Covid-19 et Agriculture : Écouter les Outre-mer pour imaginer « le jour d’après »

Covid-19 et Agriculture : Écouter les Outre-mer pour imaginer « le jour d’après »

Dans une tribune, Benoit Lombriere, Délégué général adjoint de l’association EURODOM, appelle à s’intéresser au mode de développement économique et plus particulièrement agricole dans les Départements et Région d’Outre-mer pour imaginer « la France d’après » …

« Vous, agriculteurs, êtes le maillon essentiel, le premier maillon de la chaine alimentaire. Sans vous, sans votre travail quotidien dans les champs, dans vos fermes, aucune matière première, aucun produit transformé, aucun aliment ne peut parvenir dans nos assiettes ». Ces mots, écrits par Didier Guillaume le 18 mars dernier, résonnent avec une force toute particulière dans nos Outre-mer.

Alors que la crise du Covid-19 nous invite à repenser notre rapport à l’espace, à renouer avec la proximité entre le producteur et le consommateur, à envisager différemment les traités de libre-échange, sans doute peut-on trouver quelques éléments d’inspiration intéressants dans le modèle de développement qui a été privilégié Outre-mer.

Éloignés de la France hexagonale, à laquelle ils ne sont reliés que par bateau et par avion, les Outre-mer sont des territoires dont l’approvisionnement demeure fragile. De ce fait, ces territoires se sont organisés pour pouvoir compter sur leurs propres forces pour assurer leur sécurité alimentaire, c’est-à-dire pour produire de quoi couvrir au maximum leurs besoins locaux. C’est vrai en matière agricole, en matière d’élevage, dans la pêche mais aussi plus largement dans tous les secteurs économiques et notamment dans l’industrie, y compris forestière.

Le marché de Cayenne en Guyane ©Jody Amiet

Le marché de Cayenne en Guyane ©Jody Amiet

En faisant le choix d’un partage de la valeur ajoutée entre de nombreuses petites exploitations familiales, plutôt que celui de l’hyper-concentration, les agriculteurs, éleveurs et pêcheurs des Outre-mer peuvent répondre présents lorsqu’il s’agit de produire dans des conditions où la main d’œuvre se fait plus rare.

En privilégiant la solidarité entre tous les maillons de la chaîne « de la fourche à la fourchette », plutôt qu’une culture du rapport de force, les agriculteurs, éleveurs et pêcheurs des Outre-mer peuvent compter sur l’agro-transformation et la grande distribution pour écouler leurs productions, y compris en période de crise comme actuellement.

Ils peuvent également s’adapter rapidement aux contextes nouveaux, le dialogue entre la production, la transformation et la distribution se faisant de manière organisée au sein de filières regroupant l’ensemble des acteurs de la chaine alimentaire.

Enfin, la complémentarité entre des cultures tournées vers l’exportation (sucre, bananes, rhum, melons, litchis, café, ananas, mangues, etc.) et d’autres davantage destinées à la consommation locale permet une diversification des sources de revenus pour les producteurs locaux, et donc une meilleure gestion des risques en cas de crise locale.

Outre-mer, et probablement aussi ailleurs, il n’y a pas de place pour une stratégie de développement laissant le champ libre au déterminisme économique non régulé et à l’excès d’individualisme. La crise actuelle nous le rappelle cruellement. Les producteurs locaux de nos départements d’Outre-mer l’ont compris de longue date. Ils ont souvent eu à défendre cette position dans des contextes peu favorables à cette vision des échanges économiques.

Loin de favoriser l’immobilisme, ce modèle de développement permet l’émergence de nombreuses filières de production innovantes. Que l’on pense par exemple à l’organisation de la filière pêche qui est à l’œuvre dans l’ensemble des DROM et singulièrement à La Réunion et en Guyane, ou encore à la filière bois qui est en train de monter en puissance en Guyane. Il est intéressant de noter aussi que ce modèle de développement si particulier n’existerait pas sans l’appui, résolu et continu, de l’Union européenne et de l’État.

Une bananeraie de Guadeloupe ©Alain Clergerie / agriculture.gouv.fr

Une bananeraie de Guadeloupe ©Alain Clergerie / agriculture.gouv.fr

Dans les DROM, les aides nationales et communautaires permettent non seulement au producteur de vivre décemment des fruits de son travail, mais aussi et surtout de proposer une production locale à un prix maîtrisé pour le consommateur. Loin des caricatures qui en sont parfois faites, les aides publiques Outre-mer sont utilisées de manière très ciblée, avec des objectifs précis, et atteignent avec une grande efficacité les objectifs qui ont sous-tendu leur création.

L’une des grandes leçons, parmi tant d’autres, qui sera tirée de cette crise, est que les secteurs les plus résilients sont précisément ceux que les pouvoirs publics communautaires et nationaux ont soutenu sans discontinuer depuis plusieurs dizaines d’années.

En ne variant pas ou peu de stratégie en matière agricole, halieutique et industrielle, les pouvoirs publics ont incontestablement permis au modèle de développement Outre-mer de s’enraciner dans la durée, et donc de gagner en force et en expérience.

En affirmant clairement la priorité donnée à la production locale pour satisfaire les besoins locaux ou pour exporter sur le continent européen, y compris s’il le faut en adaptant les règles communautaires et nationales, les pouvoirs publics ont accompagné et « co-construit » un modèle original qui pourrait servir, là encore, de point d’appui pour la réflexion qui s’annonce.

Alors que se profilent les premières difficultés de production liées à la diffusion de la pandémie sur nos territoires, et qu’une fois de plus, des solutions imaginatives et audacieuses devront être trouvées avec l’État et l’Union européenne, la détermination des producteurs des DROM est totale à répondre à l’appel du gouvernement à sécuriser le processus de production et d’approvisionnement des denrées alimentaires de nos territoires.

Si « le jour d’après ne doit pas être un retour au jour d’avant (Emmanuel Macron dans son allocution du 16 mars, ndlr) », alors sans doute pourra-t-on compter sur les hommes et les femmes des Outre-mer pour imaginer « la France d’après ».

Benoit Lombriere, Délégué général adjoint d’EURODOM

Créée en 1989, EURODOM est une association qui a pour vocation de défendre la production locale dans les départements d’Outre-mer. Elle représente la plupart des secteurs de la production locale devant les institutions nationales et communautaires. Son délégué général est Gérard Bally.