©Bruno Levinnois & PYF Spotters
Deux nouvelles compagnies aériennes internationales, French Bee et United Airlines, ont inauguré en 2018 leur desserte de Tahiti. Ces nouveaux arrivants ont déjà permis une augmentation du nombre global de passagers et provoqué une révision à la baisse du prix des billets. En 2019, c’est une nouvelle compagnie locale, Islands Airlines, qui viendra encore bousculer le paysage aérien de la Polynésie française. Le tourisme retrouve des couleurs. Un dossier de Caroline Perdrix pour notre partenaire Dixit Magazine.
French Bee a inauguré la liaison Paris Orly-Papeete via San Francisco le 12 mai 2018, avec un Airbus A350 flambant neuf qui effectue trois rotations par semaine. « Nous avons d’excellents retours de la part des acteurs polynésiens du tourisme, notamment de la part du secteur de la petite hôtellerie. Nous avons trouvé notre public, le marché ciblé est atteint », s’était réjouit Sophie Hocquez, directrice commerciale de French Bee (Tourmag, 26 septembre 2018). La compagnie low cost du Groupe Dubreuil (Air Caraïbes) atteindrait un taux de remplissage de 80 % ; c’est le principal responsable, sur le troisième trimestre 2018, d’une hausse du trafic de 12,6 % sur l’aéroport de Tahiti-Faa’a. French Bee prend ainsi la deuxième place sur l’axe Paris-USA-Tahiti, derrière Air Tahiti Nui et devant Air France.
Le 30 octobre dernier, c’est un Boeing 787-9 Dreamliner de United Airlines en provenance de San Francisco qui se posait sur le tarmac de Tahiti-Faa’a, juste après avoir annoncé que la desserte, initialement prévue pour les cinq mois de la basse saison touristique, serait étendue à l’année entière à raison, là aussi, de trois fréquences hebdomadaires.
Face à ces nouveaux concurrents dont les tarifs d’appel sont parfois inférieurs de moitié aux leurs, Air Tahiti Nui et Air France ont déjà réagi. La compagnie polynésienne, qui avait décidé du renouvellement intégral de sa flotte en 2015, a réceptionné en octobre 2018 le premier de quatre Boeing 787-9 Dreamliner, et les trois autres seront mis en service d’ici la fin 2019 (Le second de sa nouvelle flotte a été mis en service début 2019). La compagnie table sur la nouvelle configuration de ses cabines, plus haut de gamme, pour affronter la concurrence, notamment sur le marché nord-américain. Dans le même temps, les deux compagnies historiques ont pratiqué des baisses de prix, proposant de nouvelles formules à options payantes calquées sur les low cost.
Entre janvier et octobre 2018, sur la ligne Paris-Papeete, les prix des billets vendus en agence de voyages ont baissé de 17 % tous opérateurs confondus. Air New Zealand et Hawaiian Airlines proposent également des promotions. Air Tahiti Nui serait en train d’étudier une desserte asiatique comme Hong Kong ou Singapour, et on parle d’une éventuelle ligne Norwegian, via sa filiale argentine, entre l’Asie et l’Amérique du Sud. Mais, dans un contexte de fluctuation des cours pétroliers, les contraintes des transporteurs aériens peuvent changer rapidement.
Si l’offre de sièges vers la Polynésie a progressé d’environ 40 %, soit un total de 5 000 à 6 000 sièges par semaine, l’offre de chambres ne progresse pas aussi vite, malgré les incitations du Pays. En attendant, après l’euphorie provoquée par ces nouveaux arrivants, les transporteurs aériens pourraient déchanter. Pour Michel Monvoisin, P.d-g d’Air Tahiti Nui, aucun ne gagnera de l’argent cette année mais la bonne santé financière affichée depuis cinq ans par sa compagnie lui permet d’envisager les turbulences de façon relativement sereine.
French Bee s’est installée sur la destination en un temps record, et annonçait fin septembre que sa part de marché atteignait 19 %. Hawaiian Airlines est passé à deux fréquences hebdomadaires sur la ligne Papeete-Honolulu depuis fin septembre 2018. L’offre de sièges vers la Polynésie a dépassé son meilleur niveau précédent, qui datait de 2006 (Source : Aéroport de Tahiti).
Transports domestiques : une concurrence qui ne règle pas le problème des lignes déficitaires
Islands Airlines, qui a dûaller jusqu’au tribunal administratif pour obtenir sa licence d’exploitation face au silence de l’administration, a choisi de se doter de deux appareils Embraer E175 de 78 sièges. Ils sont limités aux pistes les plus longues, qui sont aussi celles des destinations les plus fréquentées et donc les plus rentables. La nouvelle compagnie desservira Bora Bora, Raiatea, Huahine dans l’archipel de la Société, Rangiroa et Hao dans les Tuamotu, Tubuai aux Australes, Nuku Hiva aux Marquises, ainsi que Rarotonga (Îles Cook) et Apia (Samoa), une destination jusqu’ici accessible uniquement via la Nouvelle-Zélande. Islands Airlines a d’ores et déjà annoncé des tarifs 15 à 20 % moins chers par rapport à Air Tahiti, la compagnie domestique historique.
En juillet 2018, celle-ci a passé commande, pour un montant de trois milliards de Fcfp, de deux nouveaux ATR-42 STOL (« short takeoff and landing ») dont la livraison est prévue fin 2021 et début 2022. Ces appareils devraient remplacer le Twin Otter et le Beechcraft qui desservent Apataki, Fakahina et Takume aux Tuamotu et Ua Pou et Ua Huka aux Marquises. L’augmentation de la capacité permettra, espère la compagnie, une meilleure rentabilité sur des lignes aujourd’hui déficitaires.
Depuis plusieurs années, Air Tahiti, qui dessert les 47 aérodromes de Polynésie, soulève la question du soutien public. La compagnie a voulu faire bouger les choses en attaquant le Pays devant le tribunal administratif, réclamant 317 millions de Fcfp au titre de l’exploitation déficitaire de certaines de ses lignes. Elle a été déboutée. La loi qui doit définir les obligations de service public pour les compagnies aériennes domestiques doit être présentée prochainement à l’assemblée de la Polynésie française, alors que le schéma directeur des transports interinsulaires a été adopté fin 2014.
Air Tahiti devra donc mettre à profit l’année 2019 pour affiner sa stratégie, peut-être en nouant un partenariat avec French Bee, dont l’arrivée à Tahiti-Faa’a a provoqué une hausse de fréquentation de 10 % sur Air Tahiti. La directrice commerciale de French Bee, Sophie Hocquez, indiquait fin septembre 2017 à Tourmag que des discussions étaient en cours.
Enfin, Tahiti Air Charter a obtenu sa licence d’exploitation en janvier 2018 et exploite en charter privé un hydravion Cessna 208 Caravan qui concurrence Air Archipels, filiale d’Air Tahiti. Tahiti Nui Helicopters, détenu à parts égales par Air Tahiti Nui et le groupe franco-suisse HBG, a également démarré ses opérations en 2018. Air Tetiaroa, transporteur du groupe Pacific Beachcomber pour l’hôtel Le Brando, prévoit de passer d’un à trois appareils d’ici le début 2019.
Pour conclure, 2019 sera une année charnière pour l’économie locale dans son ensemble. Les acteurs économiques espèrent que l’ouverture du ciel polynésien va enfinrésoudre l’énigme de la poule et de l’œufet susciter le renouveau. L’alignement des planètes semble en tout cas propice à une croissance touristique retrouvée. Reste à transformer l’essai sans mettre en péril l’équilibre délicat des compagnies locales ni les financements des infrastructures.
Caroline Perdrix.
La bataille des aéroports
Qui va gérer les quatre aéroports encore sous la tutelle de l’État ? En 2010, la concession des aéroports de Tahiti-Faa’a, Bora Bora, Rangiroa et Raiatea était attribuée pour 30 ans à Aéroport de Tahiti, une société détenue à 49 %par la Polynésie française, et à 51 %par l’État via la Caisse des dépôts et consignations (30 %), Egis (19 %) et l’Agence française de développement (2 %).
En mars 2017, un arrêt de la cour administrative de Paris annulait la concession accordée en 2010 à Aéroport de Tahiti pour non-respect de la procédure de passation du marché. La concession a donc été remise en jeu, via un appel à manifestation d’intérêt clôturé le 5 avril 2018. Les entreprises ainsi sélectionnées seront autorisées à participer à un appel d’offres restreint. Sept mois plus tard, on ne connaît toujours pas le résultat de cette première consultation, et le Pays affirme que l’élaboration du cahier des charges est en cours. L’incertitude générée par cet épisode a eu pour conséquence, selon ADT, la limitation des investissements et le ralentissement de l’importante modernisation de Tahiti-Faa’a, qui fait face à un trafic passagers accru.
Le Pays ne cache pas, depuis de nombreuses années, son désir de récupérer la propriété et la gestion de ces quatre aéroports. L’État n’est pas opposé à cette idée pour les trois aéroports des îles, la ministre des Transports Élisabeth Borne l’a confirmé devant l’Assemblée nationale ; le budget primitif 2019 de l’État prévoit 155 millions de Fcfp en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, « destinés à assurer l’équilibre financier de l’exploitant des trois aéroports d’État en Polynésie française (Bora-Bora, Rangiroa et Raiatea, ndlr) ». Mais l’aéroport de Tahiti-Faa’a revêt une dimension autrement stratégique pour la France (lire l’interview de Jean-Christophe Bouissou). Assistera-t-on à une véritable redistribution des cartes ?
Ndlr: En février, devant le Sénat, la ministre des Outre-mer a confirmé la rétrocession des aéroports de Bora Bora, Raiatea et Rangiroa à la Polynésie, lors de l’examen de la loi organique visant à « toiletter » le statut de la Collectivité.
Entretien avec Jean-Christophe Bouissou, ministre de l’Aménagement, du Logement et des Transports interinsulaires : « L’aérien au service du développement de tous les archipels »
La concession des aéroports d’État est remise en jeu, l’appel à manifestation d’intérêt est clos depuis début avril 2018, et on ne voit toujours rien venir. Parallèlement le Pays n’a jamais caché son souhait de récupérer ces aéroports. Que se passe-t-il ?
Le cahier des charges est sur le point d’être terminé. Le processus étant lancé, on ne peut qu’aller jusqu’au bout même si, ensuite, l’intitulé du concédant vient à évoluer. Avant même de parler d’appel d’offres, le Pays, le Président, le gouvernement, nous sommes toujours sur le souhait très fort de voir l’État nous transférer la propriété et la gestion des aéroports, tout en faisant en sorte d’aménager les zones qui sont nécessaires notamment pour la défense et les missions d’État. D’ailleurs des propositions ont été faites en ce sens. Pour les aéroports dans les îles, il y a une réponse très favorable. Ça colle parfaitement au schéma d’aménagement général que nous sommes en train de bâtir et qui introduit aussi le projet d’aéroport de dégagement à Rangiroa. En ce qui concerne l’aéroport de Tahiti-Faa’a, c’est une décision plus politique, les discussions doivent se passer à un très haut niveau avec le président Édouard Fritch.
Que signifie pour Rangiroa de devenir un aéroport de dégagement ?
Ce serait un aménagement et certainement une extension – c’est un investissement important qui se chiffre à trois milliards de Fcfp. Parce qu’on en ferait un aéroport international, il faut prévoir l’espace nécessaire pour les parkings des avions qui viendraient, principalement des moyen-courriers, et l’ouverture de cet aéroport international.
Que pouvez-vous nous dire du projet d’aéroport international aux Marquises ?
Le schéma d’aménagement, qui sera bientôt soumis au vote de l’assemblée, prévoit le reformatage de l’aéroport de Nuku Hiva pour l’international. Il ne faut pas voir grand tout de suite, il faut mettre en route des avions moyen-courriers qui transportent 140-150 passagers, on peut assimiler ça dans le cadre du développement touristique des Marquises qui se fonde sur les écolodges de 50 à 70 clés. Je pense notamment à des gens avec qui je me suis entretenu à Hawaii, qui souhaitaient connaître la position du Pays sur une exploitation depuis Hawaii des Marquises parce qu’ils y voient, eux, un intérêt culturel flagrant, leur permettant d’intégrer un produit authentique dans des circuits. Je crois que les Marquises auraient beaucoup à y gagner.
Islands Airlines, qui vient d’obtenir sa licence d’exploitation, va venir concurrencer Air Tahiti sur les lignes aériennes domestiques, et peut-être plus tôt qu’initialement prévu. Où en est ce dossier ?
C’est possible qu’ils soient prêts plus tôt. Je tiens en ce moment des réunions du comité technique pour élaborer les lois du Pays sur l’organisation du transport aérien interinsulaire et les obligations de service public pour l’octroi des licences d’exploitation.
Les textes sont prêts, il nous reste à aiguiser un peu notre plan. J’ai déjà entendu Air Tahiti, et je vais également entendre Islands Airlines pour être totalement sensibilisé sur la manière dont ils comptent opérer et voir un calendrier un peu plus clair.
Quel système de compensation est envisagé pour Air Tahiti, qui opère les lignes déficitaires dont les pertes annuelles dépassent 300 millions de Fcfp ? Islands Airlines s’est déjà déclaré contre une taxe sur les billets.
Nous discutons actuellement du mécanisme à mettre en place. Il y a l’idée d’une taxe sur les billets sur les lignes hors obligation de service public, mais l’assiette de cette taxe est assez réduite puisque le chiffre d’affaires global de ce secteur est de l’ordre de 16 milliards de Fcfp. Je peux comprendre Islands Airlines, mais en même temps il est peut-être trop facile de se dire qu’il n’y a qu’à prendre sur le budget du Pays. Disons que de ce côté-là, c’est encore une compétence qui relève du gouvernement.
Notre souhait, c’est aussi de faire intervenir l’État, il y a une continuité territoriale sur le plan national dont nous n’avons jamais bénéficié, des fonds qui sont consentis par l’État, c’est le cas pour la Corse et pour un certain nombre de collectivités. Je souhaite terminer l’élaboration de ce dossier pour me rendre ensuite à Paris et voir ce que l’État peut mettre, avec la Polynésie française, pour cette aide à la personne.
Dans quel état d’esprit est Air Tahiti ?
C’est une société qui s’est bien modernisée, qui utilise des outils de gestion dignes des grandes compagnies, et Manate Vivish (le directeur général d’Air Tahiti, ndlr) est quelqu’un qui a pris la mesure de cette concurrence future, et de la nécessité de trouver une nouvelle stratégie et c’est une stratégie, à mon avis, qui va donner une nouvelle dimension à cette compagnie.
Quelles options de développement sont encore ouvertes en termes de trafic aérien ?
Le vice-président Teva Rohfritsch est chargé des transports aériens internationaux, mais en tant qu’ancien ministre du Tourisme, je crois beaucoup à une ouverture de l’île depuis l’Asie, notamment depuis Shanghai, Hong Kong, et je crois savoir que certains se préparent aujourd’hui à aller dans ce sens. La Polynésie ne serait qu’un stopover, qui permettrait quand même à des gens de pouvoir séjourner pendant deux ou trois nuits. Je crois plutôt à la ligne Asie-Amérique du Sud. Les bons résultats d’Air Tahiti Nui ces quatre dernières années nous ont permis d’ouvrir l’espace aérien à la concurrence, mais en même temps il faut faire attention que ça ne devienne pas la foire d’empoigne, ce qui pourrait être au détriment de notre compagnie aérienne.
Votre conclusion ?
À la question de la poule et de l’œuf – faut-il d’abord augmenter le nombre de chambres ou le nombre de sièges d’avion ? – je répondrai qu’il faut faire les deux en même temps, sans se tromper dans le schéma de développement des différents archipels. Les projets comme le Village tahitien, avec un potentiel de 100 000 touristes supplémentaires, signifient que l’ouverture à la concurrence ne posera pas de problème dans le temps et qu’il faudra aussi construire dans les îles. Nous avions prévu 300 000 touristes en 2020, en tout cas on va se rapprocher des 250 000 touristes, peut-être plus si d’autres navires de croisières installent leur tête de ligne à Tahiti.
Entretien avec Michel Monvoisin, P.d-g d’Air Tahiti Nui, et Mathieu Béchonnet, directeur général délégué : « En 2019, toutes les compagnies aériennes qui desservent la Polynésie vont perdre de l’argent »
Quelle est la stratégie d’Air Tahiti Nui face à la concurrence qui se renforce sur la destination ?
Michel Monvoisin : Elle est dans la droite ligne de ce que nous avions prévu, le changement de la flotte, la transformation de l’entreprise, tout ça a été mené. Les nouveaux avions sont supérieurs à ceux de la concurrence, parce que c’est en adéquation avec le type de clientèle qui vient en Polynésie. Depuis 20 ans, nous avons appris à connaître nos clients, c’est pour cela que nous avons rajouté une classe intermédiaire, qui est une Premium Economy, et on voit qu’il y avait une attente car elle se vend bien.
Et en termes de communication ?
Michel Monvoisin : « Nos budgets ne peuvent pas rivaliser avec ceux des grandes compagnies, mais une grande partie de notre communication est basée sur le digital, parce qu’on touche beaucoup de monde facilement et directement. Et avec nos «ambassadeurs», on dépasse le cadre du simple transporteur : ils sont en adéquation avec la stratégie du mana portée par Tahiti Tourisme ».
Vous avez également répliqué avec des offres tarifaires plus basses ?
Michel Monvoisin : « Évidemment. Mais cela a ses limites. Si on met plus de sièges, mais qu’il n’y a pas les chambres d’hôtel, il n’y aura pas de croissance mais juste un partage du marché existant. C’est notre réalité : quand un avion est en panne, on sort les lits de camp, et on cherche des volontaires chez nous pour héberger des passagers. Le vice-président a bien passé ce message : il faut que le privé s’y mette aussi, ce n’est pas au gouvernement de construire des chambres d’hôtels. L’offre de sièges croît de 40 %, mais il n’y a pas 40 % de croissance possible en chambres d’hôtel. »
Mathieu Béchonnet : « Pour l’instant on voit une croissance marginale de 10 à 15 %, grâce aux VFR (Visiting Friends and Relatives, ndlr), ce n’est pas ce qui permet à des acteurs majeurs de s’établir de manière durable. La Polynésie a un marché naturel qui voyage peu, les résidents représentent de 15 à 20 % de notre chiffre d’affaires. Et puis, les billets baissent mais les prix de la destination augmentent… On n’est pas l’alpha et l’oméga du tourisme. Les gens oublient l’histoire du transport aérien et les drames que peuvent provoquer dans l’économie locale des compagnies qui viennent puis repartent. Pour une très grosse compagnie comme United, il n’y a que la rentabilité qui compte. »
Air Tahiti Nui pourrait-elle rentrer dans une des alliances de transporteurs aériens ?
Michel Monvoisin : « Pour une compagnie de la taille d’Air Tahiti Nui, sur une destination très spécifique, les code-shares que nous avons avec plusieurs partenaires sont plus judicieux. Le bilan est plutôt très bon, cela nous a apporté une bonne part de croissance, surtout sur le marché nord-américain. »
Mathieu Béchonnet : « Nous avons la chance d’avoir American Airlines, l’un des plus gros acteurs mondiaux, qui vend nos sièges, et cela nous permet d’offrir un grand nombre de destinations comme peut le faire United. De ce point de vue nous avons une offre supérieure à celle de French Bee. »
L’aéroport de Tahiti-Faa’a est-il dimensionné pour absorber ces nouveaux flux ?
Mathieu Béchonnet : « C’est un très gros point de frustration. Est-ce que les compagnies aériennes basées en Polynésie française peuvent se satisfaire de la situation de l’aéroport ? C’est clairement « non ». Il serait quand même dommage que ce soit pire ici qu’à Los Angeles ! Des efforts sont faits, mais quand on dit qu’il y a des déphasages qui sont embêtants, ça en fait partie. »
Est-ce que cette situation met la pression sur les charges d’ATN ?
Michel Monvoisin : « Ça met la pression sur tout le monde. On le voit, tout le monde fait des promotions, y compris Air New Zealand et Hawaiian Airlines alors qu’ils ne sont attaqués ni par French Bee ni par United, mais ils stimulent par les prix un marché qui n’est déjà pas énorme, les passagers polynésiens. En 2019, toutes les compagnies aériennes qui desservent la Polynésie vont perdre de l’argent. »
Mathieu Béchonnet :« Nous sommes très contents de notre productivité. Nous sommes une compagnie assez jeune sans surcharge pondérale en termes de personnel. Réduire ces charges-là, ça voudrait dire supprimer certains vols, or ce n’est pas le cas pour l’instant. Nous, on propose autre chose, une compagnie polynésienne qui s’inscrit dans le temps. Nous sommes les seuls à faire 14, 15, voire 16 fréquences par semaine sur la Polynésie. »
Vos conclusions ?
Mathieu Béchonnet : « Il n’y a jamais eu autant de signaux au vert pour que les gens se disent que la Polynésie est un Éden en termes d’investissements. Il y a un véritable engouement pour ce que présente la Polynésie en termes de voyage. Quand on regarde les phénomènes géopolitiques, la stabilité est là, c’est une destination sûre qui a le vent en poupe pour intéresser les investisseurs. »
Michel Monvoisin : « Une compagnie aérienne qui, vingt ans après, ressort de là avec des fondamentaux économiques qu’elle n’a jamais eus, avec des avions qui sont les meilleurs du marché, des gens qui ont 20 ans d’expérience professionnelle et qui connaissent parfaitement leur marché : la Polynésie n’a jamais eu un transporteur aussi solide qu’il ne l’est en ce moment. »
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Êtes-vous confiant dans la capacité d’ADT à remporter la concession ? Son périmètre d’action et son actionnariat seraient-ils appelés à être modifiés si, comme l’a indiqué la ministre des Transports à l’Assemblée nationale, le statut des trois aéroports « secondaires » changeait ?
L’État n’a pas encore transmis le cahier des charges aux candidats. Les chances de succès dépendront des critères de choix que l’État fixera dans son cahier des charges et qui ne sont pas encore connus. Il m’est donc impossible de répondre à votre question à ce jour, notamment en ce qui concerne les trois aéroports des îles.
À combien s’élèvent les investissements réalisés par ADT en huit ans ? Quelles opérations ont souffert en 2018 de la remise en jeu de la concession ? Lesquelles sont prioritaires pour 2019 ?
ADT a engagé dès 2011 une politique d’investissement à la fois ambitieuse et réaliste, afin de moderniser la plateforme à un rythme soutenu tout en tenant compte des réalités économiques de l’entreprise et de son environnement. Plus de 5,2 milliards de Fcfp ont ainsi été investis depuis sept ans, soit l’intégralité de notre capacité d’autofinancement, réinjectée dans nos infrastructures afin de les moderniser et les adapter durablement à l’évolution du trafic et des attentes clients. La quasi-totalité de ces investissements a été financée sur fonds propres. Seule la réfection de piste réalisée en 2014 a donné lieu au recours à l’emprunt pour 1,5 milliard de Fcfp. Ce montant ne tient pas compte des 1,4 milliards investis sur les trois aéroports des îles (Bora Bora, Raiatea et Rangiroa) dont les études et les travaux sont conduits par ADT et financés par l’État, ADT assurant l’avance de trésorerie jusqu’au remboursement par l’État.
Le projet phare d’ADT, visant la reconstruction complète du hall public pour lui donner une nouvelle identité plus polynésienne, avec des volumes plus généreux, plus aérés et plus lumineux, devait débuter en septembre 2017. Le projet devait permettre également de diversifier l’offre de commerces, services et restauration, doter le terminal des dernières innovations technologiques en matière de traitement des vols et procéder au réaménagement et l’extension des parkings et des accès. D’autres opérations très ambitieuses devaient accompagner à court terme cette évolution vers l’aéroport de demain.
Tous ces investissements totalisant plus de trois milliards de Fcfp ont dû être suspendus en raison de la remise en concurrence de la concession. Compte tenu des délais normaux d’instruction de permis de construire, de consultation des entreprises et d’approvisionnement, les travaux pourraient débuter au mieux début 2021, si ADT était désigné concessionnaire à l’issue de la consultation en cours, soit avec un retard de plus de trois ans. Ce retard est extrêmement préjudiciable et tombe au plus mauvais moment pour l’aéroport et ses clients, quand la croissance actuelle du trafic rend absolument nécessaires et urgents ces aménagements.
En attendant, comment Aéroport de Tahiti parvient-il à gérer le trafic accru ?
Nous estimons que la croissance annuelle du trafic total devrait s’établir entre 7 et 8 % en 2018. L’année 2019 s’annonce également sous de bons auspices puisque les effets French Bee et United s’appliqueront en année pleine. Malgré la situation de notre concession qui empêche ADT d’emprunter et donc d’investir dans des grands projets structurants, nous poursuivons nos efforts d’investissements dans la limite de ce qui est finançable sur nos fonds propres. C’est ainsi près de 851 millions qui ont été investis en 2018, et un montant équivalent a été proposé au budget 2019. Les investissements sont ciblés en fonction des priorités, en particulier sur les aménagements d’extension de capacité qui nous permettront de faire face à l’augmentation du trafic et de traiter simultanément trois vols long-courriers dans de meilleures conditions de qualité et de confort.
Entretien avec Teva Rohfritsch, vice-président de la Polynésie française
En moins d’un an, deux nouveaux transporteurs aériens sont arrivés dans le ciel polynésien, portant à sept le nombre de compagnies internationales desservant Tahiti-Faa’a. Est-ce trop ou trop peu ? Est-ce trop rapide ?
La desserte aérienne internationale de la Polynésie française a effectivement connu une forte évolution ces derniers mois. La Polynésie française dessert ainsi les États-Unis, la France, la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, le Chili et Hawaii. Le gouvernement de la Polynésie française se réjouit, évidemment, de l’arrivée de compagnies aériennes supplémentaires. Cela présente un bénéfice certain pour notre tourisme, non seulement du fait de l’augmentation du nombre de sièges offerts, mais aussi parce que ce développement concerne une nouvelle clientèle, intéressée par d’autres types d’hébergement que l’hôtellerie classée dont l’offre est aujourd’hui saturée. D’ailleurs, les pensions de familles se déclarent très satisfaites des résultats de l’année 2018.
D’autres compagnies pourraient-elles encore se montrer intéressées par de nouvelles provenances ? On pense notamment à l’Asie, encore assez mal connectée à la Polynésie ?
Le gouvernement polynésien ne ferme pas la porte à l’arrivée de nouvelles compagnies aériennes. Un travail important est réalisé, tant par l’ensemble des professionnels du secteur que par le gouvernement pour rendre notre desserte encore plus attractive. Nous travaillons étroitement avec l’ensemble des partenaires du monde aérien, et il n’est pas impossible que de nouvelles compagnies viennent en Polynésie française dans les années à venir.
Mais il nous faudra préalablement adapter notre réceptif en augmentant, notamment, notre capacité hôtelière. Le gouvernement a d’ailleurs proposé au vote de l’assemblée un texte visant à encourager les réhabilitations avec extensions des hôtels existants, dans l’attente de la mise en chantier de nouvelles unités réceptives, ce qui prend du temps. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas aller trop vite, mais plutôt agir avec pragmatisme. Il faut ouvrir notre ciel polynésien, oui, mais pas dans n’importe quelles conditions. Le gouvernement de la Polynésie française, que je représente dans le secteur aérien, est particulièrement conscient de cela.
La région Asie est effectivement un marché très dynamique. La Chine est le premier pays émetteur mondial. Une liaison directe entre la Chine et la Polynésie française pose un certain nombre de difficultés techniques, compte tenu de la durée des vols. Mais il pourrait être envisagé des liaisons via les pays de l’Ouest du Pacifique. Le développement de la route du Corail prend alors tout son sens.
Vous suivez le dossier de la concession aéroportuaire des quatre aéroports d’État, qui doit donner lieu à un appel d’offres restreint. La présélection est officiellement close depuis avril 2018 ; savez-vous quand cet appel sera lancé, et quand ses résultats seront connus ? La Polynésie pourrait-elle – ou souhaite-t-elle – devenir majoritaire dans le successeur d’Aéroport de Tahiti ?
S’agissant d’un aéroport qui ne relève pas de sa tutelle, la Polynésie française n’a pas l’initiative du calendrier. Je pense que les choses devraient maintenant évoluer rapidement. Pour l’instant, nous détenons, à parts égales avec Egis, 49 % du capital d’ADT. Nous souhaitons, effectivement, augmenter notre participation. C’est une infrastructure majeure pour le développement de la première industrie du Pays, il semble naturel que nous puissions décider de ses investissements. Des discussions ont déjà été engagées avec l’État pour définir les préalables indispensables à cette évolution.