Économie en Outre-mer : Consommons « Tourisme local »

Économie en Outre-mer : Consommons « Tourisme local »

Bien que la date du 11 mai 2020 lance la première phase de déconfinement progressif et sous
conditions, cela ne signifie en rien un retour à la normale telle que nous l’avons connue avant la pandémie.

Le tourisme local constitue un marché qui devrait retenir toute notre attention afin de soutenir nos acteurs touristiques, maintenir les emplois, encourager les entrepreneurs qui participent à la différenciation de notre destination, assurer le renouveau de nos produits pour répondre aux nouvelles attentes des clientèles et nous faire (re)découvrir notre archipel autrement. Cette consommation endogène s’avère dès aujourd’hui fondamentale si nous voulons assurer un redémarrage progressif de l’activité touristique.

Le déconfinement sera adapté à la situation des différents territoires de l’Hexagone qui ne sont pas tous touchés de la même façon par l’épidémie. Pour l’instant, les départements sont donc classés en rouge ou en vert, ce qui ne facilite pas les échanges et décourage toute velléité de déplacements fluidifiés. D’ailleurs, ces déplacements sont circonscrits à un périmètre de 100 kms autour du domicile. Les bars et restaurants doivent rester fermés jusqu’à l’évaluation de la situation avant de lancer la seconde phase du déconfinement à partir du 02 juin. Il en va de même pour l’accès aux plages et aux sites naturels.

Les frontières restent encore fermées. Les frontières européennes quant à elles pourraient rouvrir à l’été, mais d’autres destinations internationales n’envisagent aucune réouverture avant septembre. En France, le secrétaire d’Etat au tourisme et le ministre de la santé déconseillent tous deux, pour le moment, l’achat de billets d’avion et la planification des prochaines vacances estivales…

A ce jour, en Guadeloupe, les compagnies aériennes n’opèrent qu’au titre du principe de la continuité territoriale. Quelques vols hebdomadaires sont maintenus par Air France vers l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle ; Air Antilles assure des liaisons vers les îles de l’archipel guadeloupéen et Air Caraïbes celles vers Saint-Martin et Saint Barthélémy, cette situation ne devant guère évoluer avant le 02 juin, date annoncée pour la seconde phase du déconfinement.

L'aéroport de Pointe-à-Pitre, comme tous les aéroports en Outre-mer, n'accueille plus de passagers

L’aéroport de Pointe-à-Pitre, comme tous les aéroports en Outre-mer, n’accueille plus de passagers

Les vols moyens et longs courriers pourraient reprendre à partir du 12 juin sous conditions. Les plages devront restées inaccessibles jusqu’au 02 juin. C’est une crise sanitaire qui n’est pas encore maîtrisée, qui peut rebondir et prendre des directions nouvelles. L’état d’urgence est maintenu en France jusqu’au 24 juillet 2020. Les voyageurs seront placés en quatorzaine avec isolement obligatoire à l’exception de ceux en provenance de l’Union européenne, de la zone Schengen ou du Royaume-Uni.

Face à tous ces obstacles, il ne s’agit pas de rester les bras croisés et de compter sur un renouveau qui viendrait de l’extérieur nous apporter des solutions toutes faites que nous pourrions peut-être difficilement appliquer tant nous aurions longtemps attendu. C’est dans ce schéma volontariste que ce sont inscrits les Présidents des Collectivités Territoriales de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin lorsqu’ils ont sollicité le Président de la République à « rouvrir les bars, restaurants et commerces dès le 11 mai, à défaut, un grand nombre d’entreprises se retrouveraient en grave difficulté ». Le gouvernent s’apprête à faire droit à la demande de la Collectivité de Saint Barthélémy visant à la « réouverture totale de l’île » à partir du 11 mai.

En Outre-mer, le tourisme est sinistré. De nombreuses incertitudes planent encore sur les modalités de gestion de la sortie de confinement, ce qui plonge nos populations dans une telle perplexité qu’elles ne parviennent pas à se projeter dans un « retour à la vie normale » à court ou moyen terme. Ce confinement contraint nous offre alors une excellente occasion de valoriser le tourisme de proximité auprès de nos résidents.

Construire une offre touristique locale audacieuse, inventive, différente et … sanitairement irréprochable !

C’est certainement le préalable à toute ambition de promotion d’une offre touristique aussi attractive puisse t-elle être : les conditions sanitaires du produit ou du service proposé doivent être irréprochables pour regagner la confiance des visiteurs. Plusieurs opérateurs touristiques se sont lancés dans la création d’une charte spécifique visant à formaliser les bonnes pratiques sanitaires et à rassurer le client. Les premiers en France à s’y engager sont les campings qui ont créé et signé une charte sanitaire commune dès le 14 avril dernier. Puis les grands groupes hôteliers ont suivi, notamment Accor en France mais aussi Marriot ou Hyatt pour ce qui est des groupes hôteliers internationaux. Les plateformes de réservation en ligne s’y mettent, telle AirBnB qui vient de lancer « Ekoclean », un protocole global d’hygiène et de propreté construit en partenariat avec des experts en matière d’hospitalité et d’hygiène médicale mettant en avant le respect de des normes écologiques dans les produits utilisés.

L'île de Saint-Barthélemy dans le Antilles a sollicité une levée quasi-totale du confinement le 11 mai

L’île de Saint-Barthélemy dans le Antilles a sollicité une levée quasi-totale du confinement le 11 mai

Les chartes sanitaires concernent aussi des destinations entières, telle le Portugal qui déploie le label « Clean and safe » pour les opérateurs touristiques qui prennent en compte toutes les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19. A ce titre, il est étonnant que la France, première destination touristique mondiale, n’ait encore rien diffusé en ce sens ! En outre, lorsque cette charte sanitaire nationale sortira (enfin) sera t-elle adaptée à nos spécificités outre-mer ? Notons, en passant, que beaucoup de ces normes et labels correspondent peu aux caractéristiques de nos climats ou habitudes locales. Pourquoi ne pas adapter alors ces chartes nationales et internationales à nos caractéristiques « tropicales » et inciter les acteurs touristiques à s’y conformer ?

En Guadeloupe déjà, un consortium s’est constitué pour créer un test salivaire de dépistage rapide. Si les tests en cours sont concluants, un déploiement massif pourrait être envisagé dès ce mois de mai. Nous avons des professionnels engagés et de grande qualité sur nos territoires ultra marins. Faisons-nous confiance et prenons la responsabilité de nous-mêmes. En effet, les garanties sanitaires sont indispensables pour faire face à la grande inquiétude des visiteurs pour leur santé personnelle, et tout cela est bien normal. La fragilité de l’industrie touristique est désormais affichée : fragilité liée au fait que le passager peut changer d’avis bien plus vite que les entreprises ne peuvent moduler la gestion de leurs contrats à terme et autres frais fixes. Les voyageurs voyageront à nouveau parce qu’ils le font toujours, mais l’activité touristique devra beaucoup faire pour s’adapter.

Une offre plus inscrite dans l’air du temps

Deux écoles s’opposent sur ce terrain. La première est promue plutôt par des industriels du tourisme qui ont réalisé des investissements importants sur un modèle touristique classique ou de masse. Ceux-là n’ont aucun intérêt à voir la consommation touristique évoluer et donc, prônent un retour à la consommation identique à l’avant-crise, mettant en avant l’idée selon laquelle nous ne pouvons aller à l’encontre du progrès (il reste encore à définir ce que l’on entend par progrès…). Cette éventualité semble possible sur les 2 à 3 années à venir tant l’envie de voyager, de retrouver ses habitudes « d’avant » pourra paraître rassurante(s), voire sécurisante(s), pour une large partie de la clientèle touristique encore peu convertie à une conscience durable.

L’autre école est celle portée par le très charismatique Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du monde. Ce dernier a rédigé une longue analyse publiée par le Think Tank Terra Nova dans laquelle il croit fondamentalement que « le voyage retrouvera à terme une forme de sagesse ». En somme, un type de tourisme qui correspondrait bien à nos territoires d’outre-mer qui ne sont pas « dimensionnés » pour accueillir un tourisme de masse excluant la population locale avec le risque de rejet du touriste…

Une pension de famille en Polynésie

Une pension de famille en Polynésie

Cette vision « durable » est aussi prônée au niveau mondial par l’Organisation Mondial du Tourisme, laquelle a publié le 31 mars 2020 un « appel à l’action pour atténuer l’impact socioéconomique du COVID-19 et accélérer le redressement ». Ce sont 23 recommandations qui sont mises en exergue par cet organisme mondial du tourisme dont le dernier chapitre « préparer demain » laisse une large place au tourisme durable et responsable. Le 28 avril dernier, ATD Tourisme, qui regroupe près de 130 professionnels du tourisme français, a publié un manifeste qui prône également une accélération de la mise en place des objectifs du tourisme durable. Cette association d’envergure veut  »imaginer un véritable plan de transformation du tourisme en lieu et place d’un plan de relance qui nous ferait repartir comme avant ».

Le dernier pilier de ce manifeste prône un tourisme qui a du sens, plus durable, plus responsable, plus équitable aussi. En Guadeloupe, pléthore de petits entrepreneurs imaginent sans relâche de nouveaux produits et services qui caractérisent la destination. Par exemple, pendant cette crise du Covid-19, le réceptif My Otantik Travel a su faire preuve d’audace et d’inventivité pour proposer régulièrement des chasses aux trésors virtuelles dans les îles de Guadeloupe avec un réel succès. L’entreprise de Tuk-Tuk qui proposait des visites de Pointe-à-Pitre principalement aux croisiéristes, a repositionné son offre vers la livraison de produits pays en mettant en valeur les savoir-faire locaux. Le Conseil Départemental devrait s’en inspirer pour construire des produits touristiques sur les dizaines de sites naturels et patrimoniaux dont il est propriétaire et dont la plupart se meurt…

Pourquoi ne pas créer des pass-découvertes pour les résidents afin qu’ils connaissent mieux la destination et ne pas impliquer les prestataires locaux de qualité dont la destination regorge, que ce soit en offre de parcs et jardins, de musées, de découvertes de la flore marine et terrestre, du littoral, de notre culture, de l’artisanat et de l’art, et de notre patrimoine ? D’ailleurs n’est ce pas le moment de restructurer nos labels « ville d’art et d’histoire » que Pointe-à-Pitre et Basse-Terre ont obtenu et qui ne sont guère promus ? Et que dire du spiritourisme (tourisme des spiritueux tels vins, cognacs, rhums…), encore embryonnaire en Guadeloupe alors que l’archipel compte huit distilleries produisant l’un des meilleurs rhums agricoles au monde.

La Martinique a développé le spiritourisme

La Martinique a développé le spiritourisme

Ces pass seraient une incitation à « consommer local » en proposant des prix attractifs pour convenir aux bourses amaigries en ces temps de crise. En incitant nos résidents à pratiquer ce tourisme local, nous pourrons en faire des ambassadeurs de notre destination vers les clientèles touristiques qui reviendront quand les déplacements aériens seront à nouveau possibles.

Une étude de Qualistat montre qu’un tiers des Guadeloupéens a effectué un voyage …. en Guadeloupe et n’hésite pas à « consommer comme un touriste » en se rendant à l’hôtel ou en gîtes, dans nos restaurants, à s’essayer à de nouvelles activités de découvertes proposées par les opérateurs touristique de l’archipel. Continuons à encourager ce tourisme local.

Il y a tant de choses à faire, à voir à inventer sans plus attendre. Faisons de cette crise un moment crucial pour réinventer ce que nous désirons vraiment offrir à nous-mêmes et à nos visiteurs. Il ne peut y avoir de tourisme réussi sans adhésion de la population.

Caroline Romney, Consultante en Tourisme au Cabinet Aiguillage