les marchés internationaux. Pour le spécialiste de la question Jean Christophe Gay, c’est le modèle économique ultramarin qu’il faut revoir.

Dans ce dossier consacré au tourisme dans les Outre-mer, Outremers donne la parole à un spécialiste. Jean Christophe Gay est un géographe qui a étudié le tourisme en Outre-mer sous toutes ces formes. Il est professeur à l’université Nice Sophia Antipolis, a publié plusieurs ouvrages sur cette thématique. Aujourd’hui, il nous fait part de son analyse du tourisme ultramarin, un secteur d’activité en déclin depuis quelques années malgré la potentialité de ces territoires. Pour l’expert, une remise à plat du système économique ultramarin est plus que jamais nécessaire.

Quelle analyse faites-vous de la situation du tourisme en Outre-mer?

Je ferais une analyse plutôt pessimiste, plutôt sombre parce que c’est un tourisme qui est en crise depuis longtemps. C’est un secteur qui perd des touristes ou au mieux qui stagne et qui est de moins en moins compétitif par rapport aux destinations voisines. On constate dans tout l’Outre-mer une perte d’attractivité internationale. La clientèle nationale ne compense que partiellement le départ des étrangers. Pour la plupart, les destinations de l’Outre-mer se sont désinternationalisées.

Rendre le tourisme plus compétitif en Outre-mer, c’est déstabiliser complètement tous ces territoires

Comment expliquer ce recul d’attractivité malgré les atouts de ces îles?

Des atouts, il y en a mais il y a beaucoup de territoires et d’îles tropicaux qui en possèdent aussi. La concurrence est rude et lorsqu’on regarde les produits proposés, on constate que l’Outre-mer n’est pas du tout compétitif avec une offre hôtelière qualitativement médiocre, un transport aérien relativement coûteux, un accueil et une animation à revoir, un rapport qualité/prix très mauvais, etc.Alors que ce sont des îles qui ont été mises en tourisme assez précocement, je pense notamment aux Antilles françaises, elles ont été rattrapées et complètement dépassées par leurs voisines. Ne parlons pas de la croisière qui malgré une repriseces dernières années a énormément décliné dans les Antilles françaises.

D’où vient le problème ? Que dire des mesures politiques engagées dans ce secteur? Que faut-il changer?

Les mesures engagées par les politiques ne sont pas les bons remèdes. Mais les bons remèdes seraient extrêmement douloureux. C’est la base économique de l’Outre-mer qu’il faut remettre en cause. Rendre le tourisme plus compétitif en Outre-mer, c’est déstabiliser complètement tous ces territoires, c’est remettre un certain nombre d’avantages acquis, comme les sur-rémunérations de certaines catégories ou les monopoles commerciaux. On comprend  bien que les politiques font de la communication, et qu’ils mettent en place des mesures qui ne répondent que très partiellement à la question. Si ces derniers répondaient de manière frontale au sujet, ils auraient à affronter des mouvements sociaux très forts.

Existe-t-il des solutions qui permettraient de garder ces destinations dans la course ? Vers quoi doit-on se tourner?

Pour l’instant, les solutions n’ont pas encore été trouvées. Le principal outil que nous avons utilisé est la politique de défiscalisation qui a aujourd’hui une trentaine d’années. C’est un outil qui a eu beaucoup d’effets pervers. Il a entraîné un développement de l’hôtellerie totalement déconnecté de la fréquentation. On se retrouve avec des projets touristiques qui masquent des projets immobiliers. En effet, les hôtels sont transformés ensuite en appartements ou, dans le pire des cas, ils deviennent des friches vouées à l’abandon pendant 10 ou 15 ans, soumises au vandalisme, au squat et au trafic de drogue.

Les îles tropicales, il ne faut pas se le cacher, attirent d’abord pour leurs plages, leurs cocotiers et les lagons bleu turquoise.

Une refonte de la politique d’investissement est donc nécessaire ?

Oui, il faut surtout penser à une réflexion sur l’économie de l’Outre-mer. Je pointe ici le doigt sur l’Outre-mer mais ce sont des problèmes qui sont propres à la France. Le système productif est en crise, le chômage continue d’augmenter. C’est l’ensemble du système économique français qui est à repenser. Une tâche compliquée puisque réformer une économie de comme la France, ce n’est pas réformer une économie de 2 millions d’habitants, c’est réformer la 5e puissance mondiale.

Parmi les destinations ultramarines, c’est la Réunion qui obtient de bons résultats malgré une concurrence de l’île Maurice ou des Seychelles. Comment peut-on expliquer cela?

Les bons chiffres de la Réunion sont à relativiser car on voit la progression des destinations concurrentes comme les Maldives ou l’île Maurice qui étaient au niveau de la Réunion, il y a 25 ans et qui aujourd’hui accueille chacune plus de un millions de touristes. Avec 400 000 touristes, pour l’essentiel français et ne logeant majoritairement pas à l’hôtel, le décrochage est flagrant. En plus, la Réunion a eu droit au chikungunya et à la crise des requins. La Réunion n’est pas dans une bonne posture, me semble-t-il, même si elle joue la carte du tourisme vert.

Le tourisme vert peut-il aider justement au développement du tourisme?

Tout élément pour diversifier la clientèle est bon à prendre. Les îles tropicales, il ne faut pas se le cacher, attirent d’abord pour leurs plages, leurs cocotiers et les lagons bleu turquoise. Malgré cela, on peut avoir une politique de diversification. Mais là encore, on est mal armé en Outre-mer lorsqu’on la compare avec d’autres destinations disposant d’installations de bon niveau comme des écolodges de qualité. En Outre-mer, on a un développement plus ou moins anarchique d’hébergements clandestins ou d’hébergements chez l’habitant qui ne favorise pas l’internationalisation des touristes, notamment à hauts revenus.

Le remède est une mise à plat du système économique.

Que doit-on faire pour internationaliser de nouveau les destinations ultramarines ?

L’Outre-mer doit se diriger vers un tourisme dont les prix correspondent à la qualité des services. La qualité d’hébergement à l’Ile Maurice n’a rien à voir avec celle de la Réunion. Hélas pour la Réunion! La qualité de l’hébergement aux Fidji est bien meilleure de ce qu’on trouve en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie.

Peut-on espérer un meilleur rayonnement de ce tourisme ?

Je ne dispose pas d’une boule de cristal mais je pense que les autorités sont tout à fait au courant de ces problèmes, puisque les études et les rapports s’accumulent depuis une vingtaine d’années. Les problèmes sont bien cernés, les causes sont connues. Après, Il y a une question de courage politique. Pour s’attaquer au système économique ultramarin et le transformer, il faut être un peu kamikaze. On va parler de défiscalisation et de d’autres mesures mais nous restons dans le domaine de la langue de bois. Le remède n’est pas le bon et il est notoirement insuffisant.

Quel remède faut-il envisager ?

Le remède est une mise à plat du système économique. À mon avis, on n’a pas l’esquisse de la moindre évolution pour l’Outre-mer. La Loi Macron en métropole va avoir quelques effets avec la définition des zones touristiques internationales. Je trouve ce qui se passe en Outre-mer avec le tourisme est un vrai gâchis. Je pense que le tourisme est la seule activité viable pour l’ensemble de l’Outre-mer. L’Outre-mer est sous-utilisé du point de vue touristique. Nous avons l’exemple de la Nouvelle-Calédonie qui a un potentiel phénomènal. Cette île devrait être “le Hawaï du Pacifique Sud” et non pas stagner à 100 000 touristes par an. Tahiti, et Bora Bora sont mondialement connues mais ne représentent que 150 000 touristes, donc là aussi une fréquentation ridicule. Pourtant, il y a du potentiel en Outre-mer. Mais beaucoup de gens pensent de toutes façons que l’assistanat est préférable au tourisme.