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Face aux effets néfastes de la pêche industrielle, l’aquaculture apparaît comme une planche de salut et son potentiel tant en terme économique qu’écologique est de plus en plus vanté par les spécialistes et les autorités en charge de ce secteur. Dans nos territoires ultramarins cernés par la mer, quelles réalités, quelles perspectives de ce secteur de la pêche? Eléments de réponse avec l’expertise de Grégory Aribo, doctorant en géographie et Pascal Saffache, professeur des Universités.
Sachant que l’humanité pourrait compter 9,7 milliards d’individus en 2050 (ONU, 2019), nourrir la planète deviendra l’une des grandes problématiques des prochaines décennies. La surexploitation des terres agricoles, gorgées d’intrants chimiques, implique que 12 millions d’hectares sont annuellement dégradés ; de nombreuses études confirment en outre la stagnation des rendements et l’amenuisement global de la qualité des sols agricoles. Si on ajoute à cela une réduction progressive des SAU (surfaces agricoles utiles), des mesures drastiques devraient être prises pour mieux gérer les ressources susceptibles de soutenir le développement humain.
Depuis l’avènement des « navires usines », la pêche semble pouvoir répondre à la demande sans cesse croissante de nourriture, et particulièrement de protéines animales.
Fort de ses 360 700 000 km², l’Océan mondial a longtemps été perçu comme inépuisable. La pêche traditionnelle qui était majoritaire autrefois, a très vite été rattrapée par une « pêche business », plus équipée et beaucoup plus concurrentielle. Il en résulte un amenuisement d’autant plus grave de la ressource halieutique que les volumes de capture stagnent années après années ; si en 1950 les volumes pêchés avoisinaient 17,5 millions de tonnes, quarante ans plus tard les pêcheries mondiales hyper sophistiquées ne totalisent que 93,3 millions de tonnes (FAO).
Pillant et raclant les fonds marins dans leur quête éperdue de ressources, les hommes ont progressivement dégradé leur milieu. Cette situation a conduit à une réflexion profonde au sujet des méthodes permettant d’obtenir des protéines animales de qualité.
Le salut pourrait venir de l’aquaculture. Dans sa définition la plus simple, l’aquaculture est considérée comme l’ensemble des activités de culture de plantes et d’élevage d’animaux en eauc ontinentale ou marine en vue d’améliorer la production (INSEE). Si les poissons et crustacés sauvages sont menacés, la solution réside dans l’élevage. La progression inexorable de ce secteur l’a propulsé parmi les activités économiques mondiales les plus rentables ; avec une progressionannuelle de 8 %, « l’aquaculture est la source de protéines animales qui connaît la plus forte croissance à l’échelle mondiale » (FAO). De nombreuses organisations internationales sont favorables à son essor, car l’aquaculture est synonyme de sécurité alimentaire. Pour de nombreux pays émergents l’aquaculture participe activement au maintien des emplois dans des régions difficiles d’accès, et où la population n’avait pas accès aux protéines animales.
Non seulement l’aquaculture permet de lutter contre la faim dans le monde, mais elle permet aussi de réduire la pression anthropique sur l’écosystème marin. Ce mode d’élevage qui existe depuis des siècles est donc promu aujourd’hui au rang de panacée. Il parait même nécessaire d’investir dans ce secteur pour répondre à la demande en produits de la mer. Celle-ci s’avère être la meilleure alternative à la surpêche, puisque 30% des espèces sont considérées aujourd’hui comme surexploitées.
Le cas des Antilles Françaises
Positionnés à 7000 km environ de la France hexagonale, les Antilles-Françaises (Martinique, Guadeloupe, St Martin, St Barthélémy) comptabilisent un peu plus de 145900 km² de ZEE (Zone économique exclusive). Alors que le monde plébiscite ce type d’élevage, celui-ci n’arrive pas à s’imposer aux Antilles. Aujourd’hui, une île comme la Martinique avec un espace maritime de 48 900 km², ne dispose que de deux installations viables ; peut-on dès lors parler de crise aquacole ?
A bien des égards il serait possible de répondre par l’affirmative, cependant il est important de noter que la filière n’est pas forcément vouée à l’échec, car plusieurs acteurs tentent de développer et de soutenir le secteur : la Collectivité Territoriale de la Martinique, l’Ifremer, le comité des pêches et des élevages marins de Martinique, etc.
Il suffit de se rappeler les grèves de février 2009 en Martinique et en Guadeloupe et, plus récemment, celles de la Guyane, pour que la population comprenne que les entreprises du secteur primaire sont essentielles et qu’atteindre l’indépendance alimentaire devrait désormais être notre principal objectif.
Il ne serait donc pas inutile d’inverser la tendance qui consiste à tout importer, en investissant massivement dans des entreprises locales, susceptibles de répondre aux besoins alimentaires primaires.
Pour des populations vivant sur des territoires entourés d’eau, l’aquaculture semble apporter une sécurité alimentaire (tant au niveau de l’approvisionnement, qu’en termes de qualité sanitaire) débouchant de surcroît sur une meilleure gestion des ressources. Reste à savoir pendant encore combien de temps les Antilles françaises bouderont la révolution bleue qui est en marche à l’échelle mondiale.
Par Grégory ARIBO, doctorant en Géographie et Pascal SAFFACHE, Professeur des Universités