Nouvelle-Calédonie : « Revoir notre modèle économique » plaide Yann Lucien, président de la CPME-NC

Nouvelle-Calédonie : « Revoir notre modèle économique » plaide Yann Lucien, président de la CPME-NC

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Comment les entreprises se portent-elles en cette période post-Covid ? Les éclairages de Yann Lucien, président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises (CPME-NC) depuis le 22 janvier 2020, interrogé par nos partenaires d’Actu.nc.

Comment se portent les entreprises en cette période, marquée à la fois par le 2eréférendum et la fermeture des frontières jusqu’au 27 mars ?

Tous les secteurs ne sont pas impactés de la même manière. Le tourisme aérien et les agences de voyage sont à l’arrêt, le tourisme hôtelier est en grandes difficultés. En revanche, le commerce de vêtements, le commerce en général et le secteur de la réparation automobile s’en sortent pas trop mal. Ils ont retrouvé leur activité avant Covid, voire même pour certains un peu mieux.  Mais certains secteurs comme le bâtiment n’ont pas de perspectives à long terme. S’ils ne se tournent pas vers la rénovation, ils vont être en grandes difficultés dans les mois à venir.

Comment les entreprises réagissent-elles à la fermeture de frontières prolongée jusqu’au 27 mars ?

La fermeture des frontières 6 mois de plus ne touche réellement que l’activité touristique. Pour ces secteurs, c’est un coût supplémentaire à assumer. Mais aujourd’hui, ce qui m’inquiète, ce sont surtout toutes ces entreprises qui ont fait des reports de crédits en début d’année pour une période de 6 mois. Ce qui signifie que dès le mois prochain, elles vont avoir leurs premières traites à payer. Outre les reports de crédit, il y a le RUAMM, les reports de CAFAT qu’il va falloir rembourser au mois d’octobre/ novembre. Et en mars, il y a aura les premiers PGE à rembourser.

Je pense que pour certaines entreprises, cela va être compliqué, surtout pour celles qui n’ont pas repris une activité correcte ou pas réussi à retrouver leur chiffre d’affaires avant COVID. J’ai beau être de nature optimiste, il va falloir être vigilant et faire attention à ces entreprises en difficulté. Pour avoir rencontré la directrice de la BPI, j’ai appris que les banques s’étaient assouplies en matière de crédit. Aujourd’hui, les entrepreneurs ont la possibilité de faire un allongement de leur crédit pour pouvoir payer leurs traites. C’est quelque chose que les banques ne faisaient pas auparavant. Aujourd’hui, elles ont mis de l’eau dans leur vin, ce qui permet de trouver des solutions pour les entrepreneurs.

Certains estiment que cette crise est un tremplin. Partagez-vous ce point de vue ?

Oui, je pense que la crise est une opportunité pour développer de nouveaux business et se diversifier, que ce soit dans l’agriculture ou dans le recyclage… Prenons l’exemple du BTP. Si demain il n’est plus possible de construire de maisons neuves, autant se tourner vers la rénovation, la réhabilitation de sites. C’est l’occasion. Aujourd’hui, la BPI octroie des prêts aux hôtels, j’espère qu’ils vont servir à la rénovation de nos hôtels vieillissants. L’occasion nous est donnée de revoir notre modèle économique. C’est une opportunité qui se présente du fait 1) qu’on ne peut pas sortir du territoire et 2) qu’il y a de la trésorerie dans les ménages, car ils ont beaucoup économisé pendant la période du Covid. Donc on peut espérer qu’ils vont dépenser localement pour améliorer leur bien-être.

Les approvisionnements suivent-ils ?

L’approvisionnement aérien est compliqué.  Aujourd’hui, les rotations étant limitées au nombre de places d’hôtels pour les quatorzaines, on a forcément un manque d’approvisionnement aérien sur le territoire. Mais les approvisionnements bateau sont normaux, à part auprès de quelques fournisseurs en Chine ou aux États-Unis. On devrait retrouver une dynamique normale d’ici la fin de l’année pour ce qui est du fret maritime. Les délais sont un peu plus longs, mais les entreprises organisées parviennent à s’approvisionner.

La CPME-NC a-t-elle revu sa feuille de route compte tenu de ces aléas économiques ?

Non, je n’ai pas changé ma feuille de route. Celle-ci contient beaucoup d’objectifs, à commencer par l’apprentissage, priorité n°1. Ceci pour plusieurs raisons. L’échec scolaire est conséquent en Nouvelle-Calédonie. Donc une de mes priorités est de faire découvrir le monde de l’entreprise et l’entrepreneuriat à tous ces jeunes en échec scolaire et de les mettre dès 15 ans en apprentissage. L’accompagnement des entrepreneurs reste aussi une priorité. Aujourd’hui, on a 5 permanents à la CPME qui permettent d’accompagner nos adhérents dans le domaine juridique, fiscal, social, bancaire. Quelle que soit la difficulté qu’ils rencontrent, nos adhérents viennent nous voir et on leur trouve des solutions.

Quels sont les grands combats de la CPME en ce moment ?

La réforme du BTP, qui était demandée par nos organisations, n’a pas été mise dans le bon sens… On ne peut pas dire aux entrepreneurs d’utiliser des produits de normes françaises (NF) alors que 90 % de la production n’est pas aux normes françaises, mais aux normes australiennes, néozélandaises ou calédoniennes. Donc il aurait fallu voter le texte pour donner tout de suite les agréments aux produits calédoniens. On n’est pas contre la réforme, elle n’a simplement pas été mise dans le bon ordre. Le 2e sujet, c’est toutes les assurances qui vont avec. Pour faire simple, avant, un entrepreneur avait une assurance qui couvrait tous les corps de métiers. Aujourd’hui, on demande à tous les corps de métiers de prendre une assurance. Cela a un coût supplémentaire qu’on essaie en ce moment de chiffrer.

Côté fiscalité, vous défendez une réforme de la TGC. Mais laquelle ?

On nous a annoncé il y a quelques semaines que Christopher Gygès (membre du gouvernement en charge de l’économie et de la fiscalité, ndlr) voulait réformer la fiscalité et la TGC. Cela ne nous pose pas forcément de problème. Mais aujourd’hui, on ne peut pas dire au secteur des services de passer de 6 à 11 % de TGC, et ne pas toucher aux autres secteurs, en sachant que les services, c’est le transport aérien, l’automobile, l’hôtellerie, la restauration, les esthéticiennes, le coiffeur, etc. C’est aujourd’hui le secteur le moins impacté par la crise Covid-19. Si demain on met 5 points de plus de TGC sur ce secteur, l’effet escompté de la récupération des taxes derrière ne se fera peut-être pas si les consommateurs arrêtent de consommer. Nous sommes vigilants sur ce point. Nous avons envoyé au gouvernement un courrier contenant une proposition en inter-patronale, avec le MEDEF-NC et l’U2P-NC pour revoir cette fiscalité et cette TGC.

CPME-NC, MEDEF-NC, et U2PNC défendent depuis quelque temps la création d’une inter-patronale. Ce rapprochement patronal est-il réel ? 

On est dedans. Aujourd’hui, même si on n’a pas d’accord écrit sur l’inter-patronale, on se côtoie sur des sujets bien précis, comme la réforme fiscale et la TGC, un sujet majeur où il faut parler d’une seule voix auprès gouvernement. Un effort réel est fait de chaque côté pour concrétiser cet accord. Aujourd’hui, on n’a aucun intérêt à se disputer et être en conflit ouvert entre nous et vis-à-vis des gouvernances du territoire, car on ne peut pas se le permettre dans la conjoncture. Parler d’une seule voix, c’est ce qui va nous faire avancer.

Quels sont les projets présentés en inter-patronale au gouvernement ?

Sur la réforme de la TGC, on l’a abordé sous 4 sujets. Il manque de l’argent dans les caisses, mais ce n’est ni à la population ni aux entreprises de supporter ce manque de recettes. Donc tout d’abord, il faut faire des économies au niveau du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Ensuite, nous demandons une augmentation progressive des taux de TGC sur 3 ans pour retrouver le niveau fiscal nécessaire. Nous préconisons également de travailler sur d’autres pistes comme la TGC re-distributive qui permettrait de redonner du pouvoir d’achat au salarié, tout en fiscalisant les recettes qui nous manquent. Ainsi, si demain on rajoute 10 000 francs de pouvoir d’achat aux bas salaires, ce sont 33 000 personnes qui vont se retrouver avec cette somme dans leur porte-monnaie, et qui vont consommer au lieu d’épargne. Or qui dit consommation, dit paiement de taxes, dit recettes fiscales supplémentaires. Il y a d’autres pistes à étudier pour avoir du rendement au niveau de la TGC.

Quelles sont les prochaines échéances pour votre organisation ?

Finaliser la fiscalité et la réforme du BTP, un dossier sur lequel nous travaillons aussi en inter-patronale. Ces deux sujets nous prennent beaucoup de temps. Et avec la FINC nous travaillons aussi sur l’après-Covid : quelle sera la société de demain. Des éléments qui devraient sortir courant octobre et dont nous aurons l’occasion de reparler.