© Caledonia NC
Alors qu’avait lieu une table ronde de négociation ce jeudi 3 décembre, aboutissant au report de la signature d’un accord au sujet de l’usine du Sud, la journée de vendredi 4 décembre avait vu émerger les premières inquiétudes de part et d’autre, concernant les engagements pris. La situation a radicalement changé dans la nuit du 5 au 6 décembre. L’ICAN et le Collectif « Usine du Sud = Usine Pays » ont quitté la table des négociations, les blocages des routes immédiatement repris, et des échauffourées ont éclaté avec les forces de l’ordre. Dans la sphère politique, l’appel à l’aide de l’État dans la gestion urgente du dossier est demandé unanimement.
La voie du dialogue n’aura été qu’éphémère, 48 heures tout au plus. La fin des négociations et le regain de tension qui s’en sont suivi imagent la cristallisation d’un débat devenu hautement politique et symbole de l’opposition entre loyalistes et indépendantistes.
Alors que le report de la signature d’accord avait été décidé jeudi 3 décembre, notamment afin de permettre au groupe Sofinor-Korea Zinc d’expertiser les lieux pour prononcer une offre d’achat, aucune durée n’avait été fixée. Une déclaration de Vale NC le lendemain, indiquant qu’ils actaient cette décision de report « de quelques jours », a suscité de vives inquiétudes et mis le feu aux poudres. Les opposants au rachat par le groupe Trafigura demandaient un délai d’au moins trois mois, nécessaire selon eux à une expertise en bonne et due forme.
De son côté, le groupe Vale NC s’inquiétait de ne pas voir effective la levée des blocages des accès à l’usine, pourtant décidée lors de la même table ronde du jeudi 3 décembre.
Un nouveau round de négociation avait lieu samedi 5 décembre au soir, et s’est achevé sur un échec après plus de trois heures de discussion. À l’issue, l’Instance Coutumière Autochtone de Négociation (ICAN) et le Collectif ont annoncé sortir des négociations et appelé au retour des blocages et à la médiation de l’État.
Routes bloquées, intervention des forces de l’ordre, un gendarme blessé
Depuis ce matin du dimanche 6 décembre, le revirement de situation est total. Les blocages de nombreux axes routiers ont démarré dès la matinée, notamment aux accès à l’usine de Goro, lieu et symbole d’une lutte devenue hautement politisée. Les forces de l’ordre ont dû intervenir dès 5h30 ce matin, afin de libérer les accès à l’usine, à la mine et à la base-vie. En parallèle, des axes routiers au Mont-Dore, dans le col de Mouirange, ont été bloqués, pendant que des membres du Collectifs se mobilisent place Rolly, à Bourail.
Pierres et gaz lacrymogènes ont été lancés de part et d’autre aux abords de l’usine, aboutissant à la blessure à la tête d’un gendarme. Il a été évacué par hélicoptère en début d’après-midi ce dimanche.
Le Haut-Commissariat a fait savoir par l’intermédiaire d’un communiqué paru ce jour, que « les dégradations et les jets de projectiles qui ont occasionné plusieurs blessés dans les rangs des gendarmes doivent être condamnés et leurs auteurs feront l’objet des poursuites prévues par la loi. »
Réactions politiques
Le FLNKS reprend la main. Si jusqu’ici l’ICAN et le Collectif avaient le soutien du parti indépendantiste, ce dernier est dorénavant officiellement en charge du dossier, selon les propos de Raphaël Mapou, porte-parole du Collectif. Dans un communiqué de presse, il ajoute : « l’Ican et le collectif, n’ont jamais signé d’accord, pour la cession du complexe usine du Sud et du gisement minier de Goro, au consortium Beurrier / Trafigura (…) Le dialogue politique en Nouvelle-Calédonie, n’est pas un jeu de mots, mais la prise en compte de fondamentaux, comme le caractère collectif des revendications sur la terre, les ressources et l’environnement naturel ».
Du côté des Loyalistes, la réaction ne s’est pas faite attendre. Accusant le non-respect des engagements de la part des groupes de soutien à Sofinor Korea-Zinc, ils appellent à une grande mobilisation samedi 12 décembre devant la Province Sud, pour l’arrêt du mouvement de contestation et des blocages qui en résultent. Dans leur communiqué, ils justifient : « Nous avons été ouverts au dialogue, nous avons fait tous les efforts nécessaires, et nos adversaires bafouent leur parole. Pire, ils utilisent la menace de violence comme seule arme pour obtenir ce qu’ils veulent. Nous ne céderons pas à ce chantage. Nous ne céderons jamais à leurs menaces. Nous n’accepterons pas de brader notre ressource au nom de la doctrine Nickel de la province nord et de l’avidité d’André Dang. Les Calédoniens veulent le maintien des 3000 emplois de l’Usine du Sud. Les Calédoniens ne veulent pas que le Nord s’approprie les richesses du Sud. Les Calédoniens ne veulent plus des blocages qui minent l’économie ».
Le Haut-Commissariat, s’est également exprimé par voie de communiqué de presse dans la journée, expliquant notamment : « Conformément à l’accord conclu à l’issue de la seconde table ronde, la place de l’actionnariat calédonien, les possibilités de partenariat avec la société Korean Zinc et les réflexions concernant les ambitions industrielles du site sont autant de thèmes qui doivent donner lieu à des travaux complémentaires. L’État s’est par ailleurs engagé à accorder toutes les facilités utiles aux représentants de la société Korean Zinc si ceux-ci confirment leur souhait d’accéder au site, en réponse à l’invitation du groupe Vale. Enfin, l’État réaffirme que le dialogue engagé doit se dérouler sans remise en cause de l’ordre et de la sécurité publics et en appelle à la responsabilité de tous dans le moment présent».
Appel à l’aide de l’État
Conscient du fort regain de tension et de l’explosivité de la situation, le FLNKS, l’UNI, Calédonie Ensemble, et le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, ont adressé un courrier à l’attention du président de la République, demandant son intervention dans un dossier qui paraît hors de contrôle. Extraits : « Certains signataires de cette lettre, ont appelé à voter OUI lors des deux consultations sur L’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. D’autres, ont fait campagne pour le NON. Si nous prenons ensemble la plume aujourd’hui, pour nous adresser directement à vous, en tant que Chef de l’État, c’est parce que nous considérons que notre pays est au bord d’une très grave crise politique, économique et sociale. Le projet de reprise de l’usine du Sud dans le cadre de la nouvelle offre présentée récemment par le management et soutenue par la société de négoce en matières premières Trafigura, suscite chaque jour davantage de tensions dans notre pays (…) Il nous semble plus que jamais indispensable que l’État pilote – au plus haut niveau – le projet de reprise de l’usine du sud, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire de notre pays ».
Damien CHAILLOT