Ethno-linguiste, passionné d’Histoire et mordu de la Polynésie, Alexandre Juster met à disposition son savoir en proposant des cours de Civilisation polynésienne, chaque mardi, de 18h30 à 20h, à la Délégation de la Polynésie française à Paris.
D’abord destinés aux étudiants, c’est depuis le mois d’octobre 2015 qu’Alexandre Juster donne des cours de Civilisation polynésienne à la Délégation de la Polynésie française à Paris. Il admet hélas que sa première cible manque à l’appel mais qu’importe, Alexandre ne perd pas espoir pour pousser les jeunes polynésiens, installés dans l’Hexagone, à mieux connaître leur Histoire. Né à Paris, Alexandre Juster nourrit une passion pour l’Océanie et plus particulièrement, pour la Polynésie. Après des études à l’Institut National des Langues et Civilisations orientales (Inalco) et plusieurs voyages dans le Pacifique, c’est tout naturellement qu’Alexandre Juster décide de mettre à disposition son savoir à tous les curieux qui souhaitent en savoir plus sur la Polynésie. À Outremers360, il a par exemple appris que la Polynésie fut le premier pays à abolir la peine de mort, « Les élèves sont parfois bouche-bée ! En 1824, la Polynésie était indépendante, il n’y avait pas encore de statut de protectorat. C’est le code missionnaire qui avait mis ça en place mais les tahitiens étaient choqués ; on ne tue pas gratuitement, on tue au combat certes, mais on ne tue pas parce qu’une personne a volé un cochon parce qu’elle avait faim. Le Chef Tati déclarait alors, « Est-ce bien au nom de la Justice de faire que l’homme devienne meurtrier de son frère ? Je ne le pense pas. Je crois donc que nous devons nous en tenir au bannissement du meurtrier ». A l’unanimité, l’Assemblée des chefs a alors aboli la peine de mort », qui fut commuée au bannissement.
Pour ceux qui souhaitent en savoir d’avantage, rendez-vous tous les mardis à partir de 18h30, à la Délégation de la Polynésie française. Vous vous laisserez alors emportés par l’épopée polynésienne malheureusement trop méconnue de tous.
Est-ce que c’est la première année que vous offrez des cours de Civilisation polynésienne ?
Oui, c’est tout nouveau ! Je suis rentré de Tahiti au mois d’août et nous avons commencé en octobre 2015. Je pensais depuis longtemps proposer ces cours à la Délégation. Nous nous sommes mis d’accord avec la Déléguée de la Polynésie française, Caroline Tang, pour mettre cela en place toutes les semaines.
Le postulat est simple : quand on veut connaître la culture du Fenua, de la Polynésie, il n’y a rien. Des amis me disaient qu’à Paris, il n’y a rien pour se rapprocher de la culture, à part la danse, les chants. Et je me suis dit que lorsque je rentrerais à Paris, je ferais ça.
Combien sont-ils d’élèves à vous suivre ?
Ça varie entre 8 et 15. Ce ne sont pas des étudiants, loin de là et c’est ce qui m’embête. Il y a de tous les âges mais très peu de jeunes. Et il y a de toutes les origines également. Les Polynésiens viennent pour renforcer leurs connaissances et apprendre de nouvelles choses. Ça complète leur savoir, ce que leurs parents disaient. Les « popa’a » (métropolitains) viennent plus pour connaître, par curiosité ou encore, par rapport à leur travail. Tous ceux qui sont dans le milieu culturel ou qui travaillent au Quai Branly, par exemple.
Quel est votre parcours professionnel ?
Je suis ethno-linguiste. Je suis né à Paris et à la base, je n’ai aucun lien particulier avec le Pacifique, enfin, comme tous français si, mais sans plus. Donc j’y suis allé un peu par hasard et je suis tombé en admiration devant cette culture, la langue. Et quand je suis retourné en France il y a 15 ans, je suis allé à l’Inalco apprendre d’avantage la langue et la culture. C’est ainsi que je me suis lancé dans la Civilisation polynésienne.
Vous avez publié un livre, La transgression verbale en Océanie, de quoi parle-t-il ?
Oui, le livre parle de la transgression verbale, des insultes, de la parole interdite. Il portait sur la société interdite, cachée, sur la parole. C’est très sérieux même si ça traite des gros mots. Grâce aux gros mots on comprend mieux la société. J’ai fais une étude comparative entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française car il y a énormément de liens et il fallait que je le prouve en fait. Ce que beaucoup de Tahitiens ont du mal à accepter, c’est qu’il y ait des liens forts entre les deux Collectivités. Ce livre était un moyen de prouver, par les insultes, qu’il y a un rapport avec l’autre, par rapport à la terre et la famille aussi. En France, par exemple, l’insulte suprême serait « nique ta mère », en Nouvelle-Calédonie, on dira plutôt « nique ta soeur » alors qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée on préfèrera « nique ta femme ». C’est assez drôle mais c’est sérieux !
Concrètement, de quoi parlez-vous pendant les cours de Civilisation polynésienne ?
Alors, les cours sont centrés sur la Polynésie et la Polynésie française. Ce soir on parlera de Wallis-et-Futuna : j’essaye d’adapter les cours à l’actualité et ça tombe bien puisque François Hollande s’y rendra bientôt (avant son escale en Polynésie française, ndlr). Les cours parlent des 2000 ans d’Histoire de la Polynésie : d’où sont-ils venus ? Sommes-nous sûrs de leur provenance ? Comment sont-ils venus ? Grâce à quoi ? J’essaye de retranscrire l’Histoire vue de là-bas, pour démonter les mentalités qu’on a depuis 150 ans. Il faut remettre des codes de pensées océaniens. Ce n’est pas Wallis qui a découvert Tahiti, ce sont les Tahitiens qui ont découvert Wallis, Cook et Bougainville. Pendant mes cours, je me mets de l’autre côté de l’Histoire, du côté polynésien.
D’ailleurs en parlant de découverte, de récentes études ont prouvé que les premiers « découvreurs » de l’Amérique (et des peuples amérindiens) étaient les Polynésiens…
Effectivement, jusqu’à preuve du contraire, on en est sûr. À cause de la patate douce qu’ils auraient ramenée, sur la base de récits de la littérature orale en langue locale aussi. Pour raconter l’Histoire, il faut partir de langue locale, et non comme on fait depuis des siècles : raconter l’Histoire en français, pour les Français et d’un point de vu français. La littérature orale prouve qu’il y a des liens entre l’Amérique du Sud et Mangareva, entre l’île de Pâques et le Chili.
Sont-ils partis au hasard ?
On sait qu’ils savaient. S’ils étaient partis au hasard, ils ne seraient jamais revenus dans les îles pour raconter ce qu’ils ont vu. Il faut être fou pour partir au hasard. On sait par exemple que sur les côtes Est des îles, il y a des débris végétaux, et donc on sait que sur cette côte, derrière l’horizon, il y a de la terre. Peut être à un mois ou deux de navigation mais il y a quelque chose…
Le site de Taputapuatea est en bonne voie pour être inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité de l’Unesco. Taputapuatea est un centre politico-religieux important dans la Polynésie ancestrale…
J’ai une élève qui est au ministère de la Culture à Paris, c’est un sujet dont on parle beaucoup. C’est un centre mythique, spirituel. Pas pour toute la Polynésie. Il y avait deux courants mythologiques, deux alliances, dont une basée à Raiatea, qui comprenait la Nouvelle-Zélande, Tahiti, Moorea. L’autre alliance comprenait, entre autre, Bora Bora, Hawaï, Maia’o. C’était assez séparé mais pas hermétique, on naviguait entre les îles. Mais on a beaucoup retenu le Marae Taputapuatea parce que Teuira Henry en parlait beaucoup dans l’ouvrage Tahiti aux Temps anciens. Tandis que la fille de la reine Marae Salmon parle plutôt du Marae de Vaiotaha à Bora Bora. Mais le Marae Taputapuatea était tout de même plus important que Bora Bora. C’est important de parler des choses qui sont oubliées. Et il faut aussi laisser parler les Tahitiens, cela fait trop longtemps qu’on parle à leur place : les historiens, les anthropologues, moi,…
Pourquoi les Polynésiens ne s’accaparent pas leur Histoire ?
C’est tout mon but ! Déjà, on commence a se ré-accaparer la langue depuis 20 ans et même dès l’école avec les concours de ‘Orero (déclamation en langue tahitienne),… d’abord la langue, ensuite l’Histoire, chaque chose en son temps. Mais sans connaître son passé, ses racines, on ne peut pas être épanoui dans la modernité. Culture en tahitien c’est « Hiro’a Tumu » : hiro’a renvoie à l’identité, les traits du visage et tumu c’est la racine, la souche, l’origine. Donc la Culture, c’est l’identité originelle. Il faut revenir à cette identité sans avoir honte du passé, au contraire. Dans le nord de la Nouvelle-Calédonie, la culture c’est la manière de marcher, « Hun hen ». Parce qu’on avance avec la culture.
À Tahiti, on est au centre du Monde, au centre de l’Histoire du Pacifique et de l’Histoire Nationale française. Maintes et maintes fois, les Tahitiens ont aidé la France pendant les Guerres Mondiales, ils ont subi les essais nucléaires, les Français ont pris le phosphate de Makatea, il y a eu de l’enrichissement grâce à cela. On est vraiment au centre du Monde. Et même les Métropolitains qui viennent aux cours, ils regardent leur propre Histoire, de manière différente, sous un autre angle. L’Outre-mer est une richesse, pas une charge ou une dette. C’est la vérité, il n’y a qu’à lire tous les récits historiques pour s’en rendre compte.