A l’aube de cette nouvelle année 2020, Outremers 360 a interrogé Jean-Pierre Philibert, le Président de la Fédération des Entreprises des départements d’Outre-mer, le temps de dresser un bilan de 2019 et d’entrevoir des perspectives pour l’année 2020. Le Président de la FEDOM, hasard du calendrier, promu aujourd’hui au rang d’officier de la Légion d’honneur, revient pour nous sur les différentes mesures économiques qui ont impacté les entreprises ultramarines et sur les prochains dispositifs destinés à encourager la croissance et l’activité en 2020.
Outremers 360: Sur le plan économique, quel bilan dressez-vous de l’année 2019 ?
Au titre des satisfactions, notons tout d’abord que, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2020, le gouvernement a tenu sa promesse faite aux socio-professionnels dite de « clause de revoyure » en acceptant de réviser les paramètres du régime spécifique outre-mer des exonérations de charges sociales patronales spécifique. Même si cette révision n’a pas été totalement conforme aux simulations que nous avions réalisées, il faut souligner le rehaussement du seuil permettant le bénéfice maximal d’exonération de charges (dit « seuil d’entrée ») de 1,7 SMIC à 2 SMIC pour les entreprises des secteurs « prioritaires » (régime de compétitivité renforcée), conformément aux annonces faites par le Président de la République lors de son déplacement à La Réunion, la correction du problème relatif à l’aérien et de l’intégration du secteur de la presse en régime de compétitivité renforcée. Ces mesures permettront de réinjecter environ 30 millions d’euros d’aide d’Etat supplémentaires par an au bénéfice de la compétitivité de nos entreprises les plus exposées.
Le Projet de loi de finances (PLF) pour 2020 a été plus contrasté. Si on peut se féliciter de la décision d’expérimentation du duty free tourisme pour les Antilles, de l’élargissement du champ du crédit d’impôt ouvert aux organismes HLM en outre-mer afin d’encourager les travaux de démolition des logements achevés depuis plus de vingt ans (même s’il faut souligner que cette mesure, d’une part, ne s’appliquera pas au dispositif équivalent applicable aux COM à autonome fiscale et, d’autre part, n’intègre pas le désamiantage) ou de la diminution du critère de durée d’exploitation sur zone de 15 à 10 ans pour les activité de croisière ayant bénéficié de l’aide fiscale à l’investissement, il faut cependant regretter que des mesures, pourtant très importantes, n’aient pas été votées.
C’est le cas notamment de l’intégration de l’industrie et du nautisme dans le dispositif renforcé des zones franches (ZFANG), de l’assouplissement du critère d’exploitation au sein de la ZEE pour le bénéfice de l’aide fiscale à l’investissement pour les navires de croisière, de la possibilité de réhabilitation des logements détenus par des propriétaires très modestes en défiscalisation. Surtout le problème mainte fois soulevé et pourtant particulièrement critique des conséquences dès 2020 de la baisse de l’IS en France métropolitaine sur le financement des programmes d’investissements sollicitant la défiscalisation à l’IS en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française n’a pas été résolu.
Autant de points de vigilance, sur lesquels le Gouvernement a pris un certain nombre d’engagements, qu’il faudra reprendre pour le PLF 2021.
A souligner enfin que nous sommes toujours dans l’attente des décisions du gouvernement sur deux dossiers majeurs, d’une part sur les délais de paiement des collectivités aux entreprises et d’autre part sur l’injustifiable obligation de dépôt des comptes comme condition d’éligibilité à l’aide à l’investissement.
La FEDOM de son coté, toujours dirigée par notre Déléguée Générale Samia Badat-Karam, a poursuivi son développement. De nouvelles organisations professionnelles nous ont rejoint ainsi que nombre d’entreprises, petites ou grandes. Nos équipes techniques autour de Laurent Renouf se sont également renforcées pour répondre non seulement aux demandes croissantes mais aussi et surtout à la « technicité » des sujets que nous abordons.
Y a t’il un ou quelques dossiers d’importance sur lesquels vous voudriez revenir et, si oui, quelles en sont les raisons ?
Deux « dossiers » économiques, comme évoqués plus haut, nous préoccupent.
Tout d’abord la question des délais de paiement aux entreprises de la part des collectivités.
La situation ne s’est pas arrangée en 2019 et l’on constate, une fois de plus, que les entreprises sont trop souvent la « variable d’ajustement » de la part de collectivités très ou trop endettées. Sans sous-estimer la baisse de leurs dotations et leurs difficultés, force est de constater que certains élus ont géré parfois de façon pour le moins hasardeuse leur collectivité, notamment sur le plan des dépenses de personnels. Ces dérives ont été soulignées à maintes reprises par la Cour des Comptes ou les chambres régionales des comptes, la plupart du temps sans aucun effet. Il nous est souvent arrivé de dire que si une entreprise procédait de la même façon, elle serait liquidée immédiatement.
Le gouvernement a, semble t-il, pris conscience de ce problème et de l’urgence à apporter des solutions. Deux missions d’enquête ont été mises en place, l’une présidée par le sénateur Georges Patient et le député Jean-René Cazeneuve sur les finances des collectivités locales en outre-mer – qui vient de rendre son rapport, l’autre confiée à l’administration et qui porte plus spécifiquement sur les délais de paiement dont les conclusions sont très attendues dans les prochains jours.
La FEDOM , en relais de ses organisations territoriales, a pris largement sa part dans ce débat et a formulé un certain nombre de propositions précises. Nous serons très attentifs à ce qui sera in fine retenu pour améliorer une situation devenue intenable.
Un deuxième dossier, qui peut paraître plus mineur mais suscite aussi notre grande vigilance, est celui de l’obligation du dépôt de leurs comptes au tribunal de commerce pour les entreprises qui souhaitent bénéficier de l’aide fiscal à l’investissement. Obligation parfaitement inutile dès lors que ces entreprises sont à jour de leurs obligations fiscales et sociales et qui donne matière à l’administration fiscale pour « redresser » à tour de bras. Là aussi le gouvernement a pris conscience du problème et a publié tout récemment une instruction fiscale qui ne répondra probablement que très partiellement au problème.
Nous continuerons nos discussions sur ce sujet en 2020.
Quels sont les points ou objectifs sur le plan économique dans les Outre-mer pour l’année 2020, les dossiers prioritaires également pour la FEDOM ?
Un dossier majeur sur lequel nous souhaitons que le gouvernement se prononce, est celui de l’octroi de mer. Il se dit tout et n’importe quoi à ce sujet. Nous tenons simplement à rappeler deux choses : d’une part l’octroi de mer est une source de financement très importante pour les collectivités locales, argument à prendre en compte à la lumière de ce qui précède sur les difficultés financières de celles-ci, et d’autre part il permet à la production locale tout simplement de vivre et de créer ou de maintenir des emplois. Toute réforme éventuelle doit prendre impérativement en compte ces deux aspects.
Le Gouvernement a annoncé récemment vouloir travailler en 2020 à l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises, notamment celles des PME et les ETI, par une baisse significative des impôts « de production ». Nous souhaitons pleinement nous inscrire dans ces débats et nous formulerons des propositions spécifiques en ce sens.
Nous serons également soucieux de la mise en œuvre effective des instruments pilotés par les grands opérateurs publics (BPI ; AFD ; CDC notamment) en faveur du développement économique de nos outre-mer, programmés en remplacement de certains dispositifs supprimés (TVA NPR…), et de la consommation réelle des crédits budgétaires dédiés ces derniers.
Nous serons enfin également attentifs à un autre dossier qui peut paraître éloigné de nos préoccupations habituelles mais qui peut cependant avoir des conséquences économiques très importantes, c’est celui de la réforme constitutionnelle. La ministre des outre-mer s’est déclarée favorable à une « évolution » ce qui a suscité des réactions diverses.
Pour sa part la FEDOM veillera à ce que les intérêts des entreprises ne passent pas au second plan si réforme il y a.
Propos recueillis par Marie-Christine Ponamalé