L’Après en Outre-mer : Et maintenant ? par Carine Sinaï-Bossou, présidente de la CCI de Guyane

L’Après en Outre-mer : Et maintenant ? par Carine Sinaï-Bossou, présidente de la CCI de Guyane

Outremers 360 vous donne la parole et partage le sentiment des acteurs socio-économiques des territoires d’outre-mer, à la veille de la période post-pandémie. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Carine Sinaï-Bossou, présidente de la CCI de Guyane, de l’Association des CCI d’Outre-mer (ACCIOM) et chef d’entreprise.

En Guyane, la crise du coronavirus aura des effets difficilement mesurables. Il est probable que de très nombreux emplois seront détruits. Mais la pandémie du Covid-19 est l‘occasion pour la Guyane de montrer à la face du monde les ressorts secrets de sa résilience en assumant le changement. 

Dans mon entreprise, l’activité est quasiment à l’arrêt depuis le 14 mars, suite à la décision gouvernementale de fermer les établissements scolaires. Le transport scolaire représente en effet 80 % de mon chiffre d’affaires.  La décision du président de la CTG de ne pas rouvrir les écoles le 11 mai signifie pour les entreprises concernées : demande de prolongement du chômage partiel jusqu’au 4 juillet. La décision de confinement à compter du 17 mars a mis fin à 19 % du reste de mon activité (fermeture du CNES, annulation des transports touristiques…). Plus de 90 % de notre effectif s’est retrouvé en chômage partiel du jour au lendemain. J’attends donc la décision du Premier Ministre, car le chômage partiel renforcé n’est valable pour le moment que jusqu’au 1er juin 2020. J’essaye de limiter la casse.

Pendant toute cette période, la fonction de la CCI que je préside s’est trouvée renforcée. En effet, les chambres consulaires répondent à de vrais besoins d’information et d’accompagnement. De même l’expertise de nos élus et de nos cadres a été sollicitée. D’ailleurs, plusieurs parlementaires réclament plus de moyens financiers pour notre Chambre Consulaire.

Régulièrement, la CCIRG est saisie par CCI France en vue de réaliser des enquêtes flash. Nous avons d’ailleurs pris la décision de lancer notre première enquête dès le 20 mars. Les résultats ont été très instructifs. Malgré le matraquage médiatique, 32% des chefs d’entreprises ne connaissaient pas les mesures adoptées. A leur décharge, celles-ci évoluent régulièrement.

La fréquentation du site de la CCI Guyane a fait un bond de 30%.

Comment je me suis organisée : nous avons un groupe WhatsApp où, tous les jours, nous nous tenons informés de la situation des différentes sociétés, de l’évolution du COVID19 en Guyane et d’une hypothétique reprise. Le service de maintenance est toujours opérationnel. En effet, il faut démarrer les véhicules 1 fois tous les 2 jours pour éviter les mauvaises surprises à la reprise. Au service administratif, nous ne sommes que 2 ou 3, pas plus de 2 en même temps, dans des bureaux très éloignés et en respectant les gestes barrières. Les 2/5èmes des salariés sont présents depuis le début du confinement, les mêmes qu’en mars et avril 2017. Mais tous veulent reprendre le travail.

L’expérience aidant, j’ai fait le choix d’aménager les horaires de travail, car notre activité est difficilement compatible avec le télétravail. Et pour le management, dans mon métier, rien ne vaut le contact physique. J’ai toutefois découvert ZOOM et d’autres applications pour tenir les réunions à distance. Quel gain de temps et d’heures d’avion en moins ! On peut avancer sur les dossiers sans forcément se voir physiquement. C’est surtout vrai dans mes fonctions de président de la CCI GUYANE et de l’ACCIOM.

En quoi les interrogations sur l’avenir sont-elles vitales pour mon activité ? 

Je constate, dans le cadre de mes responsabilités professionnelles, que de plus en plus de personnes parlent de changement sociétal radical, mais aussi de modes de management, de mode de travail.  Au niveau de l’Europe, nous avons montré toutes nos limites. Nos solidarités ont très mal fonctionné. C’est du chacun pour soi. Au niveau de la France, nous avons réalisé qu’un virus nous a littéralement désorganisés. Mais nous ne sommes pas les plus mauvais, les EUA, la Grande Bretagne, l’Espagne et, plus proche de nous, le Brésil  ont étendu aux yeux du monde la faiblesse de leurs systèmes.

Carine Sinaï-Bossou (En Bleu), la Présidente de la CCI Guyane, à l'occasion d'une réunion sur les conséquences de la crise sanitaire

Carine Sinaï-Bossou (En Bleu), la Présidente de la CCI Guyane, à l’occasion d’une réunion sur les conséquences de la crise sanitaire

La seule question qui compte désormais est la suivante : quels enseignements tirer de cette crise ? Pour la Guyane, c’est tout notre modèle de développement et notre rapport de dépendance à l’Hexagone qui doit être repensé. Deux constats simples : nous sommes encore loin de l’autosuffisance alimentaire et la structure de notre emploi est déséquilibrée, 80 % de fonctionnaires pour moins de 20 000 entreprises, entrepreneurs ou artisans.

Quels chantiers économiques faut-il investir ?

A court terme, mais ces exemples sont significatifs, nous avons réussi à fabriquer localement des masques, des blouses, des visières, et du gel hydro-alcoolique. Et nos entreprises ont développé la vente à distance, le sans-contact, le numérique.

A plus long terme, et c’est fondamental, il faut impérativement développer une agriculture locale de qualité. La Guyane peut assurer sa propre autonomie alimentaire, voire exporter. Cela passe par la structuration des filières agricoles, animale et végétale. Il faut aider massivement l’installation d’agriculteurs afin d’atteindre l’autonomie alimentaire dans un contexte de forte augmentation de la population. Il faut également un soutien fort au secteur de la pêche.

Autre vecteur fort de développement, la CCIRG et la Chambre de Métiers et de l’Artisanat sont engagées massivement dans la formation professionnelle. Nous créons les filières et les BTS en concertation avec les employeurs locaux. Ce travail doit être poursuivi. Nous voyons aujourd’hui que tous les emplois sont nécessaires à l’économie.

Les dispositifs fiscaux sont inadaptés. 

Ils ont été massivement contestés par les socioprofessionnels guyanais lors de l’adoption de la loi de finances pour 2020. Aussi, il convient de poursuivre la poursuite de l’abattement de 80% sur les bénéfices de la « ZFANG », en l’élargissant à des pans entiers de notre économie et en y réintroduisant les secteurs d’activité exclus par les dernières dispositions, notamment les prestations de services aux entreprises, l’économie sociale et solidaire, le conseil et appui aux entreprises privées et du secteur public, les bureaux d’études et d’ingénierie, les activités de formation professionnelle et d’acquisition de compétences.  Les secteurs médical, sanitaire et social devront également en bénéficier. Enfin, il faut prolonger le bénéfice du dispositif ZRR aux entreprises créées depuis le 1er janvier 2019.

Essentiels en Guyane, les secteurs productifs du bois, de la mine et de l’agro-alimentaire sont sous dotés en équipements de filière. Leur structuration doit être une priorité. Il faut mettre en place en Guyane un centre technique pour la filière agro-alimentaire. A ce jour une entreprise qui veut développer un nouveau produit doit passer par une structure d’appui aux Antilles, avec un surenchérissement des coûts et des temps d’élaboration.

Secteur également prioritaire en Guyane : l’ingénierie financière, indispensable pour aider les entreprises et les collectivités territoriales à monter de bons dossiers.

La pandémie a mis en lumière des attitudes nouvelles en Guyane. 

Les solidarités ponctuelles sont un mode complémentaire qui assure un équilibre social harmonieux. La crise du Covid-19 a révélé ce qu’il y a de plus mauvais chez l’humain, la spéculation, la flambée de certains produits jusqu’à l’intervention de mesures autoritaires prises par l’Etat, mais aussi de meilleur. Plusieurs propriétaires fonciers ont annulé des loyers, les couturières se sont mises à fabriquer des masques lavables pour tous, les producteurs de légumes ont distribué gratuitement leurs productions… Les bons exemples sont nombreux. Il faut aussi les saluer.

L’organisation de nos institutions est-elle en cause ? La crise peut-elle la modifier ?  

Cette question exige un débat apaisé.  Dans le contexte de la crise, toute attaque contre nos institutions ou nos élus ajoutera la crise à la crise. En somme, la pandémie du Covid-19 est l‘occasion pour la Guyane de montrer à la face du monde les ressorts secrets de sa résilience en assumant le changement.

Le changement peut faire peur, peur parce qu’il y a l’inconnu. Cela n’est pas nouveau, la question est existentielle. Mais pour y parer, il faut s’y préparer, débattre, envisager différents scenarii, agir et justement ne pas avoir peur, avoir confiance en nous.

Biographie : 

Carine SINAI-BOSSOU 47 ANS –Mariée -2 enfants

Gérante d’Autocar-Services– Les Cars Sinai depuis sa création, en 1995 – 22 salariés- 34 autocars et DAF de 7 entreprises de transports – 65 salariés.

Présidente de la CCI Guyane depuis septembre 2017 -198 salariés

Présidente de l’ACCIOM depuis octobre 2019

Suppléante du Député de la 1ère circonscription de Guyane

Secrétaire du STCG (Syndicat des Transports en Commun de Guyane)

Ancien administrateur MEDEF

Chevalier de l’Ordre du Mérite

KAT_20.Carine.Sinaï.OK