Guyane : L’acoupa rouge, poisson menacé par un trafic de vessies natatoires

Guyane : L’acoupa rouge, poisson menacé par un trafic de vessies natatoires

AFP/ARCHIVES

Appréciée en Chine, la vessie natatoire de l’acoupa rouge, présent dans les eaux guyanaises, a vu sa valeur marchande explosée. De quoi attirer la convoitise de pêcheurs clandestins brésiliens.

Dans les eaux guyanaises, l’acoupa rouge, poisson argenté aux nageoires rouges est en danger : sa vessie natatoire, organe qui lui permet de flotter, est un aliment très prisé des Chinois dont certains lui prêtent des vertus aphrodisiaques et qui fait l’objet d’un important trafic.

Entre 170 et 180 euros le kilos frais de vessie natatoire

C’est une petite poche gazeuse, un peu transparente, qui suscite la convoitise. Séchée et réduite en poudre, elle est « très appréciée sur le marché asiatique, ça fait partie des sept plats de l’empereur de Chine, c’est un peu l’équivalent de la truffe en Chine », « un signe extérieur de richesse », explique Bruno Morin, directeur adjoint à la Direction de la mer à Cayenne. On prête notamment à cette vessie natatoire des vertus médicinales, voire aphrodisiaque. Elle est utilisée pour faire des soupes, « aromatiser les plats », « servir de liants » pour la bière ou même dans les cosmétiques, ajoute M. Morin.

« Quelques espèces sont emblématiques parce que particulièrement onéreuses ou appréciées du marché asiatique », ajoute-t-il. C’est le cas de l’acoupa rouge, poisson à chair blanche ou rosâtre qui vit dans les fonds sableux des côtes de Guyane. Très souvent inscrit au menu des restaurants, il se déguste en papillote ou en filet. Mais c’est désormais pour sa vessie qu’il est recherché. En 2014, « la vessie de l’acoupa rouge était à 40-45 euros le kilo frais, mais aujourd’hui, on est plutôt à 170-180 euros », et jusqu’à plus de 1.000 euros le kilo de vessies séchées. De quoi attiser l’appétit des pêcheurs clandestins du Brésil ou du Suriname voisins, souvent armés, qui viennent dans les eaux guyanaises tirer profit de cette « cocaïne des mers », qu’ils exportent ensuite vers le marché asiatique. Régulièrement, les autorités interceptent des « tapouilles », bateaux de pêches brésiliens, avec plusieurs kilos de vessies, comme en juin où 12 kg de vessies natatoires ont été saisies sur une embarcation. On estime qu’il faut 30 kilos d’acoupas pour obtenir un kilo de vessies frais.

Auparavant, c’était l’acoupa MacDonald, dans le Golfe de Californie, qui était ciblé, mais il a été surpêché et la convention des Nations unies sur l’environnement l’a inscrit sur la liste de Washington des espèces qui ne peuvent plus être pêchées ni commercialisées. « Du coup, il y a un report vers l’autre espèce qui a une vessie natatoire similaire, l’acoupa rouge de Guyane », précise Damien Ripert, chef d’état-major de la lutte contre l’orpaillage et la pêche illicites en Guyane. C’est une « ruée », confirme Nicolas Abchée, armateur guyanais, « mais il faut que le marché profite aux Guyanais » et non à la concurrence étrangère, dit-il. « Les Américains considèrent le trafic de vessie natatoire au même titre que le trafic de drogue, il faut qu’on y fasse attention en Guyane », insiste-t-il, car « ça nous porte préjudices ». « Il ne faudrait pas couper la tête de la poule aux œufs d’or », abonde Michel Nalovic, ingénieur halieutique au Comité des pêches de Guyane, qui juge la situation de l’acoupa rouge « alarmante », avec une « baisse de 27% des débarquements ».

Une volonté de légaliser cette pêche

Pour l’instant, la vente de vessies natatoires n’est pas déclarée. « Avant, les pêcheurs considéraient la vessie comme de la ‘godaille’, c’est-à-dire la partie de pêche qu’ils gardent pour eux et qui ne va pas être commercialisée », explique M. Morin. « Mais désormais, entre 70 et 80% de la rémunération nette du pêcheur guyanais provient de la vessie natatoire », explique-t-il. Des sommes qui ne figurent pas dans les chiffres d’affaire des pêcheurs. « Notre volonté c’est de faire de la vessie une force économique pour la Guyane. Puisque les gens gagnent de l’argent avec ça, autant qu’ils le fassent légalement » pour pouvoir « renouveler leur flotte, moderniser les outils de travail, améliorer leurs conditions de travail », dit-il.

Les pratiques de pêche sont aussi décriées. « On a des flottilles étrangères qui rejettent les poissons, moins rentables, et garde uniquement les vessies », explique M. Nalovic. « C’est un peu le même problème qu’avec des ailerons de requins à une époque dans certains océans du globe », confirme Bruno Morin. Selon lui, « on va vraiment vers un risque d’effondrement de la ressource et un classement en convention de Washington« , avec « tout l’impact économique et social que ça pourra avoir » pour les pêcheurs guyanais.

Avec AFP