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Alors que l’aquaculture se présente comme une solution efficace pour assurer la sécurité alimentaire des populations, elle doit répondre à certains défis. Tout comme l’agriculture intensive, l’aquaculture emploie des méthodes de plus en plus agressives pour maximiser ses rendements. Comment l’aquaculture peut-être à la fois productive tout en respectant les écosystèmes naturels et être économiquement viable. Eléments de réponse avec cette expertise de Grégory Aribo, doctorant en géographie et Pascal Saffache, professeur des Universités.
Une gestion raisonnée des stocks halieutiques parait aujourd’hui indispensable pour préserver les générations futures de la surexploitation de la biodiversité marine. Alors que la population mondiale atteindra 9 milliards d’individus d’ici à 2050, la pêche de capture (la pêche la plus traditionnelle), est vouée à un épuisement de ses stocks et particulièrement de certaines espèces (thon rouge, saumon de l’Atlantique, mérous, etc.). Les tonnages issus de cette pêche étant pourtant assez stable, c’est à l’aquaculture que l’on doit la croissance continue de l’offre de poissons destinée à la consommation humaine. Les enjeux de l’aquaculture sont donc importants. Que se passerait t-il, en effet, si la population mondiale ne trouvait plus de poissons pour se nourrir ? Il parait donc indispensable de maîtriser l’approvisionnent de demain.
Un code de conduite pour une pêche responsable
Planifier, c’est disposer d’une vision sur le long terme ; c’est la raison pour laquelle, dès le début des années 1990, l’ONU, à travers la FAO, a incité les pays producteurs à se conformer à une gestion durable des ressources halieutiques. Après plus de deux ans de concertation, l’ONU a adopté en 1995 un code de conduite pour une pêche responsable. Ce code est, en réalité, un consensus qui vise la mise en place d’une politique rationnelle de capture et d’élevage. Les directives proposées ne contraignent nullement les États, mais ont pour mission d’influencer leurs législations. 24 ans plus tard, de nombreuses pêcheries se disent responsables et assument des prises de positions en faveur de la durabilité. S’il est établi que des efforts ont bien été faits pour réduire le gaspillage (les pertes du secteur de la pêche représentaient 35 % des prises mondiales, et 9 à 15 % de ces pertes étaient dues aux rejets directs de poissons (en mer) jugés impropres à la commercialisation), de nombreux rejets subsistent encore au sein des pêcheries de captures ; l’aquaculture pourrait donc jouer un niveau.
Selon la FAO, en 2016, il existait 37 pays qui élevaient davantage de poissons qu’ils n’en capturaient. Ce chiffre ne paraitrait pas important, si ces états ne regroupaient à eux seuls la moitié de la population mondiale.
Tout comme l’agriculture intensive, l’aquaculture emploie des méthodes de plus en plus agressives pour maximiser ses rendements, et il paraît aujourd’hui difficile d’arrêter l’intensification de la production, en dépit des risques sanitaires encourus, des impacts potentiels sur le milieu, et plus globalement de l’impact du changement climatique.
Des inquiétudes climatiques
L’aquaculture est une activité très sensible, tant aux changements climatiques brutaux, qu’aux évolutions à long terme. Que ce soit en eau douce ou en pleine mer, le défi est de taille ; le réchauffement des océans entraine un blanchissement des coraux, qui aboutira inéluctablement à un appauvrissement du biotope, de la biomasse, et au final de la biocénose dans son ensemble. Si on ajoute à ces mécanismes, la surpêche, les épizooties, les espèces invasives, etc. il y a de quoi s’interroger sur l’avenir de cette activité et, plus globalement, sur celle de la pêche. L’aquaculture multitrophique intégrée pourrait donc être un élément de réponse (AMTI).
Considérée comme une révolution dans l’élevage, l’AMTI a pour objectif de faire évoluer au sein d’un même espace des espèces différentes, sans que celles-ci ne le détériore, car chaque individu joue un rôle précis. Il s’agit en réalité d’une méthode d’élevage qui se rapproche des conditions de vie sauvage. L’idée est donc de passer d’une aquaculture intensive, ou semi-intensive, basée sur une
espèce, à une aquaculture extensive, plurielle sur le plan spécifique, planifiée et respectueuse de l’environnement. Cette « nouvelle » aquaculture, aurait-elle sa place dans les Antilles-françaises ?
Un regard sur la Martinique
Dans un contexte de grande fragilité sociale et économique, l’aquaculture devrait être un relai de croissance. En 2014, l’IEDOM soulignait qu’en dépit des efforts de structuration, la production halieutique locale se situait largement en deçà de ce qu’il était possible d’espérer pour combler les écarts avec les produits importés. Au niveau de l’aquaculture les résultats étaient encore plus
décevants, puisque selon l’IFREMER 40 tonnes ont été produites en 2017, soit 40 % de moins qu’en 2016.
La filière aquacole locale s’appuie historiquement sur l’aquaculture d’eau douce, avec la culture d’écrevisses comme produit phare. Le scandale sanitaire de la contamination à la chlordécone a redistribué les cartes de l’élevage, au profit d’une aquaculture marine.
Cinquante ans après ses débuts, force est de constater que l’aquaculture n’est pas parvenue à s’imposer localement. Si l’aquaculture d’eau douce ne compte plus que deux professionnels (alors qu’ils étaient près de 50 en 1989), il en est de même pour l’aquaculture marine où, là encore, seuls deux fermes subsistent. La situation locale est donc totalement asymétrique, puisque le potentiel de
production pourrait atteindre 300 tonnes/an, pour une population de surcroit totalement captive.
Miser sur un mode de production permettant une plus grande sécurité alimentaire, avec une méthode de planification qui a fait ses preuves, parait aujourd’hui indispensable pour des territoires sans cesse dépendant des produits d’importation…