La fédération calédonienne du batiment et des travaux publics (FCBTP) revient sur l’année 2019. Le constat est lourd : la situation du secteur est inquiétante. Le point avec Silvio Pontoni, président de la fédération et Laurent Fontaine, l’un de ses trois vices-présidents.
Outremers360: Pouvez-vous dresser un bilan de l’activité du secteur BTP en 2019 ?
Silvio Pontoni: Malheureusement, le bilan est très alarmant. Tous les indicateurs le témoignent. La production de ciment a chuté de manière drastique, passant sous la barre des 80 000 tonnes annuel. Un chiffre que l’on n’avait pas connu depuis 22 ans. Pour rappel, la consommation en 2010 était de 166 000 tonnes. Il s’agit d’un indicateur phare. Sur le plan politique, le référendum de novembre 2018 et les provinciales de mai 2019 ont été deux échéances qui ont renforcé le sentiment de stagnation et d’attentisme de la part des investisseurs. Le marché se constituait auparavant de 60% de projets provenant de promoteurs privés et de 40% de chantiers générés par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, la part du privé a baissé. Le bilan 2019 s’est donc révélé conforme à ce que l’on avait prédit.
OM360: Quelle est la situation actuelle pour les entreprises du secteur ?
Laurent Fontaine: Les entreprises ont fait le dos rond. Elles ont tenté de garder leurs emplois. Mais nous notons de plus en plus de destruction d’emplois depuis ces deux dernières années. Si les postes les moins stratégiques pour les entreprises disparaissaient, on a aujourd’hui affaire à la suppression de postes phares. Il y a eu beaucoup de licenciements. On dénombre aujourd’hui 843 employeurs. Et chaque trimestre, une vingtaine d’entreprises mettent la clef sous la porte. Par le passé, les entreprises individuelles, sans salarié donc, étaient dans une courbe inversée par rapport aux grandes entreprises employant de la main d’oeuvre. Aujourd’hui, le nombre d’entreprises individuelles a commencé a chuté. 330 emplois ont été détruits en 2019.
OM360: Quelles sont les actions de soutien menées par la fédération en direction des entreprises du BTP ?
Laurent Fontaine: Nous essayons de rester soudés et solidaires, pour défendre nos intérêts au mieux. Chacun essaie de préserver ses emplois stratégiques, c’est-à-dire les employés les plus anciens et ayant bénéficier de formations. Le secteur a formé beaucoup de personnel. Cela a été difficile à obtenir, alors c’est une vraie problématique de les voir disparaître. Nous proposons une assistance juridique afin d’accompagner les gens au mieux et être à leur écoute. Nous nous faisons également porte-parole des problématiques auprès des institutions. Notre mission est d’informer au mieux de la situation actuelle.
OM360: Quelle a été la réponse du gouvernement calédonien face à cette situation ?
Silvio Pontoni: On a souvent entendu parler de retour à la normal. Alors qu’il s’agit d’une hécatombe dans le secteur. Ce n’est pas un retour à la normal ! Le message que nous portons depuis trois ans a été compris par les divers partis politiques durant leurs dernières campagnes électorales. Chacun d’entre eux a placé la relance du secteur du BTP dans ses priorités. Puisque selon l’adage bien connu, quand le BTP va, tout va. Pour eux, il ne s’agit pas d’un retour à la normal. Dans son rôle de se substituer à l’attentisme des acteurs privés, le gouvernement calédonien est assez dynamique. Même si on dénote des lourdeurs adminisratives, avec des problèmes de financement. Par exemple, le projet de doublage de la voie routière entre Nouméa et La Tontouta est ressorti. Mais il n’arrivera pas en 2020 ! Après, nous avons participé au grand débat sur la relance de l’économie.
Laurent Fontaine: Le gouvernement a passé assez rapidement des textes dédiés à la relance économique et à la simplification des lourdeurs administratives, sur lesquels nous avons été consultés. C’était l’un de leur premier axe de travail : faciliter la vie au quotidien des entrepreneurs. Il s’agit d’une avancée, marquante en 2019. Aussi, le gouvernement a décidé de relancer la cellule économique du BTP, la CelecoBTP, qui va nous permettre d’avoir une plus grande visibilité sur les grands projets.
OM360: Que promet 2020 ? Est-ce que des grands chantiers s’envisagent ?
Silvio Pontoni: Malgré la relance du cours du nickel, les métallurgistes investissent très peu. Vale avait prévu, jusqu’en 2021, la construction d’une usine de traitement des boues. C’est un projet de 60 milliards de CFP. Vale a un fort actionnariat brésilien. Et suite aux catastrophes là-bas, ils ont fait marche arrière.
Les appels d’offre avaient été lancés et les entreprises retenues. Maintenant, Vale veut se désengager de la Nouvelle-Calédonie. Du côté de la SLN, ça va mieux. Ils sont toujours à l’équilibre mais la situation reste fragile. L’usine du Nord (Koniambo Nickel SAS, ndlr), quant à elle, vivote avec des dettes énormes et des investissements au ralenti. Les opérateurs sociaux se retrouvent avec des difficultés. Les locataires n’arrivent plus a honorer leurs loyers. Du coup, ils ont divisé par trois la production de logements, passant de 800 à 900 logements par an, à 200 à 300 logements. Les autres programmes privés sont très difficiles à
sortir de terre. Il y a le projet du carré Rolland (galerie commerciale et logements au centre-ville de Nouméa, ndlr), prévu normalement avril-mai 2020. Mais il n’y a aucune certitude. C’est un projet de 16 milliards CFP. Dans les autres projets, il y a quelques petits programmes privés, des travaux routiers
d’amélioration, l’appel d’offre du centre de détention de Koné et des ouvrages en appels d’offres de la part de la Province des îles ou de la direction de l’equipement de la Province sud.
OM360: Qu’attendez-vous de la part du Gouvernement ?
Silvio Pontoni: Nous attendons surtout qu’il redonne de la confiance en la population. Nous sommes 270 000 habitants au dernier recensement, soit une progression de seulement 1%. 10 000 personnes ont quitté le territoire ces deux dernieres années. Et les échéances électorales pèsent sur le devenir de nos entreprises.
Laurent Fontaine: Il s’agit d’une accumulation…entre les élections municipales à venir et le deuxième referendum, beaucoup d’investisseurs privés sont dans l’attente. L’organisation de la relance est pour nous à échéance 2021. Il va falloir tenir en 2020 d’ici là. Et se concentrer sur la poursuite de la formation pour
monter les compétences. La fédération veut inciter les entreprises à envoyer leurs salariés en formation, grâce à des financements spécifiques comme le fond interprofessionnel d’assurance formation (FIAF).
Propos recueillis par Amélie Rigollet